France Stratégie sonde la fabrique des inégalités scolaires
À l'école française, les origines sociales, le genre et l'ascendance migratoire des élèves exercent une influence majeure sur les performances et les parcours des individus, selon un rapport publié mercredi 6 septembre par France Stratégie, l'organisme du service prospective de Matignon. De ces trois dimensions, c'est l’origine sociale qui pèse le plus sur les trajectoires. Face à ce panorama, les autrices interrogent le "ciblage" des politiques éducatives.
"L'école en France peine à déjouer le rôle exercé par l'origine sociale, le sexe et l'ascendance migratoire sur les performances et les parcours des élèves." Telle est la conclusion du rapport de France Stratégie, le service de prospective de Matignon, publié mercredi 6 septembre 2023. Et, il semblerait que de ces trois dimensions, c'est l’origine sociale qui, en France, pèse le plus sur les trajectoires. Cette étude analyse la manière dont se fabriquent les inégalités aux différentes étapes (crèche, école primaire, collège et lycée), en fonction de trois variables (sociale, migratoire et de genre), à partir des statistiques du ministère de l'Éducation, de l'OCDE, etc.
Dès la petite enfance
Ainsi, les fondations des inégalités de parcours sont posées dès la petite enfance. "S'y acquièrent, dans le cadre familial mais aussi au sein des lieux d’accueil du jeune enfant, des aptitudes qui influent durablement sur les futures trajectoires scolaires et professionnelles", peut-on lire dans le rapport. Et malheureusement, "si les enfants qui vivent dans des foyers à faibles revenus profitent le plus des apports des modes d’accueil formels collectifs, ce sont aussi ceux qui y sont le moins inscrits", relève le rapport. La scolarisation à 2 ans, quant à elle, profite entre autres aux enfants d'ouvriers et plus clairement encore aux enfants qui ne parlent pas le français à la maison. Mais cela ne suffit pas pour permettre à l'école maternelle d'effacer les écarts, et "les acquis de cette étape de la scolarité sont en partie prédictifs des différences de résultats constatés en fin de primaire".
Collège, accélérateur des inégalités scolaires
Le collège, bien qu'"unique", pré-oriente une part significative d'élèves dans des classes ou des enseignements spécialisés (plus de 4% en Segpa notamment). La surreprésentation des enfants des classes populaires – en particulier des garçons – y est massive quand celle des enfants favorisés et des filles l'est dans les options ou sections destinées aux bons élèves (latin, sections européennes, etc.). "Plus généralement, les adolescents connaissent au collège des trajectoires hétérogènes très corrélées à l’origine sociale, l’origine migratoire et au genre et qui déterminent les orientations de fin de 3e" ; le collège n'étant ainsi qu'"un accélérateur des inégalités scolaires".
Au lycée, les sorties sans diplôme plus nombreuses dans la voie professionnelle
Au lycée, la mécanique infernale se poursuit : "Non seulement les enfants des catégories populaires et les garçons passent moins souvent le baccalauréat, et en particulier le bac général, mais ils le réussissent moins bien." À noter que ce deuxième cycle de l'enseignement secondaire "représente, pour près de la moitié d'une classe d'âge dans laquelle sont surreprésentés les garçons et les enfants des catégories modestes, la fin du parcours scolaire". Les sorties sans diplôme sont d'ailleurs beaucoup plus nombreuses dans la voie professionnelle et les classes spécialisées (près de 70%), qui les scolarisent davantage. Un phénomène contre lequel le président de la République entend lutter par le biais de la réforme du lycée professionnel lancée en mai 2023 (voir notre article du 1er septembre 2023).
Inégalités horizontales sur inégalités verticales
France Stratégie développe aussi la notion "d'inégalités horizontales" qui seraient "liées à la nature des formations, des diplômes, des disciplines ou des spécialités" et qui viendraient "se superposer aux inégalités verticales d’accès et de niveau de diplôme". "Dans la voie générale, les élèves favorisés et très favorisés, plus que les autres, choisissent des combinaisons de spécialités perçues comme les voies d’accès aux 'meilleures' études supérieures, plus rentables ou prestigieuses que les autres", écrit France Stratégie. L'organisme décrit des différenciations genrées qui se renforcent : "Les filles choisissent moins souvent les mathématiques à niveau équivalent en seconde, sont ainsi sous-représentées dans les enseignements scientifiques et surreprésentées dans ceux d’humanités, de sciences économiques et sociales, de langues-littérature et d’histoire-géographie." Il relève aussi que dans les voies technologiques et professionnelles, "la segmentation est encore plus prononcée entre les garçons et les filles, certaines familles de métiers recrutant à plus de 90% des élèves d’un seul sexe (99% de filles en coiffure, 99% de garçons en énergie et génie climatique)".
Ciblage des politiques éducatives
Ce panorama "conduit à interroger la question du ciblage des politiques éducatives", conclut France Stratégie. "Comment articuler à la fois la priorité au primaire, qu'il paraît nécessaire de continuer à alimenter, et l'investissement des autres étapes de la scolarité ?", a souligné l'une des autrices lors d'une conférence de presse mercredi 6 septembre. Pour elle, "la question doit dépasser" aussi "celle des seuls réseaux d'éducation prioritaire" (REP) : "les enfants défavorisés ne sont pas tous scolarisés dans ces REP et une partie échappe donc aux politiques d'aide".