Assises des départements : "L'appel des 103"

Les Assises des Départements se sont ouvertes ce 14 novembre à Angers. On s'en doutait un peu : la contribution des départements prévue par le projet de loi de finances ne passe pas. Alors que les dépenses départementales, notamment sociales, explosent, pas question pour les représentants de Départements de France que cette strate déjà fragilisée voie ses ressources ponctionnées de 2,2 milliards d'euros. Michel Barnier était attendu de pied ferme ce vendredi pour de possibles annonces.

Sans surprise, l'ouverture des Assises des Départements de France ce jeudi 14 novembre à Angers, à l'invitation du Maine-et-Loire, a été dominée par les mesures financières contenues dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 qui vient d'arriver au Sénat. Comme ceux des autres associations d'élus locaux, les représentants de Départements de France (DF) n'ont eu de cesse d'alerter sur le sujet depuis la présentation de ce PLF. Comme les autres… mais sans doute plus encore que les autres, mettant en avant le fait que les départements sont à la fois le niveau de collectivité financièrement le plus fragile, le plus "exposé", et celui qui sera le plus touché par les dispositions prévues.

François Sauvadet, le président de DF, l'avait déjà largement évoqué fin octobre (voir notre article) : sur l'effort de 5 milliards d'euros demandé aux collectivités dans le cadre du PLF, ce sont 2,2 milliards qui tomberont sur les départements, soit 44% de l'effort global. Et si l'on considère uniquement le prélèvement de 3 milliards sur les ressources des 450 plus grandes collectivités, 50% viendra des seuls départements. Quant au gel de la TVA, là encore, les départements seront particulièrement visés, alors même que lorsque la taxe foncière leur avait été retirée au profit d'une part de TVA, l'État leur avait vendu le dynamisme de cette ressource… "Et finalement, on nous enlève cette dynamique !", bondit Jean-Léonce Dupont, président du Calvados et de la commission finances de DF, qu'on a rarement vu si courroucé, déclarant sans ambages que Bercy est "soit incompétent soit tricheur".

François Sauvadet parle lui de "pompier pyromane" de la part d'un État central demandant aux collectivités de "participer à la résorption d'un déficit qu'il a lui-même creusé". Pour les deux élus, l'idée même d'un prélèvement ou d'une restriction sur une ressource ayant à l'origine été conçue comme une compensation (d'un transfert de compétences ou de la suppression d'une autre ressource) est "invraisemblable" et risque de susciter une sérieuse crise de confiance : "On ne vit plus que de dotations, de TVA… sur lesquelles on veut aujourd'hui nous ponctionner !" "On ne ponctionne pas un échelon qui est déjà en grande difficulté", a abondé Jean-Luc Chenu, le président d'Ille-et-Vilaine, qui rappelle que les départements ont perdu 6 milliards d'euros de DMTO (droits de mutation) en deux ans.

Bientôt 80 départements en difficulté ?

"Il y a deux ans, nous avions 14 départements en difficulté. En milieu d'année, il y en avait 30. En fin d'année, nous en serons à 60", a posé François Sauvadet dans son discours d'ouverture de ces Assises auxquelles participent, au-delà des présidents de département, pas moins d'un tiers des conseillers départementaux du pays. Une salle pleine et très réactive. Et si le PLF devait être appliqué en l'état, ce serait non plus 60 mais, d'ici fin 2025, 80 départements, a-t-il calculé, étant considéré comme en difficulté un département dont le taux d'épargne brute est inférieur à 7%. "Ces chiffres, nous les avons donnés aux ministres", souligne le président de la Côte-d'Or, reconnaissant que "personne ne conteste la situation".

