Social - Cinquième risque : quand et comment ?
Visitant un centre gériatrique à Dax (Landes) le 31 juillet 2007, quelques semaines après son élection, Nicolas Sarkozy annonçait que son objectif était la création du cinquième risque "au tout début de l'année 2008". Cette création faisait alors partie du triptyque des grands projets annoncés pour le secteur social, avec le revenu de solidarité active et la réforme hospitalière. Ces deux derniers ont débouché respectivement sur les lois du 1er décembre 2008 et du 21 juillet 2009. Mais le cinquième risque semble aujourd'hui enlisé. Certes, il n'est pas officiellement question d'abandon - contrairement au droit opposable à la garde d'enfant -, mais un grand flou règne désormais sur ce projet. Les incertitudes portent en premier lieu sur la date, qui a fait l'objet de plusieurs reports successifs.
Des propos très vagues
Conscient de l'effet délétère de ces annonces non suivies d'effet, le gouvernement s'en tient désormais à des propos très vagues. La dernière annonce en date n'éclaire guère sur ce point. Intervenant le 15 mai dernier lors d'un colloque sur la dépendance organisé par le quotidien Les Echos, Valérie Létard - alors secrétaire d'Etat chargée de la solidarité - avait indiqué que "le calendrier n'est à ce stade pas précisé mais s'inscrira dans le cadre de la prochaine année scolaire comme l'a indiqué le président" (autrement dit avant juin 2010). Et encore reste-t-il à savoir si cette date butoir concerne le vote du projet de loi ou la mise en oeuvre effective du cinquième risque. A ce petit jeu des annonces et des pronostics, le plus réaliste aura finalement été la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) qui, en octobre 2007, se prononçait pour la création d'une prestation dépendance unique au 1er janvier 2010.
Au-delà de la date, l'essentiel reste bien sûr la question du fond. Sur ce point également règne le plus grand flou. Celui-ci tient en premier lieu à l'extrême discrétion du gouvernement sur le sujet. Depuis sa prise de fonction, Xavier Darcos n'a pas dit un mot sur le sujet et son prédécesseur - Brice Hortefeux - s'était montré tout aussi peu loquace. Seule certitude - pour autant qu'il en existe sur ce dossier - : le ministère du Travail et de la Solidarité a transmis "des propositions au président de la République et au Premier ministre". Celles-ci sont, depuis plusieurs mois, en attente d'arbitrage. En reprenant le fil des propos présidentiels et ministériels, il est cependant possible de dégager quelques points de convergence. Ainsi, l'actuelle CNSA devrait être le pivot du futur cinquième risque, mais sans que l'on connaisse l'écart entre son champ actuel et celui d'un éventuel futur cinquième risque. Avec, à la clé, deux questions essentielles : s'agira-t-il d'un véritable nouveau régime de protection sociale ou d'un simple changement de statut de la CNSA (le titre de "Caisse d'assurance autonomie" semble tenir la corde) et ira-t-on vers la création d'une prestation unique ou conservera-t-on l'actuelle dichotomie entre l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH) ? De même, il semble acquis que les départements - acteurs clés du cinquième risque à travers l'APA et la PCH - seront associés à la gouvernance du cinquième risque. Autre point qui semblait acquis : le chef de l'Etat a indiqué à plusieurs reprises que le financement du cinquième risque devrait combiner un financement public au titre de la solidarité, mais aussi la mise en place d'une assurance individuelle qui pourrait bénéficier d'incitations fiscales. D'autres éléments importants restent en revanche en suspens, comme les modalités de la participation des bénéficiaires et/ou d'une éventuelle récupération sur succession. Le gouvernement pourrait s'orienter finalement vers le système de "gage volontaire" (récupération uniquement en cas de choix de la prestation à taux plein) proposé par le rapport de la mission d'information du Sénat sur la dépendance.
Des acteurs qui ne cachent plus leur agacement
Toutes ces incertitudes et les lenteurs dans l'avancement du projet commencent à créer des tensions. Les partenaires sociaux et les différents acteurs de la prise en charge de la dépendance n'hésitent plus à exprimer ouvertement leur agacement et leurs inquiétudes sur un sujet qui semblait au départ très consensuel. Dans un communiqué du 19 mai dernier, l'Assemblée des départements de France (ADF) déplorait ainsi le "silence radio" du gouvernement et estimait qu'"une fois de plus, l'Etat communique sur les politiques publiques, mais n'agit pas et laisse les collectivités financer la solidarité nationale". Tout récemment, les deux vice-présidents de la CNSA (issus des collèges représentant les associations) et les membres du GR31, qui regroupe les représentants des associations et ceux des syndicats, demandaient, dans un communiqué, "à la nouvelle équipe gouvernementale de préciser très rapidement ses intentions" sur le cinquième risque. En l'espèce, l'inquiétude des signataires était encore accrue par la vacance juridique de la présidence de la CNSA depuis la fin du mois d'avril 2009.
Derrière ces incertitudes et ces atermoiements, se trouve bien sûr la question du financement. Intervenant en mai dernier devant l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis), Brice Hortefeux - alors ministre du Travail et de la Solidarité - avait indiqué que le surcoût du cinquième risque pourrait être de l'ordre de 1,8 milliard d'euros, mais sans détailler le contenu de ce surplus. Un chiffre à comparer aux 18 milliards d'euros de dépenses transitant aujourd'hui par la CNSA, mais aussi aux 1,1 milliard d'euros de surcoût du RSA, qui n'avaient pas été obtenus sans difficulté. Sans oublier que les dépenses correspondantes sont inexorablement vouées à s'accroître rapidement sous l'effet du vieillissement de la population. A plusieurs reprises depuis le début de la crise économique, les ministres concernés ont donc fait valoir la difficulté à financer une telle réforme dans un contexte très dégradé et alors que le poids du déficit de l'Etat et des régimes sociaux ne cesse de s'accroître. Le 15 mai dernier, Valérie Létard rappelait ainsi "que nous sommes confrontés à une crise sans précédent depuis 1929" et qu'"il n'est donc pas anormal de se poser et de s'interroger sur la manière dont on peut construire le cinquième risque dans ces conditions". Une façon de préparer les esprits à une réforme a minima, sachant que les excédents actuels de la CNSA ne suffiront pas à financer une réforme d'envergure ?
Cette période d'incertitude favorise la créativité. Dans une tribune libre publiée dans le quotidien Le Monde du 5 août 2009, Philippe Bas - ancien ministre en charge de la santé et de la protection sociale dans le gouvernement de Dominique de Villepin - propose ainsi une solution pour le moins audacieuse : la création d'une deuxième Journée de solidarité, qui doublerait les recettes actuelles sans peser sur les prélèvements sociaux et sur la compétitivité des entreprises. Si l'ancien ministre "entend d'ici le déchaînement des protestations qu'une telle proposition, pourtant raisonnable, ne manquera pas de déclencher", cette suggestion a au moins le mérite de relancer un débat qui semble aujourd'hui figé.
Jean-Noël Escudié / PCA