Adolescents en protection de l’enfance : quelle "vie devant soi" ?
L’adolescence a été au cœur d’échanges entre professionnels et élus réunis à Lyon fin juin lors des Assises de la protection de l’enfance. Pour ces jeunes accompagnés par l’aide sociale à l’enfance et parfois placés, le chemin vers l’épanouissement et l’autonomie est semé d’embûches. De l’avis de nombreux intervenants, deux éléments majeurs font la différence : l’existence de "relations réparatrices" entre l’enfant et un ou plusieurs adultes et l’engagement dans la scolarité.
Les 27 et 28 juin derniers à Lyon, les 17e Assises de la protection de l’enfance, organisées par l’Action sociale en partenariat avec l’Observatoire national de l’action sociale (Odas), ont réuni 2.000 participants (et 700 en distanciel) autour du thème de l’adolescence en protection de l’enfance. L’occasion, pour ces élus et professionnels, de mieux comprendre comment, malgré les nombreuses difficultés, faire en sorte que ces jeunes accompagnés par l’aide sociale à l’enfance (ASE) aient "la vie devant soi".
Il a été rappelé que la santé mentale des jeunes, et notamment des jeunes filles, s’est fortement détériorée depuis la crise sanitaire. Le taux d’hospitalisation en psychiatrie a ainsi augmenté de 246% en 2021-2022, par rapport à la période 2010-2019, chez les filles de 10-14 ans (de +163% pour les 15-19 ans et de +106% pour les 20-24 ans), selon des chiffres de mai 2024 de la Drees. Des maisons des adolescents à la gendarmerie, des intervenants décrivent une intensification des violences (intra-familiales et entre jeunes), un rajeunissement de certains phénomènes comme la prostitution et une explosion encore mal prise en charge des cyberviolences au sens large, des jeunes sans repères qui se tournent vers les réseaux sociaux à défaut de trouver de l’aide parmi les adultes, des parents pas forcément "malveillants" mais démunis, de "grosses négligences"…
Nouer des relations nécessite de la stabilité
Dans ce contexte général, les professionnels de la protection de l’enfance se retrouvent face à un double impératif de prévention (pour éviter que nombre de situations ne se détériorent) et d’accompagnement suffisamment soutenant pour des enfants qui n’ont parfois pas d’autre adulte "sur qui compter" dans leur vie.
Invités à témoigner lors de ces assises, plusieurs enfants, ou jeunes adultes ayant été placés, ont mis l’accent sur l’importance d’avoir au moins une relation solide (avec une assistante sociale, un éducateur, une assistante familiale…). "A la sortie de la protection de l’enfance, un jeune sur deux dit ‘je ne peux pas du tout compter sur mes parents’ et un sur quatre ne les voit plus du tout", souligne Philippe Fabry, éducateur spécialisé et docteur en sciences de l’éducation, citant le dispositif de recherche Elap (Étude sur l’accès à l’autonomie des jeunes placés). Il appelle à "continuer à avancer sur l’exclusivité du lien de filiation", considérant qu’"un enfant a besoin de plusieurs adultes qui se font du souci pour lui".
Outre la rupture des 18 ans ou, lorsqu’il y a eu un contrat jeune majeur, dès 18 ans et quelques mois, voire dès 19 ou 20 ans, l’accent a été mis sur les ruptures – les changements de lieu de placement - que subissent de nombreux enfants au cours de leur parcours en protection de l’enfance. Spécialiste de la théorie de l’attachement et fondatrice des Instituts de la parentalité, Anne Raynaud confirme que la stabilité est nécessaire pour que l’enfant puisse nouer des "relations réparatrices". La psychiatre considère que la loi de 2016 est plus explicite que les précédentes sur le "méta-besoin de sécurité" de l’enfant et observe, au cours de formations, que les juges sont de plus en plus "soucieux d’avoir des éléments d’objectivation" sur les liens que développe l’enfant.
