Protection de l’enfance – Pupilles de l’État : une hausse du nombre d’enfants et des profils qui changent

La hausse du nombre de pupilles de l’État est continue depuis dix ans mais la part d’enfants adoptés parmi ces pupilles diminue. Dans son dernier rapport, l’Observatoire national de la protection de l’enfance fournit des clés de compréhension sur l’évolution du profil des enfants qui bénéficient de ce statut protecteur de l’État. Deux tendances en particulier : moins d’enfants nés sous le secret, davantage d’enfants devenus pupilles après une déclaration judiciaire de délaissement parental – une procédure qui a été rénovée par la loi de protection de l’enfance de 2016. 

"Au 31 décembre 2022, 4.516 enfants ont le statut de pupilles de l’État", selon le dernier bilan de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), publié en juillet 2024. "Ce nombre augmente pour la dixième année consécutive, de manière soutenue (+13,9% par rapport à 2021, et +94% entre 2012 et 2022)", souligne l’ONPE. 

Le rapport illustre en outre des changements importants, en dix ans, dans le profil des enfants bénéficiant de ce statut. Fin 2022, les pupilles de l’État étaient âgés, en moyenne, de 9 ans et demi (contre 8 ans en 2012) et avaient été admis en moyenne à l’âge de 7 ans, contre 5 ans en 2012. 76% de ces enfants avaient déjà connu une prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) fin 2022, contre 57% d’entre eux en 2012. Parmi les 4.516 pupilles, 984 enfants vivaient fin 2022 dans une famille en vue d’adoption (+8% par rapport à 2021). "Malgré cette augmentation, la proportion d’enfants confiés en vue d’adoption parmi l’ensemble des pupilles de l’État continue à diminuer (21,8% contre 23% en 2021) et ce, depuis 2015", selon le rapport. 


"Le statut de pupille de l’État n’est pas uniquement l’antichambre de l’adoption"

C’est en particulier la mise en œuvre de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant qui explique une telle évolution. "La loi a réinsisté sur le fait que le statut de pupille de l’État n’était pas uniquement l’antichambre de l’adoption mais un statut protecteur pour l’ensemble des enfants concernés", explique Milan Momić, démographe à l’ONPE et auteur de l’étude, interrogé par Localtis. La loi a par ailleurs créé la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental, remplaçant l’ancienne déclaration judiciaire d’abandon, et impliquant un recours plus fréquent par les départements et les magistrats dès lors qu’est constatée une absence de lien entre le ou les parents et l’enfant.

Ainsi, fin 2022, 67% des pupilles de l’État avaient été admis à la suite d’une décision judiciaire (58% dans le cadre de la déclaration judiciaire de délaissement parental et 9,5% à la suite d’un retrait total de l’autorité parentale), 24% avaient été "remis" par les parents (16% d’enfants nés sous le secret et 8% enfants remis à l’ASE) et enfin 9% des pupilles avaient été "admis en raison de leur orphelinage".  

Autre évolution notable : la diminution des enfants nés sous le secret. Ces derniers représentaient 16% de l’ensemble des pupilles qui avaient été admis fin 2022 (713 enfants), après 36% fin 2013 (852 enfants). Or, ces nouveau-nés ne restent pas pupilles longtemps puisque "le projet d’adoption se met en place assez rapidement, dans les deux ou trois mois suivant l’admission comme pupille définitive", précise Milan Momić. A l’inverse, pour les enfants devenus pupilles de l’État suite à un retrait de l’autorité parentale ou à une déclaration judiciaire de délaissement parental, qui sont plus âgés (8,5 ans en moyenne à l'admission), un éventuel projet adoption peut mettre plus de temps à se concrétiser.

Le handicap, l’âge et la fratrie : des "besoins spécifiques" ne facilitant pas l’adoption 

L’absence de projet d’adoption pour les pupilles est donc le cas le plus fréquent (78% ne sont pas placés en vue d’adoption). La majorité de ces enfants (près de quatre sur cinq) vivent en famille d’accueil. Selon le rapport, les motifs de l’absence de projet d’adoption sont divers : l’existence de "besoins spécifiques" chez l’enfant que sont le handicap, l’âge élevé ou le fait d’être dans une fratrie (52% des enfants fin 2022, selon les conseils des familles), projet d’adoption envisagé et en cours avec par exemple la recherche d’une famille (20%, pour des enfants âgés en moyenne de 6,6 ans), projet considéré comme inenvisageable (25%) pour des raisons diverses notamment parce que l’enfant est "bien inséré" dans sa famille d’accueil (11% parmi les 25%). 

Pour les enfants ayant fait l’objet d’une déclaration judiciaire de délaissement parental, les familles adoptantes sont, pour au moins un bon tiers, les familles d’accueil dans lesquelles vivaient déjà l’enfant, selon l’auteur de l’étude. Ce dernier ajoute que certains assistants familiaux adoptent l’enfant accueilli à sa majorité, notamment pour un "motif économique" (puisque l’adoption met fin aux financements de l’ASE) - des adoptions qui ne sont pas comptabilisées dans le rapport. 

De "fortes disparités entre départements"

Le rapport met en avant de "fortes disparités entre départements", dans la proportion d’enfants bénéficiant du statut de pupille, "entre 6,5 pour 100.000 pour les Alpes-de-Haute-Provence et 108 pour 100.000 pour la Haute-Marne". La mise en œuvre de la loi de 2016, en matière de délaissement parental, est l’un des facteurs pouvant expliquer ces différences. Il s’agit d’un changement important, par rapport à l’approche qui prévalait au moment de la loi de 2007 sur la protection de l’enfance : le maintien des liens familiaux était alors une priorité, désormais les besoins de l’enfant passent au premier plan. "Il peut y avoir encore des résistances, de la part des départements et des magistrats, à couper le lien définitivement entre les parents biologiques et les enfants", mentionne Milan Momić. A l’inverse, certains départements, comme le Pas-de-Calais, "se saisissaient déjà, avant 2016, de cette possibilité [le changement de statut de l’enfant, ndlr] pour protéger davantage les enfants, essayer de mobiliser d’autres ressources et envisager l’adoption", ajoute-t-il. Le chargé d’études insiste également sur la nécessaire préparation à l’adoption des familles, pour les aider parfois à "faire le deuil d’adopter un bébé" et à accepter l’idée, peut-être, d’adopter un enfant plus âgé. 

Dernière évolution à signaler : la forte montée en charge de l’activité des conseils des familles, qui étaient au nombre de 119 fin 2022. Composés de huit membres (dont deux représentant le département, deux des associations familiales, un ancien pupille de l’association d’entraide des pupilles, un d’une association d’assistants familiaux et deux personnes qualifiées), ces conseils exercent, avec le préfet tuteur, "la tutelle des pupilles de l’État" et doivent "examiner la situation de chaque enfant au moins une fois par an", indique le rapport. En lien avec l’évolution du profil des enfants, ces instances sont amenées à repositionner leur rôle. Comment accompagner au mieux ces enfants, plus âgés et à l’histoire compliquée, qui pour beaucoup ne seront pas adoptés ? En vertu de la loi de 2022 sur la protection de l’enfance, les conseils de famille doivent bénéficier de formations pour trouver des réponses à cette question.