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Logement - Logement en Ile-de-France : la Cour des comptes s'en prend à l'incohérence de l'action publique

Dans un rapport consacré au logement en Ile-de-France, la Cour des comptes formule 14 propositions visant à "donner de la cohérence à l'action publique". Parmi lesquelles : confier aux EPCI la responsabilité des PLU et des PLH ainsi que la délivrance des autorisations de construire ou encore imposer l'intercommunalité comme échelle de planification, programmation et contractualisation de l'offre de logement. En matière de logement social, les suggestions sont plus classiques : transparence des procédures d'attribution, application des suppléments de loyer de solidarité... Pour le parc privé, la Cour recommande un meilleur ciblage des politiques.

"Le Logement en Ile-de-France : donner de la cohérence à l'action publique". Tout est dit – ou presque – dans le titre du rapport public thématique rendu public le 8 avril par la Cour des comptes. Elle y constate "les limites des politiques menées depuis deux décennies" dans trois domaines : l'aménagement, le logement social et le logement privé.
Au passage, elle suggère de réviser plusieurs mesures introduite dans la loi Duflot 1 du 18 janvier 2013 "relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social".
Dans son rôle, la Cour estime que "l'amélioration de la situation du logement en Ile-de-France n'est pas seulement une question d'effort financier : il importe tout autant que les interventions publiques soient mieux organisées, mieux ciblées et surtout plus cohérentes".

Engorgement du parc social

La Cour souligne ainsi que "des masses financières importantes, supérieures à 6 milliards d'euros, sont consacrées chaque année par l'Etat et par les autres acteurs de la politique du logement à l'Ile-de-France, mais elles n'ont pas contribué à y améliorer significativement la situation du logement".
Une situation "complexe" dans un territoire où le marché du logement est très tendu, entraînant des cas de sur-occupation des logements nettement plus nombreux qu'en province, ainsi qu'un taux d'effort supérieur pour les accédants à la propriété et les locataires du secteur libre. D'où un engorgement du parc social, "qui se renouvelle moins alors qu'il est plus demandé", souligne-t-elle, précisant que plus d'un tiers des locataires du parc privé ne sont pas logés dans le parc social alors que leur revenu est inférieur au plafond de ressources exigé pour avoir accès aux logements du type PLAI (prêt locatif aidé d'intégration).

Des EPCI compétents en matière de PLH, PLU et PC

La Cour constate que "les instruments de planification ou les interventions foncières ont eu une efficacité limitée, notamment parce qu'il est difficile d'obliger à construire". Elle rappelle, en matière de planification, que les objectifs de construction de 70.000 logements par an fixés dans le schéma directeur de la région d'Ile-de-France (Sdrif) n'ont jamais été réalisés. Il aurait fallu, pour cela, augmenter de deux tiers le rythme de construction.
La Cour pointe naturellement la "multiplication des instruments de planification et des échelons de décision" et estime "nécessaire" le rapprochement du périmètre des futures intercommunalités franciliennes de celui des divers instruments de planification, de programmation et de contractualisation de l'offre de logement. Elle suggère qu'après les programmes locaux de l'habitat (PLH) et les plans locaux d'urbanisme (PLU), ces intercommunalités deviennent à terme compétentes pour délivrer les permis de construire.

Remise en cause de la politique de densité

S'agissant de l'offre foncière, la Cour conteste la position du Sdrif lorsqu'il prévoit de concentrer les trois quarts du nouvel effort de construction sur des espaces déjà urbanisés. "Cette densification peut se heurter à des contraintes d'équilibre économique des opérations", estime-t-elle, suggérant "d'exploiter toutes les possibilités foncières, notamment dans des zones comme les villes nouvelles, pas entièrement terminées et plus abordables qu'en centre d'agglomération, où la construction n'est souvent possible qu'après destruction du bâti existant".
Une préconisation qui va à l'encontre des politiques de densification et de lutte contre l'étalement urbain...

Des baux emphytéotiques plutôt que des cessions gratuites

S'agissant des opérateurs, elle juge que la fusion des quatre établissements publics fonciers vont "dans le bon sens". Mais elle suggère de favoriser la mise à disposition des terrains publics pour la construction de logements locatifs sociaux par le biais de baux emphytéotiques ou à construction plutôt que par des cessions à titre gratuit comme l'encourage la loi Duflot 1. Car cette politique de cession de foncier public à prix décoté menée par l'Etat et ses opérateurs, "donc hors marché" ne permet pas de "valoriser au mieux leur patrimoine et de préserver leurs intérêts financiers". Par ailleurs, elle ne croit pas aux systèmes de clauses anti-spéculatives mis en place par les collectivités, estimant que "leur solidité juridique au-delà d'une certaine durée et surtout leur efficacité pratique restent encore sujettes à question".

Revoir la fiscalité des plus-values immobilières

Enfin, la Cour estime que fiscalité locale et celle des plus-values immobilières "sont actuellement trop favorables à la rétention foncière". Pour y remédier, elle suggère de "taxer les plus-values immobilières réelles sans condition de durée de détention, mais en tenant compte de l'érosion monétaire". Elle recommande également de "modifier l'assiette de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, en tenant compte de la valeur vénale des terrains à bâtir".
A noter également que les sages recommande d'élaborer un répertoire statistique de l'ensemble des logements de l'Ile-de-France, contenant des informations détaillées par logement et accessible à l'ensemble des décideurs publics du secteur.

