Santé / Social : l'année qui a – presque – tout changé
Les deux volets du Ségur de la santé – revalorisation des salaires et plan pour l'investissement – seront structurants pour les secteurs de la santé et du médicosocial. Le Ségur a d'ailleurs aussi fait tache d'huile sur l'aide à domicile. Certes, des questions restent en suspens. Le volet investissements aura des effets sur la gouvernance. En sachant que là-dessus, le projet de loi 3DS est censé renforcer la place des collectivités. Si le Ségur est avant tout celui des hôpitaux et des Ehapd, quid des autres acteurs du champ de la santé ? Et du futur projet de loi Autonomie ?
Les douze mois qui viennent de s'écouler depuis l'annonce des deux volets du Ségur de la santé – revalorisation des salaires et des carrières (voir notre article du 15 juillet 2020) et plan massif pour l'investissement (voir notre article du 21 juillet 2020) – resteront sans aucun doute comme le temps fort de ces dernières décennies dans ce domaine, avec un engagement budgétaire total de l'ordre de 28 milliards d'euros. Et pas seulement parce que le secteur sanitaire et le secteur médicosocial (dont tout particulièrement les Ehpad) ont été, par définition, au cœur de la crise sanitaire. Mais aussi parce qu'ils sortent de cette période profondément transformés. Au-delà des rémunérations et des investissements, bien des évolutions se sont en effet opérées ou ont été engagées : gouvernance, organisation, déconcentration, rôle des ARS, place des élus...
Des engagements globalement respectés
Un an après, le bilan du Ségur de la santé apparaît positif et les engagements globalement respectés (voir notre article du 21 juillet 2021), même si certaines organisations du secteur médicosocial expriment toujours des inquiétudes sur les moyens mobilisés (voir notre article du 20 juillet 2021). Le Ségur a d'ailleurs fait tache d'huile et produit des effets au-delà de son périmètre, avec en particulier une très nette accélération de la revalorisation de l'aide à domicile. Initialement, les deux protocoles d'accord du 13 juillet 2020 sur le volet "Revalorisations salariales" du Ségur de la santé visaient en effet les seuls personnels soignants des hôpitaux et des Ehpad, sous la forme d'une enveloppe de 9,6 milliards d'euros, dont 7,6 milliards d'euros pour les personnels non médicaux des hôpitaux, cliniques et Ehpad et 650 millions pour les médecins et étudiants en médecine. Côté personnels soignants, cette enveloppe s'est traduite par une revalorisation (complément de traitement indiciaire ou CTI) de 183 nets par mois, soit environ 2.200 euros par an.
Un décret et un arrêté du 16 février 2021 ont concrétisé l'extension de la "revalorisation socle" des accords du Ségur de la santé aux personnels des établissements publics assurant la prise en charge des personnes âgées, avec un effet rétroactif au 1er septembre et au 1er décembre 2020. Dans le même temps, un accord, signé le 11 février dernier, a étendu le CTI de 183 euros nets par mois à tous les agents des établissements sociaux et médicosociaux rattachés à un établissement public de santé ou à un Ehpad public (voir notre article du 18 février 2021).
Le Ségur fait tache d'huile
Puis, après des négociations assez laborieuses, deux accords du 28 mai (voir notre article du 31 mai 2021) sont venus compléter le dispositif, au bénéfice de ceux qui se qualifiaient eux-mêmes d'"oubliés du Ségur" (voir notre article du 11 février 2021). Le premier porte sur les personnels soignants des établissements et services sociaux et médicosociaux publics non rattachés à un établissement de santé ou à un Ehpad et financés pour tout ou partie par l'assurance-maladie. Ces personnels relevant des trois fonctions publiques bénéficieront de l'augmentation de 183 euros nets par mois à compter du 1er octobre 2021.
Le second accord du 28 mai est un "accord de méthode", la signature finale relevant des partenaires sociaux. Il concerne les établissements et services sociaux et médicosociaux privés à but non lucratif financés pour tout ou partie par l'assurance-maladie. L'accord prévoit que les 64.000 professionnels soignants exerçant leurs fonctions dans ces structures bénéficieront du complément de rémunération de 183 euros nets par mois à compter du 1er janvier 2022.
En dépit ces extensions, reste néanmoins la question des salariés hors soignants du secteur social et médicosocial à but non lucratif, estimés à environ 600.000 personnes. Trois des principales fédérations du secteur – la Croix-Rouge française, la Fehap et Nexem – ont récemment réitéré "leur appel en faveur d'une revalorisation des salaires de tous les professionnels du soin et de l'accompagnement". Elles jugent "les premières initiatives encourageantes, mais insuffisantes" et s'inquiètent de l'exclusion des établissements et services à but non lucratif de certains secteurs relevant d'un financement des départements (protection de l'enfance, lutte contre les exclusions et la pauvreté, protection juridique des majeurs...).