Lors de diverses prises de parole récentes, que ce soit du côté de Laurent Saint-Martin (Budget) ou de Catherine Vautrin (Partenariat avec les territoires), les difficultés particulières des départements ont effectivement été évoquées, laissant entrevoir de possibles ajustements les concernant. Par exemple un relèvement du taux de DMTO (de 1%... ou bien de seulement 0,5%). Mais clairement, si le Premier ministre, Michel Barnier, attendu ce vendredi 15 novembre à Angers pour clore les Assises, devait se contenter d'annoncer ou confirmer une mesure de ce type, cela ne suffira pas aux yeux des élus départementaux, qui attendent une "grande bouffée d'oxygène".

Ainsi, ce que DF a nommé "L'Appel des 103 présidents de département" consiste à demander au gouvernement, outre la possibilité de relever de 1% le taux de DMTO, de renoncer tout simplement au prélèvement prévu sur leurs ressources. Et de reconnaître que le gel de la TVA est une "injustice". En outre, les revendications plus anciennes n'ont pas disparu. A commencer par celle d'une participation de l'État au financement des allocations individuelles de solidarité (AIS) au moins à hauteur de 50%. "En six ans, le reste à charge des départements pour les AIS est passé de 6 à 12 milliards d'euros", rappelle Jean-Léonce Dupont. "Il y a quinze ans, les départements prenaient en charge 11% du RSA, aujourd'hui c'est plus de 50%", souligne François Sauvadet. Résultat : "Le social, c'est aujourd'hui 70% de la dépense, contre 53% auparavant."

"On ne restera pas inactifs"

Cet "Appel des 103" s'adresse au gouvernement, mais aussi aux parlementaires devant s'exprimer sur le PLF, ainsi qu'aux "acteurs du champ social" qui risquent de subir les conséquences de coupes à venir dans les ressources départementales. "Mobilisez-vous !", leur lance François Sauvadet. Lequel prévient : "Si la réponse demain n'est pas à la hauteur, on ne restera pas inactifs."

"Arrêtez de charger la barque", dit aussi François Sauvadet au gouvernement, voyant venir "1 milliard d'euros de dépenses supplémentaires dans les mois qui viennent", entre autres liées à l'extension du Ségur, à la future convention collective unique dans le médicosocial et à une revalorisation du RSA. Il y aura aussi "la hausse de la cotisation CNRACL, le Beauvau de la sécurité civile, la couverture santé complémentaire des agents...", liste Florian Bouquet, le président du Territoire de Belfort.

"À la fin de l’année, nous serons 60 à ne pas pouvoir boucler nos budgets, sauf à remettre en cause nos politiques sociales, nos politiques d’aménagement du territoire, le sport, la culture, nos Sdis, nos routes, nos collèges et aussi sans remettre en cause notre accompagnement au monde rural et à ses communes", a déclaré François Sauvadet. Jean-Léonce Dupont insiste lui aussi sur cette dimension "aide aux communes" : "La suppression de subventions au bloc local, ce sera moins d'investissement local, les effets se feront ressentir d'ici un an ou un an et demi." Stéphane Troussel, le président de Seine-Saint-Denis, craint de devoir "emprunter davantage" pour continuer à investir. "Ce PLF, il est tout simplement inapplicable. Qu'est-ce que je dois supprimer ? Ce n'est pas à moi de choisir", déclare Marie-Agnès Petit, présidente de Haute-Loire.

Protection de l'enfance : "l'écosystème est défaillant"

Sur le social, on le sait, la dépense connaît une "explosion". Deux tables-rondes sont venues éclairer ce jeudi à la fois l'ampleur des besoins et la nécessité d'apporter des réponses nouvelles. Tout d'abord une séquence sur la protection de l'enfance. Un sujet logiquement placé en première ligne de ces Assises sachant que Florence Dabin, la présidente du Maine-et-Loire, est aussi la présidente du GIP France Enfance protégée. Et un sujet où le terme d'"explosion" est malheureusement bien à l'œuvre, avec une très forte augmentation du nombre d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) : une multiplication par deux en dix ans. Certes, a relevé Florence Dabin, "on signale plus et mieux les situations préoccupantes", grâce à la chaîne entre le 119 et les cellules départementales de recueil de ces situations. Mais il y a aussi clairement "une recrudescence des violences intrafamiliales". Résultat : "On ne peut plus faire face." Et en tout cas, le département ne peut pas faire seul. "Les départements font leur part, mais l'écosystème est défaillant", a souligné Jean-Luc Gleyze, le président de la Gironde, citant les acteurs de la santé notamment sur la pédopsychiatrie, la justice pour la PJJ, l'Éducation nationale… "En Gironde, le département consacre 5 millions d'euros à la prise en charge de jeunes qui devraient en réalité être en IME [instituts médico-éducatifs] mais où il manque des places", a-t-il témoigné. Son budget ASE a augmenté de 65% en quelques années à peine.

