Transports - Avenir du rail : Louis Nègre et Bernard Soulage croisent leurs regards
Comment deux responsables politiques de droite et de gauche envisagent-ils l'avenir du rail après 2012 ? Faut-il continuer à investir dans le TGV et construire de nouvelles lignes, comme le Grenelle de l'environnement l'a prévu, alors que les marges de manoeuvre financières de l'Etat sont de plus en plus réduites ? C'est en tant qu'élus locaux et spécialistes des transports que Louis Nègre et Bernard Soulage ont décidé de confronter leurs points de vue dans un essai* présenté ce 13 mars. Pour rappel, le premier est sénateur-maire UMP de Cagnes-sur-Mer, coprésident de TDIE (Transport développement intermodalité environnement), vice-président du Groupement des autorités responsables de transport (Gart) et a aussi présidé le groupe de suivi du schéma national des infrastructures de transport (Snit) au Palais du Luxembourg. Le second est vice-président PS de la région Rhône-Alpes, également vice-président du Gart, président du GIE Objectif transport et de Villes et régions européennes de la grande vitesse. S'ils ne partagent pas les mêmes convictions politiques, Louis Nègre et Bernard Soulage ne se sont pas livrés à un débat idéologique. "En tant qu'élus locaux enracinés sur le terrain, nous sommes avant tout des pragmatiques, affirme Louis Nègre. Nous connaissons les difficultés du quotidien et nous ne nous demandons pas si les trottoirs sont de droite ou de gauche."
TGV : des choix au cas par cas
Sur de nombreux sujets, leurs analyses se rejoignent. Tous deux estiment ainsi qu'il faut faire preuve de plus de circonspection dans le choix de construire de nouvelles lignes TGV. "Plus que jamais, il faut mieux définir les projets et les hiérarchiser, estime Louis Nègre. Seules les infrastructures magistrales, s'inscrivant par exemple dans les corridors européens, peuvent justifier la réalisation des ouvrages les plus coûteux. Il faut donc examiner les infrastructures cas par cas." Comme lui, Bernard Soulage juge que la piste des trains à grande vitesse (plus de 200 km/h), complémentaires des TGV, n'a pas encore été suffisamment explorée en France, alors que l'Allemagne, l'Italie ou l'Angleterre en sont déjà dotées. Tous deux soutiennent aussi la nécessaire rénovation du réseau existant et des noeuds ferroviaires aujourd'hui congestionnés comme Lyon, Nîmes ou Rouen.
Le consensus prévaut également sur la question du lien entre urbanisme et transports et sur l'impératif du transfert modal. Bernard Soulage se dit prêt à s'engager en faveur de "vrais schémas régionaux de transports intermodaux qui soient presque prescriptifs". "Je veux dire par là qu'à un moment, les Scot, voir les PLU, intègrent dans un rapport presque prescriptif ce qui est dit dans le schéma national des transports, détaille-t-il. Dans ma région, j'ai dit que l'on ne ferait plus de gares nouvelles ou de haltes ferroviaires, voire que l'on ne fera plus d'arrêt en gare, s'il n'y a pas des efforts de la part des élus locaux pour mettre des gens dans les trains, notamment grâce à une politique d'urbanisme qui crée de l'habitat et des possibilités d'emplois autour d'une gare." Pour Louis Nègre, le transfert modal doit aussi être vu comme un impératif de santé publique. La congestion automobile contribue à la dégradation de la qualité de l'air. Une pollution responsable de 40.000 morts prématurées en France, rappelle-t-il, citant des chiffres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). La qualité et la fiabilité de modes de transport comme le tramway sont l'un des remèdes à apporter au risque d'asphyxie des grandes agglomérations. Il continue aussi à défendre l'expérimentation des péages urbains, qui a été prévu par la loi Grenelle 2 mais qu'aucune collectivité n'a encore osé mettre en oeuvre.
Une ouverture à la concurrence limitée par nature
Sur la question de la réforme de la gouvernance du système ferroviaire et sur l'ouverture à la concurrence, en revanche, Bernard Soulage et Louis Nègre ne partagent pas les mêmes points de vue. Le sénateur des Alpes-Maritimes juge que la SNCF est aujourd'hui "à bout de souffle" et qu'"elle ne produit pas le service attendu par l'usager-client". La question majeure à résoudre selon lui est donc celle de la performance de la SNCF et de RFF. Quant à la concurrence, elle doit à ses yeux "être intégrée dans tout le système de façon progressive" et veiller à ce qu'elle soit "régulée et non débridée". Bernard Soulage, lui, ne croit pas à un secteur ferroviaire très ouvert à la concurrence. "Si nous parvenons à une meilleure interopérabilité en Europe, nous assisterons à un mouvement de concentration des opérateurs car le marché européen est petit et le système ferroviaire plus rigide par nature que l'aérien. Au final, on peut s'attendre à avoir deux ou trois opérateurs."
Anne Lenormand
*"Quel rail après 2012 ? Le temps du politique est venu", préface de Louis Gallois, débat conçu et animé par Gilles Rabin, Editions de l'aube, 157 p., 13 euros.