Aide sociale à l’enfance : France Stratégie appelle à "faire de la réussite scolaire un objectif explicite du placement"
Les difficultés familiales des enfants accueillis à l’ASE sont à l’origine de "parcours scolaires souvent heurtés" dès l’école primaire, analyse France Stratégie dans une étude publiée ce jour. Le placement, notamment en famille d’accueil, a parfois des effets bénéfiques. Mais les "ambitions scolaires" vis-à-vis des enfants placés doivent être revues à la hausse, préconise France Stratégie qui estime que le système oblige ces jeunes à trop de renoncements.
France Stratégie consacre un cycle de travaux aux "inégalités de destin" ayant déjà conduit à plusieurs publications, dont l’une sur le poids des origines sociales dans les parcours scolaires (voir notre article de septembre 2023) et l’autre sur les politiques publiques destinées à favoriser la mobilité sociale des jeunes (voir notre article d’octobre 2023).
C’est dans ce cadre que l’organisme placé auprès du Premier ministre rend publique aujourd’hui une analyse centrée sur les parcours des jeunes placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE). "Leur placement permet-il de déjouer la reproduction sociale ? Quelles sont leurs chances de mobilité sociale ?", a interrogé Bénédicte Galtier, adjointe au directeur du département Société et politiques sociales de France Stratégie, en préambule d’une conférence de presse organisée ce 10 septembre 2024.
L’étude a consisté à comparer les trajectoires de ces jeunes placés avec celles de "jeunes qui leur sont socialement proches" et celles de l’ensemble des jeunes, sur la base des études 2013-2014 et 2015 du dispositif Elap (Étude sur l’accès à l’autonomie des jeunes placés, voir notre article de 2016), de données de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp, ministère de l’Éducation) et de l’Insee.
"Une orientation massive dans la voie professionnelle"
Le premier enseignement de cette étude est la confirmation d’une réalité bien connue : "les jeunes placés ont des parcours scolaires souvent heurtés". Le taux de redoublement à l’école primaire est de 40%, similaire à celui des enfants issus de familles inactives (42%) mais bien plus élevé que celui de l’ensemble des enfants (16%) et des enfants "issus de ménages à dominante ouvrière" (22%) et également plus élevé que celui des enfants "issus de familles monoactives d’employé ou d’ouvrier" (31%). France Active mentionne également "des périodes de déscolarisation, surtout l’année du placement", "une scolarisation beaucoup plus fréquente dans l’enseignement spécialisé" (28% pour les jeunes placés, soit sept fois plus que pour l’ensemble des jeunes) et des retards dans plusieurs domaines (lecture, écriture, mathématiques, etc.)
Deuxième caractéristique mise en avant : "une orientation massive dans la voie professionnelle courte (30% de CAP-BEP), qui ne se retrouve dans aucune des autres catégories de jeunes (13% pour l’ensemble des jeunes), même chez les jeunes d’origine ouvrière (20%)". A noter que ce taux n’est que de 12% pour les jeunes issus de familles inactives, soit un écart très marqué dans les choix effectués pour des jeunes qui avaient des difficultés scolaires comparables à l’école primaire. A l’inverse, si les jeunes placés ou ayant été placés sont nombreux à n'avoir aucun diplôme (17% contre 8% parmi l’ensemble des jeunes), cette situation est encore plus fréquente chez les jeunes issus de familles inactives (30%).
France Stratégie liste plusieurs facteurs explicatifs : les jeunes placés ont souvent connu des difficultés liées à la fois à "un milieu familial très défavorisé" ("faible capital économique, social et culturel") et aux situations spécifiques qui ont conduit au placement (négligences parentales, maltraitances…), soit "un contexte familial peu propice aux apprentissages scolaires". Il est rappelé également que les "situations de handicap" sont "beaucoup plus fréquentes" parmi les enfants de l’ASE.
L’accès à une "autonomie financière précoce" mais peu de chances de mobilité sociale
Le type de placement, la façon dont il se déroule (stabilité ou pas) ont ensuite un impact important sur les parcours. Si les enfants ont été placés en famille d’accueil, "les aspirations élevées des assistants familiaux peuvent compenser [les] facteurs défavorables" initiaux. Placés en établissement, les jeunes disposeraient d’un accompagnement moins soutenu, du fait notamment d’un manque d’encadrement et d’attentes souvent "peu ambitieuses" de la part des éducateurs. "La scolarité ne figure pas dans les objectifs assignés aux établissements de placement", relève France Stratégie.
Par ailleurs, l’"âge couperet" de 18 ans ou, dans le meilleur des cas, de 21 ans, conduit les professionnels de l’ASE à inciter les jeunes à rechercher une "autonomie financière précoce" et ainsi à privilégier "des études courtes et professionnalisantes". Conséquence : les jeunes placés ou qui ont été placés entrent plus précocement sur le marché du travail. A 20 ans en 2015, ils étaient 34% à être en emploi ou en alternance (27% pour l’ensemble des jeunes) et 26% en recherche d’emploi (11% pour l’ensemble), donc moins fréquemment en études (35% contre 54%). Ces jeunes ayant connu l’ASE n’étaient à cette date inactifs que pour 6% d’entre eux, contre 27% des jeunes issus de familles inactives.
Pour Cédric Audenis, commissaire général par intérim de France Stratégie, c’est "le verre à moitié plein" de ces résultats : malgré les difficultés qu’ils ont connues dans leur famille et parfois également au cours de leur placement, ces jeunes accèdent pour beaucoup à une forme d’"autonomie professionnelle". Le "verre à moitié vide", c’est que le système de protection de l’enfance actuel contraint globalement ces enfants à revoir leurs ambitions à la baisse - une majorité des enfants placés qui étaient scolarisés à 17 ans souhaitaient en effet poursuivre leurs études. La loi dite Taquet de 2022, "en prolongeant l’accompagnement des jeunes placés, devrait faciliter leur accès à des diplômes de l’enseignement supérieur et ainsi renforcer leurs chances d’ascension sociale", souligne France Stratégie. L’institution recommande en tout cas de "faire de la réussite scolaire un objectif explicite du placement et d’améliorer la coopération entre l’Éducation nationale et les services de l’ASE".