Salon de l'agriculture - Réforme de la PAC : l'enjeu d'une régionalisation
Héroïnes de cinéma avec le film "Bovines", les vaches sont l'objet de bien des convoitises au traditionnel Salon international de l'agriculture (SIA). Mais l'avenir de la campagne, la vraie, se joue loin des caméras, à Bruxelles, dans le cadre des négociations sur la politique agricole commune (PAC) qui fête ses cinquante ans... En visite au SIA, le 28 février, René Souchon, président du conseil régional d'Auvergne et rapporteur sur le sujet au Comité des régions, présentera ainsi son projet d'avis devant la commission de l'agriculture du Parlement européen le 29 février. Un passage important, car si le comité n'a qu'un rôle consultatif, le Parlement, lui, est désormais codécideur avec le Conseil, en vertu du traité de Lisbonne. Une première dans l'histoire de la PAC. Or, selon son projet d'avis, certes les propositions de la Commission européenne fixent des objectifs louables (verdissement des aides, maintien d'une agriculture sur l'ensemble du territoire, sécurité alimentaire...), mais elles restent "trop éloignées d'une réforme en profondeur". "Elles constituent une évolution, pas une révolution", résume René Souchon, qui voit comme un "hiatus entre objectifs et outils".
Là où les propositions s'avèrent les plus décevantes, selon lui, c'est en matière de régulation des marchés : "Il n'y a plus que des filets de sécurité sur les crises. On est dans le préventif, pas le curatif, on n'empêche pas de tomber malade. Ce que l'on propose, c'est de la morphine pour le malade." Sur ce sujet au moins, gouvernement et régions se retrouvent : se félicitant lundi, lors de sa visite au salon, du "combat très difficile" pour sauver le budget de la PAC en 2014-2020 (435,6 milliards d'euros), le Premier ministre, François Fillon, a fait des instruments de régulation une priorité des discussions en cours.
Aide unique à l'hectare
A l'inverse, les régions se félicitent de l'abandon dans la proposition de Bruxelles des "références historiques", calculées sur la base des aides touchées en 2000, 2001 et 2002. Un système jugé inéquitable et déjà abandonné par plusieurs Etats dont l'Allemagne. A la place, le nouveau maître-mot est "convergence". L'idée est qu'à terme, tous les agriculteurs européens perçoivent une aide unique à l'hectare. Ce qui implique d'importants rééquilibrages au sein de l'Europe et des Etats. A côté est prévue une superposition de strates : 30% pour le verdissement, 2% pour l'installation de jeunes agriculteurs, 5% supplémentaires pour les zones de handicaps naturels... Le rapporteur propose d'aller plus loin, en réservant 15% pour les zones fragiles. "Ce dispositif représenterait ainsi un troisième niveau d'aide à part entière, complémentaire du paiement de base et du soutien au verdissement", justifie son projet d'avis. Il souhaite également abaisser de 300.000 à 200.000 euros le plafond des aides proposé par la Commission. Mais la bataille s'annonce rude, notamment avec l'Allemagne qui, possédant d'immenses fermes, est fermement opposée au plafond.
Mais l'un des enjeux réside dans le choix du payeur. La Commission laisse à chaque Etat jusqu'au 1er juillet 2013 le soin de décider entre paiement régional ou national. Un choix opéré depuis 2003 par l'Allemagne et plusieurs autres Etats. Le commissaire à l'Agriculture, Dacian Ciolos, a redit lundi porte de Versailles son attachement au système régional tant pour les aides du développement rural (second pilier) que les paiements directs (premier pilier). Le rapporteur n'en demande pas plus, qui considère "que la mise en place d'un cadre de gouvernance multiniveaux (européen, national, régional) est une condition indispensable à une refondation réussie de la PAC après 2013". Concrètement, René Souchon propose une gouvernance entre l'Etat, la région et les organisations professionnelles pour l'attribution de la part variable de l'aide en fonction des besoins locaux. "Si on ne le fait pas, on va au devant de difficultés majeures pour les zones de montagne", prévient-il. "Dans les négociations internationales, aujourd'hui, l'agriculture est devenue une monnaie d'échange, c'est malheureux. Il faut s'attendre à une ouverture des importations brésiliennes. Il est donc nécessaire de promouvoir des produits hors concurrence à travers les Siqo [signes d'identification de la qualité et de l'origine, NDLR]", réclame l'élu, qui demande de rapprocher les aides des terroirs. Ce qui déboucherait sur une agriculture à deux vitesses : l'une très compétitive destinée à l'exportation, l'autre privilégiant la qualité, destinée aux circuits courts ou aux exportations européennes.
Distorsion
Reste à convaincre le gouvernement qui a déjà fait un pas en faveur de la régionalisation pour les fonds de la pêche et les organisations professionnelles, en particulier la FNSEA, jusqu'ici rétive à cette option. "Les succès que connaît l'agriculture allemande tiennent avant tout à des choix économiques, insiste Thierry Bontour, membre de la FNSEA et président de la communauté de communes du Coeur de la Brie (Seine-et-Marne). C'est également le cas des Pays-Bas, qui sont devenus très compétitifs dans la production de légumes sous serre, en agissant sur la méthanisation, l'énergie..." Lui se dit favorable à une forme de régionalisation mais dans de grands ensembles dépassant les frontières administratives. "Sinon on risque de créer au sein de l'Etat une forme de distorsion. Je viens d'un département où la culture a plus d'importance que l'agriculture, les choix politiques deviendraient désavantageux pour certains", poursuit-il.
Mais pour le rapporteur du Comité des régions, la distorsion existe déjà avec le système actuel. "L'aide à l'hectare est sans commune mesure entre le céréalier de la Beauce et l'éleveur d'Auvergne", illustre-t-il.
Ce mercredi, Réné Souchon portera ses idées auprès du Parlement européen. Le Comité des régions se penchera sur son projet d'avis lors de la session plénière des 3 et 4 mai. Mais il pense que le démarrage de la nouvelle PAC sera retardé d'un an, en 2015. Dacian Ciolos s'est montré plus positif lundi, espérant boucler les négociations à temps pour une mise en oeuvre de la nouvelle PAC au 1er janvier 2014.