Ségur de la santé : revalorisation aussi pour les Ehpad
Le Ségur de la santé a débouché le 13 juillet sur un accord, ou du moins sur un premier volet de l'accord. À savoir deux protocoles relatifs à la revalorisation des personnels non-médicaux et du personnel médical, pour un total de 9,6 milliards d'euros. Pour l'heure, le Ségur de la santé se résume ainsi à un Ségur des établissements, sinon même à un Ségur des rémunérations. D'autres éléments "seront très rapidement présentés", a assuré le Premier ministre. Les associations d'élus locaux comptent sur une approche plus large et moins hospitalo-centrée.
Promis par Emmanuel Macron lors de son déplacement à l'hôpital de Mulhouse – ville la plus touchée par le Covid-19 – à la fin du mois de mars 2020, le Ségur de la santé a finalement débouché le 13 juillet sur un accord, ou du moins sur un premier volet de l'accord à la veille de l'hommage rendu aux soignants place de la Concorde le 14 juillet. Après sept semaines de négociations pilotées par Nicole Notat, cet accord a été trouvé grâce à la signature des syndicats réformistes – CFDT, FO et Unsa – qui ont accepté d'apposer leur signature.
7,6 milliards d'euros pour les personnels non médicaux des hôpitaux, cliniques et Ehpad...
Jean Castex n'a pas manqué de saluer "l'effort historique" que représente ce premier accord. De son côté, Frédéric Valletoux, le président de la FHF (Fédération hospitalière de France) également signataire des protocoles d'accord, a évoqué le "sentiment de satisfaction et de fierté [qu'il] éprouve après la signature de ces accords". Selon un communiqué de la FHF du 13 juillet, il s'agit là d'"un accord historique à la hauteur de la reconnaissance de la nation pour notre système de santé".
En pratique et à ce stade, l'accord comprend deux protocoles. Le premier est celui relatif au personnel non médical. Il prévoit une enveloppe considérable de 7,6 milliards d'euros, destinée à financer la revalorisation des rémunérations des personnels non médicaux (infirmiers, aides-soignants, techniciens, administratifs...) des hôpitaux et Ehpad. Cette enveloppe permettra à près de 1,8 million de salariés de bénéficier d'une augmentation de 90 euros nets par mois à compter du 1er septembre (versée rétroactivement au 1er janvier 2021, compte tenu du nécessaire passage par la loi de financement de la sécurité sociale), puis d'une seconde augmentation de 93 euros net à partir du 1er mars 2021. Le tout représente une revalorisation totale de 183 euros net par mois dans le secteur public (et 160 euros dans le secteur privé non lucratif ou lucratif). S'y ajoute un coup de pouce supplémentaire de 35 euros nets par mois pour les personnels au contact direct des patients (aides-soignants, corps infirmiers, filières rééducation et médicotechnique, soit environ 850.000 personnes), par le biais d'une revalorisation de leurs grilles de rémunération respectives. Ces personnels bénéficieront donc au final d'une hausse de rémunération de l'ordre de 220 euros nets par mois.
D'autres mesures plus ponctuelles sont également prévues. C'est le cas de la "prime d'engagement collectif" créée par un décret du 13 mars 2020, dans le cadre de la stratégie Ma santé 2022. Cette prime est portée à 100 euros nets par mois, afin de "renforcer les projets d'équipe d'amélioration de la qualité des soins et valoriser l'engagement collectif". Il est également prévu la possibilité de contractualiser un forfait de 5 heures supplémentaires bonifiées à hauteur de 50%.
Cette revalorisation – pérenne – de 7,6 milliards par an s'ajoute aux 1,3 milliard d'euros déjà versé sous la forme de la prime pour les soignants de 1.000 ou 1.500 euros. Les 7,6 milliards d'euros se répartissent entre 6 milliards pour le public et 1,6 milliard pour le privé.
... et 650 millions pour les médecins et les étudiants
Le second protocole concerne le personnel médical, notamment sous la forme d'une revalorisation de l'"indemnité d'engagement de service public exclusif" avec un taux unique de 1.010 euros. Pour la FHF, cela "représente une mesure importante, en particulier pour les jeunes praticiens". Là aussi, d'autres mesures sont également prévues, comme la création de trois échelons en fin de carrière des médecins "pour conserver les talents à l'hôpital public". Cette mesure s'ajoute à la suppression des trois premiers échelons en début de carrière, déjà prévue et financée par le plan "Investir pour l'hôpital". Ce second protocole prévoit aussi, dans une formulation encore assez vague, de "permettre aux médecins d'exercer aussi bien à l'hôpital qu'en ville pour diversifier les modes d'exercice".
