Départements : une hausse des dépenses sociales portée par la protection de l'enfance

L'Observatoire national de l'action sociale (Odas) a présenté le 19 juin son enquête annuelle sur les dépenses sociales et médicosociales des départements. La hausse (5,2%) est la plus forte de celles observées depuis dix ans. Trois domaines concentrent les augmentations de dépenses les plus importantes : la protection de l'enfance, le handicap et les dépenses de personnel.

Il y a un an, en dévoilant sa traditionnelle enquête sur les dépenses sociales et médicosociales des départements, l'Observatoire national de l'action sociale (Odas) évoquait "l'arbre qui cache la forêt". L'arbre, c'était la baisse des dépenses liées au RSA cachant des hausses dans d'autres domaines d'intervention. Cette année, l'intitulé choisi pour sa nouvelle étude portant sur les chiffres 2023 est plus tranchant : "Au pied du mur". La raison est simple : ces dépenses ont augmenté de 5,2%, soit plus que l'inflation… et bien plus que ce que l'on a pu observer "depuis plus de dix ans", y compris pendant les années Covid, tel que l'a souligné le 19 juin Didier Lesueur, le délégué général de l'Odas, en présentant l'étude à la presse. La hausse avait été de 2,7% en 2022 et  de 0,4% en 2021, "Aujourd'hui, ce sont les dépenses liées à toutes les politiques sociales des départements qui augmentent", a-t-il insisté. En rappelant que l'Odas privilégie la notion de "dépense nette", qui correspond à la dépense globale défalquée des recettes d'activité, récupérations d'indus etc. Ainsi que celle de "charge nette" qui, elle, est calculée une fois que l'on retranche l'ensemble des concours de l'État dédiés au financement des diverses allocations (RSA, APA, PCH) et représente donc le poids financier final assumé par les départements.

En 2023, "la dépense nette d’action sociale départementale s’élève à 43,6 milliards d’euros, soit une dépense supplémentaire par rapport à l’année précédente de 2,15 milliards d’euros", résume l'Odas. La charge nette s'élevait quant à elle à 34,3 milliards, contre 32,6 milliards en 2022, soit une hausse de 1,7 milliards (+5,3%). Dépense nette et charge nette suivent donc à peu près la même courbe, sachant que "les abondements de l’État ont progressé de 420 millions d’euros (+ 4,7 %), les concours de la CNSA étant largement réévalués à la hausse alors que les concours pour le RSA demeurent stables".

Protection de l'enfance

Trois domaines concentrent les augmentations de dépenses les plus importantes : la protection de l'enfance, le handicap et les dépenses de personnel. À commencer par la protection de l'enfance ou aide sociale à l'enfance (ASE) qui, avec une dépense en hausse de 10,2%, explique pas moins de 42% de la hausse globale. En cause : à la fois l'augmentation du coût du placement (en raison principalement des revalorisations salariales) et la hausse du nombre d'enfants pris en charge. En sachant que la partie accueil/hébergement représente 87% de la dépense d'ASE. Et qu'on a compté l'an dernier 10.700 enfants de plus pris en charge, dont 6.800 mineurs non accompagnés (MNA). Les experts de l'Odas analysent cela comme un "rattrapage" post années Covid (fermeture des frontières s'agissant des MNA, obligation de garder les jeunes majeurs…) et constatent donc que l'on retrouve une courbe semblable aux années pré-Covid. L'augmentation du nombre de mineurs accueillis ne dit toutefois pas tout de la situation, car "il y a de nombreuses décisions de placement non réalisées faute de places", précise Didier Lesueur, qui les évalue à 6 ou 7.000. "Les départements font face à un afflux de demandes nouvelles mais ont des difficultés à y répondre", complète-t-il tandis que Claudine Padieu, la directrice scientifique de l'Odas, pointe "un phénomène montant de désarroi de mères ou de familles isolées" venant nourrir un recours accru aux services de l'ASE.

