Protection de l’enfance : les députés poursuivent malgré tout leurs travaux
Une commission d’enquête qui a pu redémarrer en novembre, une proposition de loi visant à instaurer des taux d’encadrement dans les établissements et des recommandations de la délégation aux droits des enfants : les députés accordent actuellement une attention importante à la protection de l’enfance. Les départements, comme l’ancienne ministre Agnès Canayer, ont été récemment auditionnés par ces organes de l’Assemblée. Si l’instauration de taux d’encadrement n’emporte par l’adhésion des départements, tous les acteurs soulignent l’urgence d’identifier des solutions à la crise profonde que connaît la protection de l’enfance.
Interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale, les travaux relatifs aux manquements des politiques de protection de l’enfance ont repris il y a un mois, après l’approbation par les députés de la reconstitution de la commission d’enquête. Parmi les personnes auditionnées depuis le 12 novembre 2024, on peut citer Josiane Bigot, co-rapporteure de l’avis du Conseil économique, social et environnemental sur la protection de l’enfance (voir notre article), Claire Hédon, Défenseure des droits, et Eric Delemar, Défenseur des enfants, des représentants de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé (Andass) et du Groupe national des établissements sociaux et médico-sociaux (Gepso), l’ancienne ministre en charge de l’enfance Sarah El Haïry ou encore Anne Raynaud, psychiatre et directrice de l’Institut de la parentalité. Deux tables rondes ont porté sur le placement familial et sur les mineurs non accompagnés (MNA).
Désormais "le sujet principal de discussion" entre les départements
Le 18 décembre 2024, les représentants de Départements de France (DF) ont été auditionnés : son président François Sauvadet, Jean-Luc Gleyze, président du groupe de gauche, et Florence Dabin, en tant que vice-présidente de DF et également en tant que présidente du Groupement d’intérêt public (GIP) "France Enfance protégée". La protection de l’enfance "est devenue le sujet principal de discussion entre nous", a témoigné François Sauvadet, alors que l’association d’élus a consacré une plénière sur ce thème lors de ses dernières assises (voir notre article). Insistant sur "la montée des violences" et considérant que la protection de l’enfance engageait "toute la société", le président de DF a mis l’accent sur les limites du système, du fait de la hausse du nombre de mineurs confiés notamment avec l’afflux de MNA, de la crise du recrutement, mais aussi du manque de réponses du côté de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de la pédopsychiatrie. "On ne peut pas être le résultat, nous départements de France, de la défaillance d’un système", s’est-il défendu.
"On est bien sur des manquements de politiques publiques", lui a répondu la rapporteure Isabelle Santiago (socialiste, Val-de-Marne), estimant que l’État est "l’un des parents défaillants" et soulignant que la Défenseure des droits s’était auto-saisie des situations des départements du Nord, de la Somme, de la Loire Atlantique, de l’Isère, de la Guadeloupe, du Pas-de-Calais, des Côtes d’Armor, du Var, de Maine-et-Loire, d’Ille-et-Vilaine, de la Sarthe et de la Côte-d’Or. La députée appelle à "changer de modèle", concernant en particulier la prise en charge des plus jeunes en pouponnière (voir l’encadré à notre article).
Normes d’encadrement : un projet de décret bloqué depuis deux ans
Isabelle Santiago a également déposé, le 19 novembre avec plus de 40 de ses collègues, une proposition de loi visant à instaurer des normes d’encadrement dans les établissements d’accueil de la protection de l’enfance. Dans l’exposé des motifs du texte, il est rappelé que ce sujet a été travaillé, "pendant plus de deux ans", par l’État, les départements et les associations, pour aboutir à un projet de décret en avril 2022. "Malheureusement, deux ans plus tard, force est de constater qu’aucune publication de texte règlementaire n’a eu lieu, alors même que des taux et normes d’encadrement existent dans d’autres secteurs liés à l’enfance", est-il déploré. "L’urgence est réelle", écrivent les députés qui pointent la hausse du nombre d’enfants pris en charge et la dégradation des conditions d’accueil.
Des propositions pour les ministères, le bloc communal et les départements
Dans le cadre de la délégation aux droits des enfants, des députés ont porté d’autres travaux sur la protection de l’enfance, avec des propositions qui ont été récemment publiées. Ces propositions s’adressent aux différents ministères concernés (Famille et petite enfance, Éducation nationale, Intérieur, Partenariat avec les territoires, Justice, Enseignement supérieur, Santé, Numérique, Outre-mer), aux départements et enfin aux communes et intercommunalités. Pour ces dernières, l’accent est mis sur la responsabilité en matière d’accueil du jeune enfant (voir notre article) mais aussi dans la coordination de la détection des violences notamment par la formation des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) et des animateurs périscolaires. Les propositions adressées aux départements portent sur l’aide à la parentalité, le repérage, la diversification des structures d’accueil, l’accompagnement des jeunes majeurs ou encore la collecte des données.
Les recommandations sont diverses : la délégation appelle par exemple à "rendre obligatoire la mise en place d’un établissement type village enfant par département avec un appui de la Banque des Territoires", à "utiliser la possibilité de cumuler la fonction d’assistant familial avec un autre emploi (dans l’attente de donner cette possibilité aux fonctionnaires)" (voir notre article) ou encore à confier le soin aux départements d’outre-mer et à l’Observatoire de la parentalité de "réaliser des cartographies dans chaque Drom qui identifieraient les types de violence et l’auteur, par zone géographique, afin de mieux cibler les politiques de prévention".
"Comme DF a pu le rappeler à diverses occasions, la solution à la crise actuelle ne réside pas dans des normes ni des textes supplémentaires", a commenté Départements de France sur son site. L’association d’élus appelle à privilégier un travail partenarial de "l’ensemble des acteurs sur la base d’actions et d’engagements communs".
Agnès Canayer : "désinstitutionnaliser" la protection de l’enfance
Auditionné le 19 novembre dans le cadre de ces travaux, Agnès Canayer, alors ministre en charge de la famille, a fait le point sur les chantiers, en cours ou à venir, du gouvernement – devenu depuis démissionnaire - en matière de protection de l’enfance au sens large : développement de la prévention notamment dans le cadre du dispositif des 1.000 premiers jours, publication prochaine d’un référentiel national sur la qualité des crèches et mise en œuvre d’un plan annuel de contrôle, protection des enfants dans l’environnement numérique, santé mentale des enfants, renforcement des plans de lutte contre les violences faites aux enfants, actualisation du taux d’encadrement dans les pouponnières, possible extension des Comités départementaux pour la protection de l’enfance
Pour "refonder la politique de la protection de l’enfance", Agnès Canayer souhaitait "désinstitutionnaliser", "retravailler le parcours de l’enfant, renforcer la prévention, en lien avec les familles, et mobiliser davantage toutes les solutions possibles dans le cadre d’un parcours individualisé – recours à la famille ou à des tiers de confiance, révision des conditions d’adoption". Concernant l’attractivité des métiers, "nous avons posé le principe de la création d’un comité de filière", avait-elle ajouté.
En attendant la nomination d’un nouvel interlocuteur gouvernemental, les députés de la délégation aux droits des enfants prévoyaient de poursuivre leurs travaux, avec une table ronde planifiée le 15 janvier 2025 sur la prostitution des mineurs.