Mixité sociale dans l'enseignement privé : la balle est dans le camp des collectivités
Le ministère de l'Éducation nationale et l'Enseignement catholique ont signé un protocole visant à favoriser la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat. Une des clés de sa future réussite tient dans la participation financière des collectivités territoriales.
Le ministère de l'Éducation nationale et le secrétaire général de l'Enseignement catholique (SGEC) ont conclu ce vendredi 17 mai un protocole d'accord visant à renforcer la mixité sociale et scolaire des établissements d'enseignement privés sous contrat relevant du SGEC, soit 96% des établissements sous contrat en France. Un protocole signé "dans un esprit de dialogue, de réalisme et d'action pragmatique", selon un communiqué commun. Une manière de dire que les ambitions initiales de Pap Ndiaye, ministre de l'Éducation nationale, ont été revues à la baisse tout au long des mois de négociations.
Ce protocole, qui intervient quelques jours après que le ministre a fixé des objectifs de mixité sociale pour l'enseignement public (lire notre article du 12 mai), part du constat que "trop d'établissements scolaires concentrent des élèves de milieux socialement homogènes" et que "dans un même secteur géographique, l'écart de composition sociale et scolaire entre établissements s'accroît". Un constat qui fait suite à la publication à l'automne 2022 de l'indice de position sociale (IPS) des collèges qui révélait un écart de vingt points de l'IPS moyen entre collèges publics (101) et privés (121).
Lutter contre l'autocensure des familles
Le protocole vise deux objectifs : d'une part, une contribution au service public de l'éducation des établissements privés dans le partage de "la responsabilité d'un commun éducatif", d'autre part, le respect du caractère propre de ces établissements qui leur garantisse "un exercice concret de la liberté de choix des familles".
Pour renforcer la mixité sociale, un plan d'action propose différents leviers. Tout d'abord, une base de données publiques présentera les conditions d'accès de chaque établissement privé (tarifs et réductions, coût de la restauration, subventions sociales des collectivités, etc.) ainsi que son indice de position sociale et sa valeur ajoutée, et ce afin de lutter contre l'"autocensure des familles les moins favorisées qui considèrent que les établissements privés leur sont inaccessibles". Parallèlement, un indicateur relatif aux effectifs des élèves scolarisés en Ulis (unités localisées pour l'inclusion scolaire) et en Segpa (section d'enseignement général et professionnel adapté) ainsi qu'aux élèves à besoins éducatifs particuliers sera publié.
Boursiers : les collectivités sollicitées
Les mesures les plus attendues concernaient les frais d'inscription dans les établissements privés. Ici, le protocole évoque d'abord un principe général – il s'agit de porter une "attention soutenue à des conditions économiques équitables pour les familles" – avant de se faire plus précis. D'une part, le nombre d'établissements catholiques proposant des contributions familiales modulées en fonction des revenus augmentera au minimum de 50% en cinq ans. D'autre part, le taux d'élèves boursiers – qui représente 12% des effectifs de l'Enseignement catholique contre 29% de ceux du public – doublera en cinq ans dans les établissements où les familles pourront bénéficier d'aides sociales égales à celles dont elles bénéficieraient dans un établissement public correspondant. Autrement dit, précise le SGEC, "pour que les familles concernées puissent faire le choix du privé, les collectivités locales sont invitées à leur proposer les mêmes aides sociales que celles qu'elles perçoivent, notamment en matière de restauration et de transport, lorsque leurs enfants sont scolarisés dans le public".
Le ministère de l'Éducation nationale s'engage à appuyer cette évolution des aides sociales tout comme il veillera à faire garantir le respect des obligations légales et réglementaires des collectivités et EPCI concernant le versement du forfait communal ou d'externat aux établissements privés. Dans un autre ordre d'idées, le ministère va également accompagner l'Enseignement catholique dans la recherche d'"une clarification du statut de l'immobilier scolaire" de ses établissements afin d'en reconnaître le caractère d'intérêt général.
Un autre point intéressera de près les collectivités : les projets d'implantation de "classes et de formations attractives" dans les "couronnes urbaines", historiquement moins investies par l'enseignement privé, ou plus largement dans les territoires à forts enjeux de mixité sociale seront examinés en priorité par le ministère et le SGEC.
Modulation des moyens
Si les mesures annoncées n'ont rien de contraignant pour les établissements privés, l'Éducation nationale prend toutefois soin de souligner qu'elle travaille avec le SGEC "à une modulation des moyens privilégiant les établissements présentant des indicateurs montrant une progression de la mixité sociale". Le SGEC s'engage, de son côté, à renforcer l'importance du critère social dans la redistribution interne des moyens d'enseignement que lui alloue l'État.
Enfin, comme ce fut le cas pour l'enseignement public, le protocole prévoit une instance de dialogue régulier dans chaque académie. Réunie sous la présidence du recteur, elle déclinera au niveau local les objectifs du protocole et établira un bilan annuel des actions réalisées et de l'évolution des indicateurs.
On se souvient que Gérard Larcher, président du Sénat, avait récemment estimé que "ce n'est pas le moment de rallumer la guerre scolaire avec le privé". La hache de guerre, si elle a jamais existé, est désormais bien enfouie sous la terre. Reste à savoir si les collectivités, dont dépend largement la réussite de ce plan, auront la volonté et surtout les moyens financiers d'y contribuer.