Favoriser l’"épanouissement scolaire" et respecter les souhaits d’orientation
L’accent a été mis sur l’importance de la scolarité dans le parcours de l’enfant. Auteur du roman Les conditions idéales et ancien enfant placé, Mokhtar Amoudi estime que son "attrait pour la lecture, pour l’école" a été décisif : "il n’y a que ça pour s’en sortir", tranche-t-il. Présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, Alice Grunenwald insiste, à l’issue d’échanges en atelier sur ce thème, sur les résultats prometteurs des dispositifs ("une véritable stratégie, des moyens dédiés comme une éducatrice scolaire") qui visent à rétablir l’"estime de soi" des jeunes de l’ASE et à favoriser une forme d’"épanouissement scolaire" faite d’"envie" et "de projets".
Président de l'Association départementale des personnes accueillies en protection de l'enfance du département d'Indre-et-Loire (Adepape 37), Maxime Groult exhorte le secteur à respecter les souhaits d’orientation du jeune, à ne pas avoir "peur de l’échec" pour ce jeune sous prétexte que "sa vie est déjà un échec". Les jeunes eux-mêmes savent qu’ils n’ont pas de "filet de sécurité", comme le résume Krisztina Winter, 21 ans, placée à 15 ans après le décès de sa mère : "Lorsque je me suis lancée dans le droit, je me suis dit ‘si ça ne te plait pas, tu continues’. Heureusement, cela m’a plu."
D’autres enjeux, plus émergents, ont été abordés lors de ces Assises, comme "l’usage des smartphones par les enfants placés" - une recherche sur ce thème a été présentée par la sociologue Emilie Potin. Cette dernière explique qu’il s’agit de "négocier ce droit" dans un cadre collectif, par exemple dans le cadre du projet pour l’enfant - le professionnel ayant un "mandat de protection [qui] doit être adossé à des décisions collectives". Et de trouver le juste cadre permettant d’"assurer une forme d’inclusion dans le monde numérique" (en particulier au service de liens de sociabilité amicaux et scolaires) et la protection du jeune confié, notamment vis-à-vis de sa famille.
› La commission d’enquête sur la protection de l’enfance en suspensParmi les chantiers parlementaires qui ont pris fin avec la dissolution de l’Assemblée nationale, la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance avait déjà conduit à une vingtaine d’auditions. Non-exécution des placements, inégalités territoriales, notamment la prise en charge des jeunes majeurs, "manque de données et de transparence de la part des départements", difficultés budgétaires et de recrutement… autant de "sujets récurrents" au fil de ces auditions, dont Départements de France s’est fait l’écho sur son site. L’association d'élus souligne la volonté de la rapporteure "de ne pas opposer l’État et les départements" et d’"avancer sur les taux d’encadrement (notamment dans les pouponnières)". Si "les disparités entre départements ont fait l’objet de critiques récurrentes", des auditions (magistrats en particulier) "ont permis de démontrer que les disparités étaient à trouver chez d’autres acteurs", relève Départements de France. Enfin, en particulier après la remise du rapport Woerth, la question de la recentralisation de la protection de l’enfance a été soulevée (voir notre article) – les départements notant que "la plupart des auditionnés n’ont pas défendu la recentralisation, à l’exception notable des collectifs d’anciens enfants placés". Les comptes-rendus des auditions de cette commission sont en ligne. "Une demande sera déposée pour relancer la commission d'enquête une fois les instances de l'Assemblée nationale installées", promet sur LinkedIn Isabelle Santiago, députée socialiste réélue dans le Val-de-Marne et rapporteure – jusqu’à la dissolution - de cette commission. La refonte de ce système "à bout de souffle" est "une réelle urgence en santé sociale, tant pour le développement secure des enfants, que les professionnels du secteur médico-social en grande souffrance", affirme la députée. Plaidant pour la mise en œuvre de 14 mesures d’urgence, la Cnape appelle également à une mobilisation nationale pour la protection de l’enfance, le 25 septembre prochain à Paris. |