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Transports - Libéralisation des marchés du rail : les acteurs s'impatientent

Réunis en colloque à l'Assemblée nationale le 11 janvier, les principaux acteurs du rail français ont fait part de leurs attentes en matière d'ouverture à la concurrence. Selon eux, le retard pris dans la libéralisation des marchés ferroviaires grève la performance du secteur et pénalise les collectivités.

Le 11 janvier, un colloque organisé par Avenir-Transports et Villes et régions européennes de la grande vitesse a fait le point à l'Assemblée nationale sur l’ouverture à la concurrence des marchés ferroviaires. En France, le marché du fret l’est depuis quatre ans, les nouveaux entrants y confortent progressivement leur place malgré la mauvaise santé du secteur. "Chute des volumes transportés, abandon du wagon isolé, la France n’est assurément pas dans le train de tête mais plusieurs études européennes prouvent qu’une fois le fret libéralisé, en Suède notamment, il y a une corrélation entre les changements engendrés et la performance du secteur", a motivé Enrico Grillo Pasquarelli, directeur des transports terrestres au sein de la Commission européenne. Selon lui, l’ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs connaît dans notre pays des débuts plus difficiles. "Les calendriers sont instables et les obstacles structurels nombreux".
Pour l’heure, celle du transport régional de voyageurs n’est pas d’actualité mais la SNCF s’y dit favorable, à condition de bien préparer le terrain, notamment avec les collectivités et sur des points aussi épineux que la transférabilité du matériel et des personnels. Pour certains, une loi devrait pouvoir statuer sur les changements que cela engendrerait. Quant aux services aux voyageurs nationaux, leur ouverture ne fait l’objet d’aucune législation européenne mais une proposition s’élabore à ce niveau en vue d’intensifier la concurrence. A l’horizon 2012, elle pourrait déboucher sur une décision dont la mise en oeuvre entrera alors en interaction avec le règlement européen sur les obligations de service public (OSP), en vigueur depuis plus de un an dans les transports publics. D’ores et déjà, le directeur des affaires européennes de la Deutsche Bahn, un opérateur de poids dont l’avis compte, s’est dit favorable à cette future ouverture à la concurrence du transport national de voyageurs. Par ailleurs, la Commission progresse dans la refonte du premier paquet ferroviaire, dont l’objectif est d’allouer de nouveaux moyens fixés aux services ferroviaires et d’y clarifier la tarification et l’accès au réseau.

Alerte sur l’état du réseau

Tous secteurs confondus, la question de l’ouverture à la concurrence n’est plus taboue, se plaît-on à marteler chez les deux acteurs majeurs du système ferroviaire français que sont la SNCF et Réseau ferré de France (RFF). A la tête de ce dernier, Hubert du Mesnil va même plus loin et rappelle que "RFF a été créé pour rendre l’ouverture à la concurrence possible". A la complexité de cet enjeu s’ajoute néanmoins un obstacle de taille. "En effet, pour que la mise en concurrence soit profitable à tous, le préalable est que le réseau fonctionne bien. Or c’est loin d’être le cas", a-t-il poursuivi. De la part du gestionnaire du réseau, l’aveu paraît fracassant. Pourtant il est largement partagé, par la SNCF notamment. Jacques Damas, directeur général de la qualité et de la sécurité du service de l'entreprise ajoute que "dans de nombreuses régions, même celles apparemment plus en pointe comme  Rhône-Alpes, le niveau de qualité du réseau est inférieur à celui de nos voisins". "En gros, l’offre ne suit pas la demande qui, elle, se maintient à un bon niveau", complète Bernard Soulage, président de Villes et régions européennes de la grande vitesse.
Est-ce la faute à un faible niveau cumulé de financement ? Pour David Azéma, directeur général délégué à la stratégie et aux finances de la SNCF, c’est là tout le problème. Pour équilibrer le système ferroviaire français, entretenir le réseau et payer les trains, il manque selon lui 1,5 milliard d’euros par an. "Quand il y a un tel mistigri dans le jeu, le dialogue entre acteurs est forcément compliqué. En termes de libéralisation, le risque est que s’accélère le phénomène d’une Europe à deux vitesses, celle qui a pris le pli depuis des années, en Europe du Nord par exemple, et celle où les opérateurs avancent dans le flou et ne savent pas où investir. Cette Europe à deux vitesses fera les gagnants et les perdants de la consolidation de l’industrie ferroviaire de demain."
Même son de cloche à la tête de Veolia Transport, où Cyrille du Peloux est "convaincu que l’industrie ferroviaire française pâtira du retard pris pour libéraliser les transports national et régional de voyageurs". Selon lui, les collectivités en paient déjà les pots cassés puisque chez nos voisins, là où le train de la libéralisation est en marche, elles débourseraient de 20 à 25 % en moins dans le subventionnement des lignes. "On apprend que les collectivités perdent au change, les industriels aussi, et que l’usager n’est pas satisfait. On va droit dans le mur si on continue à se prendre pour un îlot isolé [sic] en Europe", a fustigé le sénateur des Alpes-Maritimes Louis Nègre, qui insiste pour que soit lancé un Grenelle du ferroviaire pour "mettre tout le monde autour de la table et aborder tous les enjeux, notamment le volet social du dossier et le statut des cheminots".

Portes de sortie

De nouvelles sources de financement sont possibles. Jean Bensaid, directeur général de la CDC Infrastructure, filiale d'investissement direct de la Caisse des Dépôts dans le secteur des infrastructures, note ainsi "un regain d’intérêt pour les investissements dans les infrastructures de transport ferroviaire". Mais si plus d’ouverture à la concurrence engendre plus de trafic - comme cela a pu être observé chez nos voisins européens -, cet appétit devra être continu et les cadres contractuels adaptés afin de pourvoir aux nouveaux besoins d’investissements créés. Surtout, l’urgence est à plus de visibilité dans le secteur. "Il en faut plus pour les collectivités amenées à financer les lignes", a souligné un élu de la ville de Mulhouse. "Pour nous [à la SNCF]  aussi, a rétorqué David Azéma. Mais c’est là une particularité du ferroviaire, on doit composer avec l’impossibilité d’en avoir plus." Signe positif, la structuration de la nouvelle Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) apportera sa touche à l’édifice de réforme progressive du système français. Laquelle "prendra du temps", selon Pierre Cardo, ex-député désormais à la tête de cette structure, qui prononcera en février son troisième avis (sur l'épais "document de référence du réseau" de RFF).
Autre document qui se fait de plus en plus attendre : le rapport du comité des parties prenantes sur l’ouverture à la concurrence des trains express régionaux (TER). En clôture de ce colloque, Thierry Mariani, secrétaire d’Etat en charge des Transports, a annoncé que sa seconde partie devrait être remise pour Pâques.