Au total, les mesures pour les 100.000 personnels médicaux représentent une enveloppe annuelle de 450 millions d'euros. Pour être complet, il faut y ajouter 200 millions d'euros par an pour les étudiants, sous forme notamment de revalorisation des indemnités et des gardes (les internes étant désormais rémunérés au niveau du Smic horaire). De leur côté, les 106.000 étudiants paramédicaux vont bénéficier d'une harmonisation et d'une revalorisation de 20% des indemnités de stage pour quatre formations paramédicales (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, manipulateurs d'électroradiologie médicale et ergothérapeutes).
Ségur de la santé ? des hôpitaux ? des rémunération ?
Malgré les sommes colossales mises à la charge de l'assurance maladie (9,6 milliards en comptant la prime exceptionnelle), plusieurs organisations dénoncent ce protocole, évoquant une "imposture" et estimant que le gouvernement "méprise leurs demandes et leurs revendications". C'est notamment le cas de la CGT et de Sud, mais aussi de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf) et du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Si ces revendications ont peu de chances d'aboutir, d'autres inquiétudes ou mécontentements se font cependant jour.
Il est clair en effet que le Ségur de la santé se résume pour l'instant à un Ségur des établissements, sinon même à un Ségur des rémunérations. Certes, dans son discours du 13 juillet juste après la signature des protocoles, Jean Castex a affirmé "que ces accords nous permettent de mieux travailler non seulement dans l'hôpital et dans les établissements de santé mais dans les territoires de santé, dans les territoires en décloisonnant la ville et l'hôpital, en travaillant mieux en complémentarité public-privé, en associant mieux les acteurs du territoire, à commencer par les élus locaux, en donnant des marges dans ce cadre aux directeurs, au président de la CME [commission médicale d'établissement, ndlr], aux représentants du personnel pour améliorer encore non seulement les conditions de travail, la qualité des prises en charge et ce n'est pas un gros mot l'efficacité et l'efficience de notre système de soins".
Mais rien de précis n'est encore sur la table, si ce n'est l'annonce du Premier ministre que le Ségur de la santé "comprend d'autres aspects relatifs à ces éléments qui vous seront très rapidement présentés". Le seul aspect concret, mentionné dans le dossier de présentation des accords, concerne pour l'instant l'annonce de 15.000 recrutements "pour soutenir l'emploi hospitalier, pourvoir les emplois vacants et mieux assurer et les besoins de recrutements et les remplacements".
Jean Castex : un effort supplémentaire de 6 milliards d'euros
Parmi les nombreux points en suspens figurent notamment le sort des fermetures de services, la gouvernance des hôpitaux, la place des élus et des ARS, les ratios d'encadrement dans les Ehpad, l'investissement, l'allègement des contraintes administratives, l'articulation entre la médecine de ville et l'hôpital, celle entre le sanitaire et le médicosocial...
Dans sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, le 15 juillet (voir notre autre article de ce jour), Jean Castex a cependant apporté quelques précisions, annonçant que l'État entend investir 6 milliards d'euros supplémentaires dans le système de santé, portant ainsi l'effort total à près de 16 milliards d'euros, auquel on peut ajouter la reprise de la dette hospitalière à hauteur de 13 milliards d'euros. Pour mémoire, ce total de l'ordre de 30 milliards d'euros représente le tiers de la consommation de soins hospitaliers, publics et privés (94,5 milliards d'euros en 2018)... Le Premier ministre a également évoqué, en termes généraux, la nécessité de "donner davantage de souplesse aux établissements", d'"intégrer la qualité des soins dans les règles de financement des hôpitaux" ou encore de "mettre l'accent sur la prévention".
Les collectivités attendent la suite
Ce flou ne manque pas de susciter des réactions du côté des associations de collectivités, qui attendent une approche plus large et moins hospitalo-centrée (voir nos articles des 28 mai, 18 juin et 2 juillet 2020). Dans un communiqué du 15 juillet, Christophe Bouillon, le président de l'Association des petites villes de France (APVF) et maire de Barentin (Seine-Maritime) souligne ainsi qu'"il s'agit d'un premier pas attendu, significatif et conséquent tant les attentes étaient fortes depuis des années".
Mais "il ne s'agit pour l'instant que d'un Ségur de l'hôpital qui appelle un véritable Ségur de la santé". L'APVF dit en effet regretter que "nombre de sujets relatifs à l'offre de soins n'aient pas été abordés : tarification des actes médicaux, gouvernance hospitalière et des ARS dont le rôle a été décrié au plus fort de la crise sanitaire, fermetures de lits et restructurations hospitalières, rôle des collectivités territoriales, politiques d'aménagement du territoire et de lutte contre la désertification médicale..."