Agriculture - Vin debout contre la libéralisation des vignes
Le front anti-libéralisation des vignes ne faiblit pas. Déjà quinze pays font cause commune autour de la France, de l'Italie du Portugal et de l'Espagne pour sauver les droits de plantation. Derniers ralliements en date : la Bulgarie et la Finlande (en contrepartie d'une augmentation des quotas de sucre). L'enjeu de cette forte mobilisation est de pousser la Commission à revenir sur une réforme de 2008, dite "OCM Vin". L'Union européenne avait alors prévu de libéraliser le marché en mettant fin aux restrictions sur les plantations en 2015, ou au plus tard en 2018 pour les pays souhaitant mettre en place une sortie progressive. Au delà, chaque producteur pourra planter ce qu'il souhaite, là où bon lui semble, notamment en plaine. Mais pour faire machine arrière, il faut obtenir une majorité de 14 Etats membres et 255 voix. Aujourd'hui, compte tenu des derniers ralliements, il manquerait 33 voix. "Il suffirait que la Pologne [qui compte 27 voix, ndlr] et un pays du nord se joignent à nous, je reste très confiant", indique à Localtis François Patriat, le président du conseil régional de Bourgogne, à l'initiative de l'Appel de Dijon signé le 16 mars par 80 élus et professionnels des régions viticoles françaises pour dire "non" à la réforme.
En 2008, la France et son ministre de l'époque, Michel Barnier, étaient les seuls à émettre des conditions à la libéralisation et avaient demandé un rapport d'étape. Mais les pays producteurs étaient passés à côté de l'enjeu. Depuis, Bruno Le Maire a repris le dossier en main et en a fait une priorité. "La France ne cédera pas tant qu’elle n’aura pas eu gain de cause", a-t-il déclaré le 19 mars au parlement européen lors d'un débat organisé par le PPE.
Vins de qualité
Car la libéralisation signifierait pour la France un changement radical dans son mode de production qui repose sur les célèbres AOC (appellation d'origine contrôlée) et privilégie les coteaux. "C'est ce qui a donné la spécificité des vins méditerranéens, on a maîtrisé la production pour faire des vins de qualité", souligne l'ancien ministre de l'Agriculture, François Patriat. Les signataires de l'Appel de Dijon font ainsi valoir que la dérégulation totale du marché provoquerait "une baisse de la qualité des vins, de nombreuses pertes d’emplois, une raréfaction des exploitations familiales par un phénomène de concentration, une dégradation des paysages et une disparition probable des terroirs qui font la typicité et la richesse de l’activité viticole en France et en Europe".
La Commission ne voit pas les choses de la même manière. Il s'agit pour elle de se caler sur les nouveaux pays producteurs partis à l'assaut du marché mondial avec les fameux "vins du nouveau monde". Très peu de contraintes administratives, de vastes plaines plantées de cépages uniques (cabernet, merlot, etc.) facilement identifiés par le public : le succès économique n'a pas tardé à venir. "La tendance des opérateurs est de faire du volume. Mais partout où l'on a supprimé les droits de plantation, ça a été un échec. En Australie, on a par exemple une surproduction de vin blanc avec des bouteilles vendues à un euro", tempère pourtant François Patriat. Alors que 97% de la production européenne est concentrée dans 13 pays, les Etats du nord de l'Europe sont peu sensibles à ces arguments. La Grande-Bretagne, qui souhaiterait s'immiscer dans le cercle des pays producteurs, fait même valoir que le maintien des droits de plantation l'empêcherait de se doter d'une production concurrentielle.
Arrachages
Les opposants à la libéralisation ont un autre argument à faire valoir : les pertes de parts de marchés des pays européens n'ont pas de lien avec les droits de plantation mais avec un problème d'identification et de commercialisation. "Les producteurs européens continuent à proposer des vins de caractère, parfois des vins d'assemblage, que les Français appellent aussi - même s'il vaut mieux éviter l'expression, intraduisible en Europe - des vins de terroir, au risque d'un embrouillamini destructeur pour les producteurs eux-mêmes", soulignait ainsi le Sénat, en février 2011, dans une proposition de résolution européenne sur le régime des droits de plantation de vigne.
La réforme a d'autant plus de mal à passer que, pour assainir le marché avant de le libéraliser, la Commission a soutenu de vastes campagnes d'arrachages. Entre 2008 et 2011, 160.550 hectares ont été arrachés en Europe, soit 4% du vignoble, selon France Agrimer. En France, 3% du vignoble ont été effacés. A elle seule, la région Languedoc-Roussillon représente 70% des arrachages en France. Les autres régions les plus touchées sont l'Aquitaine, Midi-Pyrénées Rhône-Alpes et Paca. "En Bourgogne, on s'en sort bien, on a supprimé que ce qui n'était pas AOC", explique François Patriat.
La fronde anti-libéralisation transcende les clivages politiques. Le Sénat et l'Assemblée ont chacun pris position contre la réforme. Les signataires de l'Appel de Dijon entendent aujourd'hui "amplifier la mobilisation en France et en Europe" et organiser une "grande manifestation d'envergure européenne à Bruxelles à l'automne 2012". Parallèlement, l'Association nationale des élus de la vigne et du vin (Anev) a déposé une délibération adoptée par 1.800 communes au commissaire à l'Agriculture, Dacian Ciolos, et au président du parlement européen, Martin Schultz. "Dacian Ciolos m'a expliqué qu'il n'était pas contre une nouvelle régulation, mais il reste à savoir laquelle", indique le député UMP de la Marne Philippe Martin, coprésident de l'Anev.
Au sein de la Commission, les lignes commencent à bouger en effet. En début d'année, le commissaire à l'Agriculture a installé un "groupe d'experts de haut niveau" pour débattre de ce sujet. La réforme de la PAC qui doit intervenir avant la fin de l'année pourrait offrir une nouvelle fenêtre de tir. Le texte actuel, présenté par la Commission en octobre 2011, écarte le secteur du vin. Mais le parlement européen, colégislateur depuis le traité de Lisbonne, a déjà fait savoir à travers le rapport Dess qu'il était opposé à la libéralisation. C'est au Français Michel Dantin qu'il reviendra de déposer un amendement visant à réintroduire un outil de régulation. Il restera alors à faire basculer le Conseil. Ce que permettrait, en plus de la Pologne, une adhésion de la Belgique.