Participant à cette séquence, la ministre en charge, Agnès Canayer, qui a déjà commencé à travailler avec DF, a mis l'accent sur la "responsabilité collective" que représente la protection de l'enfance. Excluant toute volonté de recentralisation, elle a jugé que le GIP constitue "un bel outil" pour "travailler ensemble" et reconnu que l'État doit parfois mieux jouer son rôle, notamment sur "les publics avec double vulnérabilité" (ASE + handicap). Elle s'est par ailleurs montrée plutôt favorable au développement de solutions du type "tiers de confiance" pour l'accueil de certains enfants (solutions familiales notamment), soulignant que celles-ci existent bien dans la loi mais doivent être travaillées avec les magistrats. Elle a, enfin, mis l'accent sur l'enjeu de l'attractivité des métiers, sachant que le secteur compterait "30.000 postes vacants". Un "comité de filière" devrait être constitué là-dessus.

Divers chantiers face aux "mur du vieillissement" 

Autre focus de ces Assises : le vieillissement. Et le fameux "mur du vieillissement" qui attendrait le pays en 2030. Là encore, le message fut assez clair : "Sans moyens supplémentaires, nous n'y arriverons pas", tel que l'a résumé Hélène Sandragné, présidente de l'Aude. Dans ce domaine, plusieurs chantiers ont certes été lancés. Dont l'expérimentation de la fusion des sections soin et dépendance en Ehpad, à laquelle 23 départements ont décidé de participer. Une perspective qui, selon certains élus, doit amener les départements à se recentrer sur le domicile et la prévention.

Le ministre des Solidarités, Paul Christophe – également conseiller départemental, a-t-il souligné – a pour sa part rappelé que le travail sur la réforme des fonds de concours de la CNSA avait avancé et devrait figurer dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Autre chantier en cours : la fusion SSAS / Siad. Il a par ailleurs relevé qu'aucun département n'aurait candidaté pour expérimenter de nouveaux modes de tarification des SSAD. Selon Olivier Richefou, président de la Mayenne et du groupe de travail Grand Âge de DF, cette absence de candidature est liée à "un manque de confiance après les 170 millions d'euros des 'oubliés du Ségur' qu'on nous a imposés sans nous consulter". "Nous vous demandons qu'il n'y ait plus de nouvelles dépenses engagées sans que nous y soyons associés en amont par un comité des financeurs", a-t-il dit au ministre. Lequel a fait savoir qu'un tel comité sera convoqué d'ici la fin de l'année. Ou encore que l'arrêté de répartition des 150 millions d'euros de complément de concours de la CNSA pour le financement de l'APA paraîtra tout prochainement. Paul Christophe n'a en revanche pu s'avancer davantage sur d'autres éventuelles annonces possibles que pourrait faire Michel Barnier ce vendredi.

Michel Barnier prévoit des "ajustements significatifs"

En fin de journée toutefois, les ministres Catherine Vautrin et Françoise Gatel (ruralité), venues échanger avec les élus départementaux, ont esquissé quelques bribes de réponses. Ou ont du moins fait part de leur compréhension. La première s'est ainsi dite consciente du "coût des AIS" et de la flambée de la protection de l'enfance en lien entre autres avec les mineurs non accompagnés (MNA). Elle a reconnu la nécessité d'avoir "une réflexion quant à la ponction sur les recettes réelles de fonctionnement" afin de tenir compte des dépenses dont les départements n'ont pas la maîtrise. Sur une possible hausse du taux de DMTO, elle a en revanche appelé à la "prudence", sachant que cela "ne répondrait pas à la situation de tous les départements" (pas d'impact pour les départements en déprise). Elle a, enfin, donné son point de vue personnel sur la réduction du taux et de l'assiette du FCTVA : elle y voit "un coup de canif dans le contrat" par rapport aux dépenses déjà engagées par les collectivités.

