Les élus déçus par les annonces sur la mixité sociale dans l'enseignement privé

Le protocole d'accord sur la mixité sociale à l'école entre l'Éducation nationale et l'Enseignement catholique suscite de la déception de la part de nombreux élus locaux. Certains estiment que les collectivités participent assez au financement des établissements privés et que ceux-ci ne peuvent en demander plus.

Pas de quotas de boursiers ni d'objectifs contraignants : le protocole d'accord sur la mixité sociale à l'école signé le 17 mai 2023 entre le ministère de l'Éducation nationale et le Secrétariat général de l'Enseignement catholique (SGEC) se contente de proposer une "trajectoire" (lire notre article du 18 mai). Pour rééquilibrer la part entre enfants issus de milieux favorisés et enfants issus de milieux défavorisés au sein des établissements privés, l'idée est donc de "lutter contre l'autocensure" des familles, autrement dit, d'encourager celles-ci à aller vers le privé. Pour y parvenir, les leviers seront l'information, par exemple sur les tarifs et réductions pratiqués dans les établissements privés ou sur les subventions sociales des collectivités territoriales, et l'incitation, en faisant notamment appel aux collectivités afin qu'elles proposent aux familles des élèves boursiers les mêmes aides en matière de restauration et de transport que celles qu'elles perçoivent lorsque leurs enfants sont scolarisés dans le public.

Loin des ambitions initiales du ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui au mois de mars parlait "d'exiger" de l'enseignement privé qu'il favorise la mixité des élèves et voyait dans l'allocation des postes d'enseignants du privé un "facteur de pression", les mesures de ce protocole d'accord ont fait réagir les élus, et cela d'autant plus que la réussite de ce plan semble reposer en grande partie sur la volonté et les moyens financiers des collectivités territoriales. Leurs réactions sont souvent empreintes de déception.

Des informations déjà publiques

Première à réagir, l'association Départements de France, a affirmé dans un message posté sur WhatApp que "les départements qui déploient des mesures sociales à destination des élèves les plus défavorisés le font indifféremment selon que l’élève fréquente un établissement public ou privé". Sans préciser toutefois combien de conseils départementaux étaient à ce jour concernés par de telles mesures. L'association a également pris "acte de la volonté de constituer une base d’information partagée" et précisé que "le montant des subventions à caractère social et ceux des forfaits d’externat versés par les collectivités font l’objet d'un vote et sont de ce fait déjà publics".  Départements de France s'interroge donc : "Cela veut-il dire que le gouvernement va centraliser toutes ces données ou va-t-il enfin partager des informations qu'il ne publiait pas à l’instar de l’indice de position sociale (IPS) qu’il a fini par publier en octobre dernier ?"

Pour Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine et récent auteur d'une proposition de loi visant à conditionner les subventions accordées aux établissements privés sous contrat à des critères de mixité sociale, "ce protocole n'est qu'une liste de vœux pieux adressée à un enseignement privé qui se sent tout puissant".

"L'enseignement privé doit prendre sa part"

Frédéric Leturque, maire d'Arras a pour sa part estimé sur Europe 1 que les collectivités locales "ont des contraintes liées aux économies d'énergie, plein d'obligations pour encadrer les élèves". Le coprésident de la commission de l'éducation de l'AMF (Association des maires de France) a poursuivi : "On peut toujours en rajouter sur le dos des collectivités locales, mais elles ont leurs limites."

Benjamin Vételé, adjoint au maire de Blois chargé de l'éducation, dit "avoir espéré des annonces fortes sur le sujet de la mixité sociale à l'école" et parle aujourd'hui de "déception et aussi un peu de colère". Vice-président du RFVE (Réseau français des villes éducatrices), il déplore que "le débat se résume à l'achat de subventions auprès des collectivités pour concourir à des missions de service public", et soutient que "l'enseignement privé doit prendre sa part [à la mixité sociale] sans pour autant poser de nouvelles exigences". "Il y a trois ans, poursuit Benjamin Vételé, avec l'instauration de l'obligation scolaire dès trois ans, les collectivités ont été mises à contribution pour financer l'enseignement privé alors même que le modèle économique était déjà bien en place et qu'il n'y a pas eu d'afflux d'enfants vers le privé, lequel a alors bénéficié d'une manne supplémentaire de la part des communes. En a-t-il profité pour mettre en place des dispositifs d'aide sociale ? Il semblerait que ce ne soit pas le cas. Il est clairement inacceptable de conditionner l'accueil d'élèves boursiers à des financements supplémentaires des collectivités."

Les collectivités pourront toujours se consoler en se disant que si le protocole d'accord signé entre l'Éducation nationale et le SGEC n'est pas contraignant pour les écoles privées sous contrat, il ne l'est pas plus avec les communes, les départements ou les régions…