Handicap

L'autre poste de dépenses qui a le plus augmenté est celui du soutien aux personnes handicapées, en hausse de 580 millions à 9,3 milliards (+6,7%). En matière de handicap, 70% de la dépense correspond à l'accueil et à l'hébergement (140.000 personnes). Toutefois, on ne constate pas de forte hausse sur ce terrain. La hausse se situe en effet surtout du côté de la prestation de compensation du handicap (PCH), pour la troisième année consécutive, avec de nouveau 13.000 bénéficiaires de plus. L'explication est avant tout démographique avec "l'arrivée, chaque année, d'enfants [handicapés] à l'âge adulte". L'élargissement de l'accès à la PCH à certains handicaps psychiques ou mentaux joue certainement aussi un rôle. Mais la hausse de la dépense PCH est aussi à relier au coût croissant de la prestation pour un même bénéficiaire, lui-même corrélé aux hausses salariales dans les services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad).

Personnels

Le coût salarial et donc les dépenses de personnel, mais cette fois du personnel départemental, est la troisième grande cause de la hausse globale des dépenses sociales. Cette dépense de personnel augmente de plus de 6%, pour atteindre 4,47 milliards. Cela s'explique notamment par les revalorisations du point d'indice, l'attribution de points d'indice majorés, la prime exceptionnelle… sans oublier le choix de certains départements de revaloriser les salaires de certains agents, en complément des mesures décidées par l'État, dans un contexte de tensions en matière d'attractivité. Claudine Padieu évoque un cercle vicieux, entre "postes vacants, découragement, démissions et difficultés à recruter". Les premiers services touchés seraient ceux de l'ASE, de la PMI et des services sociaux de proximité.

Personnes âgées

Le champ des personnes âgées affiche pour sa part une hausse "raisonnable" : +3% pour la dépense nette et +2% pour la charge nette, grâce au soutien de la CNSA. 87% de la dépense totale est liée à l'APA, que ce soit à domicile (dépense en hausse de 6,8%) ou en établissement (+4,2%). Sur l'APA à domicile, l'Odas relève toutefois que le montant global des dépenses est minoré du fait du "grand nombre d'heures accordées dans le cadre des plans d'aide mais pas réalisées" pour cause, notamment, de difficultés de recrutement des Saad. Concernant les établissements, l'observatoire rappelle l'expérimentation prévue dans dix départements, avec les ARS, visant à fusionner l'APA et le forfait soins. Didier Lesueur y voit une possible "simplification" mais pointe aussi un risque : que les Ehpad soient à terme uniquement considérés comme un lieu de soins et non plus comme un "lieu de vie".

RSA et insertion

S'agissant, enfin, du soutien à l'insertion, il y a bien eu en 2023 une baisse du nombre de bénéficiaires du RSA (-1,7%), mais moindre qu'en 2022 (-4,3%). Les dépenses d'allocations ont toutefois continué d'augmenter du fait des revalorisations du montant du RSA. L'Odas pointe en outre les incertitudes pesant sur la future courbe du RSA, du fait des diverses réformes envisagées ou du moins évoquées depuis quelques temps : modification des règles d'indemnisation du chômage, suppression de l'ASS, expérimentation d'une recentralisation du RSA, ouverture automatique des droits… Sans oublier l'expérimentation par 18 départements de l'accompagnement renforcé des bénéficiaires du RSA sous conditions (sur la base de 15 heures d'activité).

Si l'Odas se dit préoccupé, c'est parce que face à ces multiples hausses, les recettes ne suivent pas. Les chiffres de la Banque postale également présentés ce 19 juin le montrent clairement, avec une épargne brute en forte baisse. Mais c'est aussi parce qu'il voit se dessiner une "crise structurelle qui ne pourra pas seulement être résorbée par le recours aux politiques réparatrices de l'action sociale". Singulièrement s'agissant de la protection de l'enfance. "Les collectivités doivent permettre à chacun de s'appuyer sur des solidarités de proximité, sinon ce ne sera pas soutenable", avertit Didier Lesueur.

L'intégralité de l'étude sera rendue publique en septembre

 

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