Son de cloche comparable du côté de Françoise Gatel, pour qui "l'effort doit être regardé d'une façon particulière pour les départements". La ministre déléguée prévoit que "le Sénat pourra faire bouger les choses" sur le PLF mais admet que "la période eest très difficile".

A peu près au même moment, une interview de Michel Barnier était publiée par le quotidien Ouest-France, dans lequel le chef de l'Etat n'a guère dit autre chose : "Les départements n’ont plus de pouvoir fiscal, mais ont des dépenses contraintes, notamment sociales, qui augmentent. Je veux leur dire que nous allons tenir compte de cette spécificité très forte, et cela se traduira par des ajustements significatifs du projet de loi de finances sur le volet des collectivités locales". Et d'ajouter par ailleurs, dans une perspective de plus long terme : "Le chantier que nous allons lancer autour d’une allocation sociale unique devrait permettre d’alléger le poids des dépenses sociales à la charge des départements."

Les départements de droite n'excluent pas des mesures de rétorsion

Le moyen et le long terme... tous l'ont dit : au-delà du PLF, c'est dès maintenant qu'il faut s'y intéresser. "D'ici fin 2025, il faudra avoir fait sortir un certain nombre de solutions", soutient Jean-Léonce Dupont. "Il faut tout de suite se mettre au travail pour reconstruire les modalités de financement des départements, faute de quoi dès la prochaine crise, on sera de nouveau au pied du mur", dit de même Stéphane Troussel. Divers éléments ont été évoqués par les uns et les autres : "retrouver un impôt avec une base locale" (Jean-Luc Chenut), "permettre au département de déterminer les règles liées au RSA" (Christian Poiret, Nord), "aller chercher de la CSG", "réléchir à une clause de revoyure après un transfert de compétence" (Françoise Gatel), "remettre à plat le financement des AIS" (Stéphane Troussel)...

En attendant, l'ensemble des présidents de départements ont réussi à se mettre d'accord sur une "résolution", adoptée à l'unanimité moins une voix, qui sera présentée ce vendredi à Michel Barnier. Ce jeudi soir, chacun des deux groupes politiques de DF a toutefois souhaité faire entendre sa propre voix. Le groupe des présidents de départements de gauche (32 présidents) s'est exposé en brandissant une série de pancartes illustrant un certain nombre de missions départementales "en danger" (voir photo sur X/Twitter). "Nous envisageons des mobilisations dans nos propres départements", a déclaré Jean-Luc Gleyze, président du groupe, qui prévoit d'apposer une grande bâche sur l'immeuble de son département.

Le groupe "Droite, centre et indépendants" (DCI) de DF (71 départements) va lui beaucoup plus loin : il a réuni la presse pour faire savoir que si les annonces de Michel Barnier devaient être jugées "pas acceptables", ces départements envisagent "des opérations concertées sur [leurs] territoires". Et non des moindres. Leur porte-parole, Nicolas Lacroix (Haute-Marne), les a listées : "Suspendre nos versements à la Caf dès le 1er janvier" (autrement dit les versements RSA), "ne plus prendre en charge les nouveaux MNA" également dès le 1er janvier prochain ("Que l'Etat s'en débrouille"), "attaquer les décisions de l'Etat prises sans notre accord", éventuellement "se désengager des contrats de plan Etat-régions"... Et Nicolas Lacroix de lancer : "Certes, le gouvernement Barnier doit faire des économies. Mais on ne peut pas se laisser enterrer par nos amis."

 

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