Un puissant accélérateur pour l'aide à domicile
En revanche, la dynamique du Ségur de la santé a sans aucune doute contribué à débloquer la situation du côté de l'aide à domicile, qui n'entre pourtant pas dans son champ. Après, là aussi, de longues négociations – y compris avec les départements, impliqués dans le financement via l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) – le désormais célèbre "avenant 43" à la convention collective nationale de la branche de l'aide à domicile (BAD) a finalement été agréé par un arrêté ministériel publié au début de l'été (voir notre article du 5 juillet 2021). A compter du 1er octobre prochain, les 210.000 personnels des services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad) et des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) à but non lucratif bénéficieront d'une revalorisation salariale conséquente de 13 à 15%, soit jusqu'à 300 euros bruts par mois et 3.600 euros par an, assortie de mesures d'amélioration des carrières. Comme dans le cas des soignants des hôpitaux et des Ehpad, il s'agit d'une reconnaissance bienvenue pour ces salariés qui ont été, eux aussi, en première ligne au plus fort de la crise sanitaire.
Enfin, pour être complet, on aura garde d'oublier – même s'il s'agit d'une mesure ponctuelle – la prime de 1.000 ou 1.500 euros (le plus souvent) versée aux personnels soignants en reconnaissance de leur engagement face à la crise sanitaire et étendue, grâce à un financement conjoint de la CNSA et des départements, aux personnels des services d'aide à domicile (voir notre article du 8 juillet 2021).
Investissement : des crédits, mais pas que...
L'investissement – second volet du Ségur de la santé – bénéficie pour sa part d'une enveloppe d'un montant exceptionnel de 19 milliards d'euros : 15,5 pour le sanitaire, 2,1 pour le médicosocial et 1,4 pour l'équipement en numérique. Pour la première fois, une partie de cet effort budgétaire est directement fléché vers l'amélioration des conditions de travail des personnels des hôpitaux et des Ehpad, sous la forme inédite des "investissements du quotidien" (petits équipements facilitant le travail des salariés), avec une enveloppe de 650 millions dans le sanitaire et de 125 millions dans les Ehpad. Les premiers crédits à ce titre ont été notifiés au début de cette année.
La mise en œuvre du volet investissement du Ségur est plus récente que celle des revalorisations salariales, puisque le Premier ministre a lancé le "plan de relance des investissements dans les hôpitaux et les Ehpad" il y a moins de cinq mois, à l'occasion d'un déplacement dans la Nièvre (voir notre article du 9 mars 2021). La circulaire précisant les modalités et le déploiement de ces investissements est parue quelques jours plus tard (voir notre article du 17 mars 2021). Si quelques opérations emblématiques ont été lancées ou annoncées, il est donc encore trop tôt pour mesurer l'impact de cet effort d'investissement sans précédent.
Néanmoins, cet impact ne se limite pas au volet budgétaire. Dans un domaine jusqu'alors centralisé à l'extrême, la mise en œuvre du volet investissement du Ségur amorce au contraire un très net mouvement de déconcentration. Ainsi, sur l'enveloppe de 19 milliards d'investissements, 14,5 milliards (76%) doivent être "intégralement délégués" aux ARS. De même, le très redouté Copermo (comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers) laisse la place à un conseil national pour les investissements en santé (Cnis), dont la mission est de "co-construire et partager avec l'ensemble des acteurs du système de santé la définition des orientations et priorités d'investissement en santé, suivre leurs déclinaisons et en réaliser le bilan dans une approche concertée et transparente pour les acteurs". Doublé d'un "conseil scientifique" regroupant des représentants des différents métiers concernés par les investissements, le Cnis est également chargé de l'instruction et de la validation des projets d'investissement d'un montant supérieur à 150 millions d'euros (contre 50 pour l'ex Copermo).
Sa compétence transversale couvre à la fois le champ sanitaire, médicosocial, libéral et numérique. Et sa composition s'ouvre à des représentants de la médecine de ville, des conférences hospitalières, des fédérations hospitalières et médicosociales, des collectivités territoriales et des agences régionales de santé. Au-delà de l'instruction et de la validation des projets d'investissement, l'objectif affiché est de construire de véritables "projets d'aménagement du territoire de santé", englobant l'ensemble des enjeux sanitaires et médicosociaux d'un territoire donné.
Le grand retour des ARS, le timide retour des élus
La dynamique de déconcentration induite par le Ségur bénéficie en premier lieu aux ARS. Fortement critiquées durant la crise sanitaire – durant laquelle elles ont clairement servi de boucs émissaires –, mais tout aussi fortement soutenues par Olivier Véran et le gouvernement, elles retrouvent aujourd'hui toute leur légitimité, notamment grâce à la campagne de vaccination, et voient même leur rôle nettement renforcé par la déconcentration du plan de relance de l'investissement.
Bien que le ministre des Solidarités et de la Santé écarte fermement l'idée d'un rôle significatif des élus dans la gestion du risque et le pilotage des crises sanitaires (voir notre article du 12 mai 2021), les collectivités territoriales voient cependant leur rôle renforcé, mais dans certaines limites. Le projet de loi 3DS (relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, ex 4D), en cours d'examen par le Parlement, modifie ainsi la gouvernance des ARS en transformant leur conseil de surveillance en conseil d'administration et en prévoyant trois vice-présidents, dont deux désignés parmi les représentants des collectivités (voir notre article du 19 juillet 2021). Ce même projet de loi renforce le rôle des délégations départementales des ARS, ce qui répond à une demande forte des élus locaux.
