Quand les écoles "orphelines" échappent au réseau d'éducation prioritaire
Ca ressemble à une REP, ça lutte contre les mêmes difficultés qu'une REP, mais ça n'est pas une REP : dans les écoles dites "orphelines", privées des moyens supplémentaires attribués aux établissements en Réseau d'éducation prioritaire (REP), la rentrée a, cette année encore, un goût d'"injustice". A l'échelle nationale, 500 écoles ont été recensées dans le rapport "Territoires et réussite" remis en 2019.
"On est débordé, je ne sais pas comment ça va se passer" : l'année scolaire commence à peine et elle s'annonce très longue pour cette directrice d'une école de l'agglomération de Strasbourg. Sa classe de CP devrait accueillir 27 élèves, quand le plafond instauré par le ministère est à 24. L'école est située dans un quartier défavorisé, classé QPV (quartier prioritaire de la politique de la ville). Elle présente un Indice de Position Sociale (IPS), indicateur résumant l'environnement socio-économique des élèves accueillis dans l'établissement, particulièrement faible, plus de 30 points en-dessous de la moyenne nationale. Et pourtant, l'école ne fait pas partie du Réseau d'éducation prioritaire, car le collège auquel elle est rattachée, situé dans un autre quartier, ne dispose pas du précieux label.
Les différences avec les écoles voisines classées REP voire REP+ sont flagrantes : ces dernières disposent d'enseignants supplémentaires, permettant le dédoublement des classes de grande section, CP et CE1, pour limiter à 12 ou 13 le nombre d'enfants par classe ; le temps de formation y est renforcé ; les directeurs bénéficient d'une décharge horaire et les enseignants d'une prime financière (jusqu'à 420 euros mensuels en REP+) ; le personnel infirmier et social y est plus nombreux.
Rien de tout cela donc dans les écoles orphelines qui, si elles cumulent les difficultés, ne disposent pas des moyens d'y faire face.
500 écoles en France
Les élèves concernés "perdent un encadrement renforcé, et des moyens supplémentaires pour organiser des projets ou des sorties", regrette Caroline Brisedoux, secrétaire nationale Sgen-CFDT. "Notre crainte, c'est de voir se creuser des écarts de niveau."
Chez les professeurs, ces disparités génèrent "un sentiment d'injustice", souligne anonymement une enseignante strasbourgeoise. "On se retrouve avec des classes chargées, sans moyens supplémentaires : ça demande beaucoup d'investissement personnel, tandis que l'institution est sourde à toute demande. Ca nourrit un fort ressentiment".
Ces oubliés de l'éducation prioritaire représentent une minorité, mais celle-ci n'est pas négligeable : à Strasbourg, selon la mairie, environ 1.000 élèves sont concernés, sur les 24.000 scolarisés dans le primaire public. A l'échelle nationale, 500 écoles dites "orphelines" ont été recensées dans le rapport "Territoires et réussite" remis en 2019.
Conscientes de ces inégalités, certaines communes, en charge des écoles publiques, tentent de rétablir un peu d'équité. "On essaie de faire des choses avec nos leviers, on considère de la même manière nos écoles orphelines que nos écoles en quartier prioritaire. On les priorise dans le déploiement de nos politiques publiques", souligne Benjamin Soulet, adjoint à la maire de Strasbourg chargé de la Politique de la ville.
Refonte de la carte
Même chose du côté de l'Education nationale, qui a mis en place des Contrats locaux d'accompagnement (CLA) avec certains établissements, pour renforcer temporairement leurs moyens matériels et humains (lire encadré). Le dispositif "va dans le bon sens", souligne Caroline Brisedoux, mais n'offre "clairement pas le même niveau" d'accompagnement qu'un classement en REP.
De nombreux acteurs réclament donc une refonte de la carte de l'éducation prioritaire, dont la version actuelle date de 2014/2015 et n'a pas suivi les évolutions constatées dans les quartiers depuis 10 ans. "Cette carte n'est pas toujours corrélée à la situation économique et sociale du territoire. Le peuplement bouge, le logement social bouge, il faut que le découpage bouge aussi", analyse Benjamin Soulet.
Dans un rapport publié en juillet 2023, la députée et ancienne enseignante Agnès Carel (Horizons) défend une "refonte totale de la carte" de l'éducation prioritaire "en prenant en compte la situation des écoles", plutôt qu'en se basant uniquement sur les collèges (lire notre article du 13 juillet 2023).
Lors de sa conférence de rentrée, le ministre de l'Education nationale Gabriel Attal (notre article du 2ç août 2023) a annoncé qu'il ne prenait "aucun engagement" quant à un calendrier de réforme de l'éducation prioritaire. Ce travail "doit être mené de concert" avec la révision de la carte des "Quartiers de politique de ville", a-t-il cependant reconnu.
Le statut REP+ accessible pour les écoles dites orphelines ?Dans sa réponse publiée au Journal officiel le 15 novembre 2022, le ministère de l'Education rappelle que pour répondre aux besoins spécifiques des territoires et publics les plus fragiles et situés en dehors de l'éducation prioritaire, il a "créé un nouvel outil complémentaire de la carte actuelle des réseaux d'éducation prioritaire (REP) et réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP+) : les contrats locaux d'accompagnement (CLA). Établis par les autorités académiques pour une durée de trois ans, ils bénéficient aux écoles et établissements socialement proches de l'éducation prioritaire. Il estime qu'ils permettent de répondre aux problématiques des écoles dites orphelines car un contrat peut être conclu avec une école quel que soit le profil de son collège de secteur et permettent "d'introduire plus de progressivité dans l'allocation des moyens". Ces contrats concernent en effet les écoles, les collèges mais également les lycées. "Ce dispositif permet donc une prise en compte sur mesure du projet porté par une équipe éducative et des caractéristiques, notamment sociales, de l'établissement", selon le ministère. Lancés à la rentrée 2021 dans les académies de Lille, Nantes et Aix-Marseille, 173 CLA ont été signés avec 100 écoles, 33 collèges et 40 lycées. Un élargissement de la mesure avait été annoncé à la rentrée 2022 dans les 5 académies ultramarines de Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion, de Martinique et de Mayotte et dans les académies de Grenoble, Montpellier et Reims. Dans cette réponse, le ministère ajoute par ailleurs que "c'est le conseil départemental qui décide du secteur de recrutement des collèges, en tenant compte de critères d'équilibre démographique, économique et social", conformément à l'article L. 213-1 du code de l'éducation. Virginie Fauvel / Localtis |