Les logements sociaux les plus demandés ne sont pas les plus construits

Concernant les politiques en faveur du logement social, la Cour reconnaît "la forte réorientation, à partir de 2010, de l'effort de l'Etat en direction de l'Ile-de-France (qui a reçu plus de 50% des aides à la construction de logements locatifs sociaux, dites aides à la pierre) et le poids très important des autres financeurs, tels que les collectivités territoriales". Mais c'est pour juger les effets de ces interventions publiques "mitigés", "du fait du coût très élevé des opérations, notamment à Paris". Des coûts qui ont conduit les bailleurs franciliens, pour équilibrer leurs opérations, à privilégier les logements du type prêt locatif social (PLS), assortis des niveaux de loyers les plus élevés, au détriment des logements de types PLAI et prêt locatif à usage social (PLUS), accessibles aux plus modestes.
Ce qui a conduit in fine au fait que, au cours de la période 2005-2012, l'agrément des PLS en Ile-de-France l'a emporté sur les PLAI, "qui correspondent pourtant aux logements sociaux les plus demandés", insiste la Cour.

La loi "SRU 2" n'arrangerait rien

Le bilan de la mise en œuvre de l'article 55 de la loi SRU en Ile-de-France serait quant à lui "en demi-teinte". Car les bailleurs ont eu tendance "à acquérir et conventionner des logements existants pour leur donner un statut social, sans accroissement de l'offre globale, ni modification du peuplement quand les immeubles étaient occupés", constate la Cour qui observe en outre une part importante de petits logements au détriment des logements familiaux, "car ils sont comptabilisés de la même manière dans les statistiques", explique-t-elle.
Dès lors, l'objectif renforcé de la loi "SRU 2" de janvier 2013 (25% de logements sociaux au lieu de 20%), conduite par Cécile Duflot, "ne corrige pas les imperfections du système, et risque de les amplifier". Et bien sûr : "la question de la soutenabilité budgétaire des efforts à réaliser par certaines collectivités se pose également".
La Cour pense en particulier aux petites communes quand elle suggère de "remonter le seuil d'application de l'obligation de réaliser un nombre de logements locatifs sociaux atteignant 25% des résidences principales aux communes de 3.500 habitants en Ile-de-France", comme c'est le cas dans les autres régions. Ce qui impliquerait de réviser la loi Duflot 1 qui, pour rappel, précise que ce taux de 25% s'applique aux communes de plus de 1.500 habitants en Ile-de-France et de plus de 3.500 habitants ailleurs (*)

Des loyers qui tiennent compte des prix du marché local et du revenu des locataires

Sans surprise, la Cour dénonce les règles d'attribution de logements sociaux "appliquées de manière variable" et les règles de gestion. Les garanties de maintien dans les lieux et la faible modulation des loyers en cas de progression des revenus contribuent également à "la forte segmentation entre les parcs locatif privé et social".
La Cour appelle à une "profonde révision de ces procédures", dans le sens notamment d'une plus grande transparence ("en invitant l'ensemble des réservataires à rendre plus homogènes les critères de sélection des bénéficiaires"), et à une application sans dérogation ni plafonnement des suppléments de loyers de solidarité.
Elle suggère également que, dans le cadre des nouvelles conventions d'utilité sociale, les règles de fixation des loyers des logements sociaux tiennent compte de leur localisation, des prix du marché local et de la qualité intrinsèque du bâti. Et de moduler le loyer à l'entrée dans le logement social et pendant toute sa durée d'occupation, en fonction du revenu des locataires.
Elle préconise enfin de réexaminer les conditions de maintien dans les lieux des locataires des logements sociaux, "notamment la condition d'âge, en prenant en compte non seulement les revenus mais aussi le patrimoine de l'occupant et le taux d'occupation du logement".

Locatif privé : mieux cibler les aides fiscales

Le bilan des politiques publiques en direction du parc privé ne trouve pas plus grâce aux yeux des sages de la rue Cambon. La lutte contre la vacance des logements connaît de faibles résultats "en raison de l'impact limité, voire nul, de la taxe sur les logements vacants ou de la politique de réquisition". Quant à la transformation de bureaux en logements, "elle est souvent peu rentable économiquement".
S'agissant des aides fiscales à l'investissement locatif privé de loyer intermédiaire, "qui représentent un coût élevé", note la Cour, elles seraient caractérisées par d'"importants effets d'aubaine liés à leur ciblage insuffisant sur les besoins de logements intermédiaires en zones tendues". De plus, ces dispositifs seraient "insuffisamment évalués et n'ont pas eu l'effet attendu de modération des loyers". Elle recommande donc d'accentuer le ciblage de ces aides fiscales sur les zones les plus tendues, "en évaluant régulièrement leurs effets et en contrôlant l'effectivité des loyers pratiqués".
Quant à l'accession à la propriété principalement stimulée par les prêts à taux zéro, "leur affectation à près de 80% à l'acquisition dans l'ancien a soutenu la hausse des prix sans réussir à déclencher un renouvellement de l'offre en construction neuve : les décisions de réserver les aides au neuf depuis le 1er janvier 2012, sous conditions de ressources, semblent donc aller dans le bon sens", estime la Cour.
La Cour est également dans l'air du temps lorsqu'elle recommande de poursuivre la réhabilitation des copropriétés dégradées "en orientant l'action publique en faveur des démarches préventives de difficultés".

Valérie Liquet

(*) Dès lors que ces communes sont comprises dans une agglomération ou un EPCI à fiscalité propre de plus de 50.000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15.000 habitants, selon la loi du 18 janvier 2013 "relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social".

 

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