Il ouvre également, en lui donnant un fondement juridique, la possibilité pour les collectivités de participer, sur une base volontaire, au financement des investissements des établissements de santé, sous réserve que ceux-ci respectent les objectifs du schéma régional ou interrégional de santé. Le projet de loi permet aux départements de contribuer à la politique publique de sécurité sanitaire, notamment via le soutien des organismes à vocation sanitaire et de lutte contre les zoonoses. Il leur permet aussi d'intervenir plus directement en faveur de l'accès aux soins de proximité et renforce les compétences des départements et des communes pour créer et gérer un centre de santé.
Organisation : il reste du chemin à parcourir
Les changements induits par le Ségur de la santé sont moins évidents en matière d'organisation des établissements. La "loi Ségur" (loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification), issue d'une proposition de loi émanant du groupe LREM, affiche des ambitions limitées après avoir été vidée de ses articles les plus polémiques (comme la création d'une profession intermédiaire entre les infirmiers et les médecins). Elle associe toutefois davantage les personnels médicaux à la gouvernance via, par exemple, une co-désignation des responsables médicaux par le directeur de l'établissement et par le président de la commission médicale d'établissement (CME). Elle donne également davantage de souplesse dans l'organisation interne des établissements – avec un retour en force annoncé des services – et élargit le champ d'intervention de certaines professions paramédicales.
Plusieurs mesures restent par ailleurs engagées ou annoncées. Le financement à la qualité – qui doit se substituer au moins partiellement à la très décriée T2A (tarification à l'activité) – est ainsi sur les rails, mais la réforme a pris du retard (voir notre article du 23 juin 2021). De même, la création des 4.000 lits annoncée au plus fort de la crise sanitaire a bien été engagée, mais tourne pour l'instant autour de 2.700 lits.
Soins de ville : un rattrapage plus d'un an après
Comme n'ont pas manqué de le souligner, dès l'origine, de nombreux professionnels, le Ségur de la santé est avant tout un Ségur des hôpitaux et des Ehapd. Certes, plusieurs mesures concernent la médecine ambulatoire, mais elles restent assez limitées et correspondent, pour la plupart, à l'élargissement ou à l'accélération de mesures lancées antérieurement, notamment dans le cadre du plan "Ma santé 2022". Relèvent, entre autres, de ce cas de figure l'accélération du déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et des maisons pluridisciplinaires de santé, le développement exponentiel de la télémédecine, porté par la crise sanitaire et les confinements, ou encore le lancement des protocoles de coopération entre professionnels, qui élargissent le champ d'intervention des infirmiers et peuvent soulager le travail des médecins.
Contrairement aux médecins et personnels soignants des hôpitaux et des Ehpad, les médecins libéraux n'ont bénéficié en revanche d'aucune revalorisation dans le cadre du Ségur, même si certains actes directement liés à la crise sanitaire ont fait l'objet d'une cotation spécifique. L'oubli vient tout juste d'être réparé avec l'avenant conventionnel signé le 29 juillet entre les syndicats de médecins et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam). Cet accord, qui devrait être rapidement ratifié (un seul syndicat de médecins s'y opposant), entrera en vigueur en mars ou avril 2022. Il prévoit une enveloppe de 770 millions d'euros, qui financera notamment 320 millions de revalorisations tarifaires directes (réparties pour moitié entre généralistes et spécialistes), 300 millions pour le numérique (volet synthèse médicale du dossier médical partagé) et 150 millions pour les soins non programmés (services d'accès aux soins).
Une victime collatérale ?
Enfin, il est difficile de ne pas se demander si l'ampleur et le coût du Ségur de la santé n'ont pas fait une victime collatérale. Hormis la réforme abandonnée des retraites, le grand chantier médicosocial de la fin du quinquennat devait être en effet le projet de loi Autonomie. Or, en dépit de quelques timides résurgences ponctuelles, de plus en plus rares, celui-ci semble avoir disparu du paysage.
Comme la réforme des retraites, le projet de loi Autonomie pourrait donc passer de projet de fin de quinquennat à sujet de campagne présidentielle. Un double paradoxe. D'une part, parce que la mise en place de la cinquième branche continue d'avancer et que le projet de loi Autonomie devait en être le pendant naturel. D'autre part, parce que le Ségur de la santé remet au premier plan les Ehpad – dont Brigitte Bourguignon vient pourtant d'annoncer la mort, du moins dans leur forme actuelle (voir notre article du 15 juillet 2021) –, alors que tout l'enjeu est aujourd'hui de renforcer l'approche domiciliaire. A moins que la récente proposition de loi déposée par une quarantaine de députés LREM et "visant à agir pour préserver l'autonomie et garantir les choix de vie de nos aînés" soit un "cheval de Troie" auquel le gouvernement pourrait rattacher des dispositions issues du projet de loi initialement envisagé (voir notre article du 16 juillet 2021)