Assises des départements - Michel Barnier : quelques concessions et plusieurs "chantiers"
Les Assises des départements se sont conclues ce vendredi 15 novembre à Angers par l'intervention du Premier ministre, qui a apporté des réponses partielles aux demandes exprimées haut et fort pendant deux jours par Départements de France en matière, principalement, de finances. Au-delà des dispositions du projet de loi de finances, Michel Barnier a prôné un "nouveau modèle" pour les départements, le financement de leurs compétences sociales et leur association aux décisions qui les concernent.
"J'ai bien fait de venir !", a ironisé Michel Barnier en montant ce vendredi 15 novembre à la tribune du palais des congrès d'Angers pour assurer la clôture des Assises des départements. Le Premier ministre venait il est vrai d'entendre les allocutions successives de cinq présidents de conseils départementaux porteuses de fortes attentes et demandes, exprimées avec calme mais fermeté, à l'image de la tonalité parfois âpre des prises de parole et échanges qui avaient lieu tout au long de la journée précédente (voir notre article de jeudi soir rendant compte du premier jour de ces Assises). Il savait donc le terrain miné.
Ces demandes et attentes avaient été synthétisées dans une Résolution transpartisane préparée deux jours plus tôt par les présidents. Un scrutin électronique en direct auprès de tous les conseillers départementaux réunis à Angers (1.300 congressistes) a très largement validé vendredi la teneur de ce document à l'issue de sa présentation par Jean-Léonce Dupont, le vice-président de Départements de France (94,2% de votes pour).
Cette résolution (à télécharger ci-dessous) posait quatre exigences immédiates liées à ce que prévoient les textes financiers du moment : que les départements soient exonérés du prélèvement de 2% sur les recettes prévu par le projet de loi de finances ("fonds de précaution") ; qu'il n'y ait pas de gel de la TVA ; que l'Etat abonde d'au moins 163 millions d'euros le fonds de sauvegarde destiné aux départements en grande difficulté ; que la CNSA compense au moins la moitié de l'APA et de la PCH d'ici 2027, via un transfert de 0,15 point de CSG. Également revendiqué, le relèvement de 1%, "à titre provisoire", du plafond des taux de DMTO.
Ça, c'était pour l'"urgence", le très court terme face à la "gravité de la situation" dans laquelle se trouvent aujourd'hui les départements pris en étau entre des dépenses contraintes qui explosent, notamment sur le social, et des ressources déjà exsangues, notamment du fait de la chute brutale des DMTO (voir notre article de ce jour sur l'étude de la Banque postale objectivant la dégradation de la situation financière des départements).
Les élus demandent en outre l'attribution d'une part de la "CSG immobilière" (CGS sur les plus-values immobilières). Et, comme cela avait été largement évoqué la veille, la résolution insiste sur la nécessité de voir plus loin - de travailler dès maintenant à la mise en place d'une "nouvelle fiscalité départementale" et de mettre un terme à la pratique des transferts de charges non concertés et non compensés, y compris tous les transferts masqués.
"Réduire très significativement l'effort demandé"
La liste n'a guère surpris Michel Barnier, ne serait-ce que parce que depuis sa nomination à Matignon, celui-ci s'est déjà entretenu plusieurs fois avec François Sauvadet, le président de Départements de France (DF). Les réponses que le Premier ministre a pu apporter au fil de son intervention d'une heure faisant la part belle aux disgressions étaient donc relativement cohérentes bien que partielles. Il avait d'ailleurs d'emblée prévenu qu'il tiendrait "un discours de vérité", avec des choses qu'il "ne peut pas faire" étant donné le contexte budgétaire. Il s'agit de "procéder par étapes" à l'heure où "le pays n'a plus de marges de manœuvre financières". En ligne de mire toutefois, une conviction pour celui qui a présidé pendant dix-sept ans (mais il y a longtemps) le département de la Savoie : on a aujourd'hui "poussé jusqu'à ses limites le modèle départemental" ainsi que son financement, il faut "revoir les modalités d'exercice des compétences très spécifiques" des départements et, donc, "inventer un nouveau modèle".
Première étape, inévitablement : le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, arrivé au Sénat dans sa version d'origine mais pour lequel Michel Barnier compte "reprendre certains des amendements" adoptés à l'Assemblée ("notamment des amendements du socle commun", mais "pas uniquement"). Objectif, concernant les dispositions finances locales : "faire en sorte que les efforts demandés soient plus justes qu'ils ne l'étaient dans la première copie" qui, a-t-il souligné, a été "fabriquée en quinze jours". Et, dans ce cadre, "tenir compte de la situation spécifique des départements" dont les marges de manœuvre se réduisent à vue d'oeil… et donc "réduire très significativement l'effort demandé".
