Protection de l'enfance : Catherine Vautrin livre la feuille de route d'une "refondation"
Auditionnée le 19 février à l'Assemblée par la commission d'enquête sur "les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance", la ministre en charge des solidarités a exposé les principaux axes sur lesquels elle compte travailler, évoquant notamment la publication prochaine de plusieurs décrets d'application de la loi Taquet et la généralisation d'expérimentations en cours dans plusieurs départements. La nomination d'un Haut-commissaire à l'Enfance a par ailleurs été mentionnée.
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© Capture vidéo Assemblée nationale/ Catherine Vautrin
Ce mercredi 19 février, c'était au tour de la ministre Catherine Vautrin d'être entendue par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur "les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance". Installée en octobre dernier, cette commission présidée par Laure Miller (Ensemble, Marne) et ayant pour rapporteure Isabelle Santiago (PS, Val-de-Marne), a déjà à ce jour procédé à une soixantaine d'auditions. Dont celles d'anciens membres de gouvernement : Charlotte Caubel, Sarah El Haïry, Adrien Taquet. Celle de l'actuelle ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, était la dernière. Le rapport de la commission d'enquête est prévu pour la fin avril.
Catherine Vautrin a tout d'abord procédé à un rapide état des lieux, mettant en avant la hausse du nombre d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), "passé de 16,6 pour mille en 1998 à 22,9 pour mille en 2022", avec une hausse de la part des "tout-petits", sans oublier "l'arrivée de nombreux mineurs non accompagnés" ("46.200 prises en charge en 2023"). "Aujourd'hui, près de 397.000 mesures de placement sont suivies par l'aide sociale à l'enfance", a établi la ministre, soulignant en outre que "un quart des enfants protégés sont en situation de handicap", représentant "à eux seuls 50% des hospitalisations en psychiatrie infantile". Autre chiffre, celui des moyens : "près de 10 milliards d'euros pour les départements, outre les fonds alloués par l'Etat, notamment pour les mineurs non accompagnés ou encore la contractualisation".
Côté constats, la ministre a évoqué "l'articulation complexe mais essentielle" entre Etat, départements et associations. Mais aussi les "nombreuses défaillances", une "mise en oeuvre beaucoup trop hétérogène", "des disparités territoriales non négligeables, des conditions de prise en charge pas adaptées". D'où la nécessité d'un "immense chantier de refondation". Un chantier que Catherine Vautrin envisage autour de quatre "priorités".
- "Fixer des normes et des taux d'encadrement dans les pouponnières et l'ensemble des établissements" accueillant des enfants suivis par l'ASE.
- S'agissant des pouponnières, Catherine Vautrin envisage un décret "révisant les conditions de prise en charge" d'ici fin juin. Ce décret - qui doit faire l'objet d'une concertation avec, notamment, les départements, "dans les semaines qui viennent" - portera sur les ratios d'encadrement, mais aussi sur la durée de placement maximale, avec "une cible de trois mois dans un premier temps, diminuant progressivement à six semaines". "La pouponnière ne doit être qu'un lieu temporaire de placement", a-t-elle souligné. Autre objectif : "redéfinir les conditions et les critères d'adoption des enfants en pouponnière".
- Pour les autres établissements d'accueil collectif, la ministre se dit consciente des enjeux liés au manque de personnels et aux coûts et juge de ce fait qu'il ne serait "pas réaliste de fixer des taux d'encadrement à effet immédiat". D'où sa proposition d'un "plan pluriannuel à cinq ans à partir de 2026" basé sur une progression par étapes. Cette "trajectoire", qui sera travaillée avec les départements, sera établie d'ici la fin de l'année et se traduira dans le prochain projet de loi de finances ainsi que par un décret.
- "Mise en œuvre complète et effective de la loi Taquet". Autrement dit faire en sorte que les cinq derniers décrets manquants "pour sa pleine application" soient publiés :
- Le décret relatif à l'impossibilité de délivrer un nouvel agrément à un assistant familial ou maternel en cas de retrait d'un agrément précédent. Ce texte ayant reçu un avis favorable du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) le 6 février et ayant été examiné par le Conseil d'Etat, sa publication ne devrait pas tarder.
- Deux décrets sur la PMI, l'un sur les "objectifs nationaux de santé" à respecter, l'autre sur les normes minimales d'effectifs. Après, là encore, concertation avec les départements, leur publication est prévue pour fin avril.
- Deux décrets liés aux systèmes d'information. Le premier, également envisagé pour avril, porte sur le système d'information des agréments en vue d'adoption. L'autre sur "la base de données des agréments des assistants familiaux et maternels", un "outil de pilotage local et national" qui doit "permettre aux départements d'avoir accès facilement aux caractéristiques des agréments et renouvellements, y compris les retraits d'agréments". Publication pour novembre prochain.
- "Mieux contrôler les établissements accueillant des enfants placés et mieux partager des informations pour une meilleure prise en charge".
- Une circulaire est prévue pour "mieux organiser au niveau territorial le lien avec les équipes de mon ministère et les équipes du ministère de l'Intérieur", a fait savoir Catherine Vautrin, qui estime que cela pourrait notamment se concrétiser par la mise en place d'un "référent aide sociale à l'enfance au sein des préfectures". L'idée centrale étant de "renforcer la coordination, le partage d'informations, avec l'ensemble des acteurs de la prise en charge".