Cinq correctifs en vue
Les allègements proposés tiennent en "cinq points" (les trois premiers relèvent du PLF, les deux autres du projet de loi de financement de la sécurité sociale) :
- Fonds de précaution (ou fonds de réserve) : réduire le taux de prélèvement pour les départements, dans la mesure où une bonne part des finances départementales ne sont pas "pilotables". Le chef du gouvernement n'a toutefois pas souhaité être plus précis : la réduction sera "très significative" mais "nous verrons avec le Sénat pour définir ses modalités". "Je sais que vous vouliez une suppression", a-t-il reconnu. Certains élus estiment par exemple qu'un compromis possible consisterait à exclure le champ social de ce prélèvement.
- DMTO : relever le plafond "à hauteur de 0,5%", qui serait ainsi porté à 5% (c'est donc l'option basse qui a été choisie). Ceci, "sur trois ans", aux termes desquels un "bilan" sera fait. Michel Barnier y voit "des ressources potentielles de 1 milliard d'euros". Mais juge nécessaire de "rester vigilants pour préserver la reprise immobilière".
- FCTVA : "renoncer au moins au caractère rétroactif" de la baisse de taux prévue. Le 13 novembre, la commission des finances du Sénat s'est quant à elle prononcée pour une suppression pure et simple du dispositif (voir notre article).
- Concours de la CNSA : "rehausser les concours de la CNSA de 200 millions d'euros" afin de mieux financer les dépenses d'autonomie. Il s'agirait d'un "premier étage". Pour mémoire, il y a un an, aux précédentes Assises des départements à Strasbourg (voir notre article), Elisabeth Borne avait annoncé le déblocage d'une enveloppe de 150 millions d'euros (parlant alors d'ailleurs déjà d'une "première marche") inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Après le décret paru cet été (voir notre article) et l'arrêté de répartition devant, selon le ministre des Solidarités, paraître sous peu, ce "geste 2024" sera "effectivement versé la semaine prochaine", a fait savoir Michel Barnier.
- CNRACL :"étaler sur quatre ans, au lieu de trois, la hausse des cotisations CNRACL" des employeurs territoriaux. La commission des affaires sociales du Sénat, lors de son examen du PLFSS, vient de proposer ce même lissage sur quatre ans (voir notre article).
Une nouvelle "méthode" pour le social
Au-delà des textes financiers du moment, Michel Barnier entend, malgré les incertitudes pesant sur la durée de son séjour à Matignon ("Je suis prêt à repartir demain", a-t-il glissé), proposer un "cadre de travail" aux départements. Lequel s'inscrira en partie dans le "plan de réformes" à trois ou cinq ans qu'il compte, avait-il déjà dit fin octobre dans une interview au Parisien, présenter dans les semaines qui viennent. Il s'agira, a-t-il dit ce vendredi, d'une "vision" pour "l'ensemble du pays" afin de "relever l'horizon". Plus concrètement, ce plan sera constitué d'une "cinquantaine de propositions", dans "tous les secteurs", dispatchées entre les ministres concernés. Un certain nombre d'entre elles pourront concerner les départements, dont son idée d'"allocation sociale unique" qu'il avait évoquée début octobre lors d'une intervention sur France 2 (voir notre article).
Cette allocation sociale unique figurera au menu des sujets que le Premier ministre dit vouloir aborder avec une méthode renouvelée : "Les politiques sociales, désormais, seront conçues en commun", affirme-t-il. Il compte pour cela installer "début 2025" une "instance de pilotage Etat-départements" qui sera consultée "avant toute décision de l'Etat qui affecte les finances départementales". Et ce, pas pour un simple avis sur une décision déjà prise, mais "au stade de la conception des projets". Sur cette base-là pourra être bâtie une "contractualisation pluriannuelle" permettant d'établir des projections sur l'évolution des dépenses.
Parmi les "chantiers structurants" qu'il compte engager avec cette "méthode", trois devront être conclus dès la "fin du premier trimestre 2025" :
- Un travail d'"évaluation des besoins de financement de l'autonomie à fin 2030", afin que ces trajectoires puissent figurer dans le PLFSS pour 2026.
- La "simplification" des fonds de concours de la CNSA "dès 2025, avant fusion". On sait que les travaux sur la réforme des douze concours de la CNSA ont en fait déjà été initiés, copilotés par l'Etat et DF sous l'égide du comité des financeurs (voir par exemple notre interview de mars dernier Virginie Magnant, la directrice de la CNSA).
- Une "refondation" de la politique de protection de l'enfance, sujet sur lequel Florence Dabin, la présidente du Maine-et-Loire et présidente du GIP France enfance protégée, avait amplement mis l'accent dans son discours d'accueil du Premier ministre, abordant entre autres les enjeux de prévention, de santé mentale et de "circuit de signalement simplifié" (sujet développé dans son rapport remis début octobre à la ministre Agnès Canayer – voir notre article).
Simplifier, clarifier, déconcentrer
Plus globalement, dépassant cette fois le cadre des dossiers du social, Michel Barnier a évoqué le "combat pour la proximité" qu'il juge nécessaire, soulignant que l'intitulé du ministère confié à Catherine Vautrin, le "partenariat avec les territoires", n'avait pas été choisi par hasard. Trois axes ont été mis en avant :
- Simplification : "un Etat qui se concentre sur l'essentiel", qui autorise voire encourage "l'adaptation des règles", qui "fait confiance aux partenaires"… Le Premier ministre s'est à ce titre référé à sa circulaire datée de fin octobre qui précise les modalités des "contrats de simplification" qu'il avait appelés de ses vœux dans sa déclaration de politique générale et qui invite les préfets à identifier puis "débloquer", "y compris par dérogation", un certain nombre de projets dans leur département (voir notre article du 4 novembre). Il s'est également référé au projet de loi de simplification désormais porté par le ministre Guillaume Kasbarian, qui soit aboutir "en 2025" (voir notre article du 23 octobre sur ce texte après son passage au Sénat).
- Clarification des rôles : "Il faut mieux définir le rôle de chacun", y compris entre strates de collectivités, afin de "revenir" à des choses "plus lisibles", estime Michel Barnier. Y compris vis-à-vis des "très grandes régions" qui auraient finalement renforcé l'importance des départements. A ce titre, il propose l'élaboration d'une "feuille de route Etat-départements sur l'aménagement du territoire", qui pourrait ensuite être déclinée dans le cadre de contrats locaux (contrats existants, quitte à les rebaptiser).
- Déconcentration : comme il a déjà eu l'occasion de le faire – et comme pas mal de ses prédécesseurs l'ont fait avant lui –, il a insisté sur la nécessité de "redonner au préfet de département la plénitude de son rôle", de "ramener un certain nombre d'opérateurs dans le giron de l'Etat" et de "réaffirmer le rôle" de l'Etat déconcentré en matière d'"accompagnement des élus" locaux.
Enfin, Michel Barnier a invité les élus départementaux à lui faire part de leurs "idées" sur deux sujets. D'une part, celui du conseiller territorial. Sans avoir, certainement, oublié l'opposition que cette proposition d'élu hybride avait suscité à l'époque (2010… avant qu'elle ne soit remise au goût du jour par le rapport Woerth de mai dernier), il souhaiterait connaître leur "sentiment actualisé" là-dessus. D'autre part, le cumul des mandats, en se disant "ouvert" à une réflexion sur le sujet, l'objectif étant de "rapprocher les élus nationaux des citoyens". Là-dessus, applaudissements dans la salle.
"Assistance respiratoire"
"Au moins, il a écouté" et montré qu'il "compte sur les départements", a réagi à chaud François Sauvadet en sortant de l'auditorium du Palais des congrès d'Angers. Le président de Départements de France a salué "un premier pas", une "volonté de dialogue", un "geste" appréciable sur les DMTO... mais attend maintenant "la fin du débat parlementaire" sur le PLF et donc la loi définitive avant de juger si "l'asphyxie" financière que les départements redoutent pourra effectivement être freinée. "Les discussions ont déjà commencé avec les sénateurs et nous restons vigilants et mobilisés", a-t-il ensuite déclaré dans un communiqué, jugeant globalement que "certaines annonces vont dans le bon sens", notamment en termes de reconnaissance de "la situation spécifique des départements" privés de levier fiscal. De reconnaissance, aussi, du "rôle irremplaçable" des départements. François Sauvadet voit également d'un bon oeil la proposition d'un "nouveau cadre de travail".
Parmi les réactions des élus de gauche, celle de Chaynesse Khirouni, présidente du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, qui reconnaît un "diagnostic" partagé mais estime que "le compte n’y est pas", regrettant par exemple l'absence de réponse sur le financement du "Ségur pour tous". Selon elle, les mesures proposées relèvent davantage d'une "assistance respiratoire" que de la "grande bouffée d'oxygène" que les élus départementaux avaient appelé de leurs voeux.