- "Organiser une communication entre le département d'origine et le département d'accueil" lorsqu'un département confie des enfants à un autre.
- Dans le sillage du rapport Sichel (sur ce rapport, voir notre article du 7 janvier), développer le dossier numérique partagé expérimenté dans quatre départements.
- Accélérer le déploiement des comités départementaux de la protection de l'enfance, quant à eux expérimentés dans dix départements, avec possible généralisation en 2026 si le bilan s'avère concluant.
- "La santé, notamment mentale, des enfants protégés".
- Lancement d'un appel à projets pour expérimenter dans cinq départements l'instauration d'une évaluation psychologique systématique au moment de l'entrée dans le dispositif d'ASE.
- "Organiser le passage à l'échelle" (autrement dit la généralisation) dès 2026 des expérimentations "Santé protégée" afin d'offrir de "réels parcours de soins coordonnés".
- Poursuivre la généralisation des Unités d'accueil pédiatrique enfant en danger (UAPED), sachant qu'il en existe aujourd'hui 139 et que la création de 25 autres est prévue.
D'autres éléments ont été développés par Catherine Vautrin :
- Répondre au déficit d'attractivité du secteur et de fidélisation des professionnels : renforcer les dispositifs de formation initiale, faciliter la VAE, "autoriser le cumul du métier d'assistant familial avec une autre activité professionnelle", "simplifier les modalités pour les familles d'accueil"…
- La prévention : "La meilleure protection de l'enfance, c'est avant tout de créer des conditions d'une parentalité protectrice et donc d'éviter les placements. C'est tout le sens d'une contractualisation avec les départements résolument engagés sur les actions de prévention dès cette année, avec une stratégie de soutien à la parentalité portée par mon ministère, que je souhaite diffuser avant la fin de ce semestre."
- Favoriser "le recours au placement dans la famille élargie chez des tiers dignes de confiance" en prévoyant des dispositions réglementaires qui permettront "la vérification de leur honorabilité". Plus globalement, la ministre considère que le "modèle" à privilégier est bien "le retour autant que possible dans les conditions de sécurité vers les familles, les tiers de confiance ou proches, les familles d'accueil et seulement en dernier recours, l'accueil collectif".
- "Prise en charge des enfants en double vulnérabilité" (handicap) : "Avec Charlotte Parmentier-Lecocq [ministre déléguée en charge du handicap] nous allons nous mobiliser pour dégager les solutions adaptées, tant par le recours aux 50.000 solutions que par le développement de l'accueil familial et notamment thérapeutique".
- Accès aux études et à l'emploi : "déployer un soutien particulier via le mentorat, le parrainage pour les jeunes sortants de l'ASE", en s'appuyant sur les propositions du rapport Sichel et en lien avec France Travail.
› Le Haut-commissaire à l'Enfance nommé dans "les prochaines semaines"
Le Haut-commissaire à l'Enfance, qui avait été initialement promis "pour janvier" par Emmanuel Macron, sera nommé "dans les semaines qui viennent, je pense une ou deux semaines", a déclaré Catherine Vautrin lors de cette audition, précisant qu'elle gardera bien au sein de son large ministère "la responsabilité de la politique de l'enfance".
Le décret de nomination du Haut-commissaire à l'Enfance a été publié le 11 février au Journal officiel. Le nom du Haut-commissaire devait initialement être annoncé dans la foulée en conseil des ministres mais aucune indication n'a filtré depuis, même si le nom de l'ancienne ministre Sarah El Haïry revient avec insistance. L’élue Modem de Nantes a été, au sein du gouvernement Attal en 2024, ministre déléguée en charge de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles rattachée au (déjà) grand ministère de Catherine Vautrin. Elle avait été précédemment secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel (2022-2023) puis brièvement de la biodiversité.
Les acteurs de terrain craignent notamment que l'option d'un Haut-commissariat n'apporte pas la même garantie "en matière de prérogatives gouvernementales ou dans les moyens humains et financiers pour mener des politiques ambitieuses" qu'un ministère délégué ou secrétariat d'Etat dédié.
En outre, hypothèse d’un rattachement au Premier ministre n’a pas été retenue. Le décret indique en effet que le futur Haut-commissaire sera placé "auprès du ministre chargé de l'enfance", autrement dit Catherine Vautrin, et sera "en lien avec le ministre de l'Éducation nationale et le ministre de la Justice".
"Le haut-commissaire à l'enfance apporte son concours à la définition, la coordination, la promotion, la mise en œuvre et l'évaluation des politiques conduites en matière d'enfance, en particulier en matière de protection de l'enfance, de santé de l'enfant, de soutien à la parentalité, d'adoption, de petite enfance et d'accueil du jeune enfant" et "contribue également à l'élaboration et à la mise en œuvre des politiques conduites à l'égard des professionnels de l'enfance", selon le décret. Ce dernier liste les missions du haut-commissaire : conduite de la concertation et du dialogue avec les acteurs ; coordination des travaux au niveau interministériel ; propositions d’orientations en matière de protection de l’enfance (lutte contre les violences, renforcement de l’action de l’État, amélioration de l’accueil, promotion du bien-être et de la santé des enfants, protection dans le champ du numérique…) ; suivi et évaluation des politiques engagées.
Caroline Megglé