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Logement / Economie - Le rapport Duquesne veut que l'épargne réglementée cesse d'être "une passion française"

Pierre Duquesne, ancien conseiller économique de Lionel Jospin, a remis à Pierre Moscovici, le 19 septembre, son rapport sur la réforme de l'épargne réglementée. Commandé par le ministre de l'Economie et des Finances le 20 juillet dernier, ce document doit accompagner "une réflexion d'ensemble sur l'épargne réglementée pour accompagner le relèvement des plafonds du livret A et du livret de développement durable, qui prendra en compte les autres paramètres clés du dispositif".
De façon symbolique, le rapport Duquesne est remis au lendemain de la publication au Journal officiel des deux décrets du 18 septembre 2012 relevant les plafonds de ces deux véhicules d'épargne. Ce relèvement est de 25% pour le plafond du livret A à compter du 1er octobre (soit un passage de 15.300 à 19.125 euros), avec la perspective - annoncée par le gouvernement - d'un second relèvement du même taux à la fin de l'année mais de moindre ampleur (puisque les 25% supplémentaires seront calculés sur la base de 15.300 euros et non de 19.125 euros). Pour le LDD, le décret procède à un doublement, le plafond passant de 6.000 à 12.000 euros.

Pas de risque systémique avec un doublement des plafonds

Le rapport Duquesne était très attendu sur la suite de ce premier relèvement et sur le respect ou non de l'engagement présidentiel d'un doublement du plafond du livret A. La préconisation de Pierre Duquesne sur ce point est à la fois conforme à la promesse de François Hollande, mais nettement différée dans le temps. Le rapport recommande en effet de procéder à deux nouveaux relèvements de 25%, mais respectivement au début de 2015 et au début de 2016.
Il estime que ce doublement des plafonds (livret A et LDD) devrait entraîner une collecte supplémentaire de 30 à 55 milliards d'euros, sur une période de 18 mois à deux ans. Cette collecte complémentaire proviendrait pour les deux tiers des livrets fiscalisés (livrets proposés par les banques de réseau ou en ligne) et des dépôts à vue et, pour un tiers, de la collecte "fraîche" (nouveaux dépôts) de l'assurance vie.
Le rapport estime que si ces montant "ne sont pas négligeables", ils ne sont pas pour autant "incommensurables" et ne présentent donc pas de risque systémique pour le système bancaire et assurantiel français. Ils devraient en revanche permettre d'apporter 19 à 20 milliards d'euros par an, sur les cinq prochaines années, aux prêts en faveur du logement social et de la politique de la ville.

Vers un élargissement de l'emploi des fonds

Mais le rapport ne se cantonne pas à la question du plafond des livrets d'épargne favoris des Français. Comme le précise son avant-propos, les décisions qui se sont traduites par les deux décrets du 18 septembre "n'ont pas conduit la mission à renoncer à faire l'analyse de l'ensemble des besoins finançables sur ressources réglementées". Bien au contraire, le rapport estime que "l'épargne réglementée doit cesser d'être une passion française" (une allusion à l'œuvre de l'historien anglais Théodore Zeldin, après celle à Pierre Nora dans le titre de l'avant-propos affirmant que "l'épargne réglementée est un lieu de mémoire").
Il formule pour cela une vingtaine de propositions, dont certaines pourraient faire grincer quelques dents. Côté épargnants, le rendement des deux livrets devrait baisser légèrement, sous l'effet d'une évolution de la rémunération basée non plus sur une majoration par quarts de point décidée par le gouvernement, mais sur une fixation automatique ajustée au taux d'inflation en glissement sur douze mois, majoré de 10% du montant du taux de croissance (quand celui-ci est positif). Les épargnant auraient par ailleurs le choix de bloquer leur épargne sur trois ou cinq ans dans le cadre d'un "contrat de fidélité" avec, en contrepartie, une rémunération égale au taux du marché pour la durée considérée.
Côté collecte, le rapport préconise de réduire le coût de la ressource, en baissant de 0,10% la commission de collecte versée aux établissements distributeurs du livret A et du LDD. Cette réduction du coût de la ressource devrait être répartie entre plusieurs usages : renforcement des fonds propres du fonds d'épargne et des organismes de logement social, baisse des loyers dans le parc HLM et diminution du taux de certains prêts pour le logement intermédiaire et les logements très sociaux.
Côté organismes HLM, Pierre Duquesne suggère de différencier les taux des prêts au logement social en fonction de l'implantation géographique des opérations concernées, en distinguant  zones tendues et zones non tendues.
Enfin, au-delà des aspects liés au logement social, le rapport n'hésite pas à ouvrir une brèche dans l'affectation actuelle d'une part des fonds collectés au financement des entreprises, qui pourrait faire quelque bruit à l'heure de la volonté affichée de réindustrialisation. Pierre Duquesne préconise en effet "tout en continuant à accorder clairement une priorité au financement des PME, [d']élargir législativement les obligations d'emploi des fonds décentralisés aux collectivités territoriales et aux établissements publics de santé, à l'économie sociale et solidaire et à la transition énergétique" (voir notre encadré ci-dessous).
Message reçu puisque, dans un communiqué du 20 septembre, Pierre Moscovici rappelle que cette réforme "pourra permettre de revoir sans tabou les différents paramètres de l'épargne réglementée, notamment les nouveaux emplois de ces fonds - qu'ils soient centralisés ou décentralisés -, les modalités d'octroi des prêts, la formule de calcul du taux de rémunération, le commissionnement des banques et la centralisation de ces ressources à la Caisse des Dépôts".

Jean-Noël Escudié / PCA

Financer les investissements des collectivités par le livret A
Le financement du logement social et de la politique de la ville doit rester la priorité de l'utilisation du fonds d'épargne gérés par la Caisse des Dépôts. Mais il est possible d'envisager simultanément d'autres emplois, assure Pierre Duquesne. A commencer par le financement des investissements des collectivités locales, qui souffre depuis plus d'un an de graves difficultés, du fait de la réduction, d'une part, du nombre des banques présentes sur ce marché et, d'autre part, des volumes de prêts que celles-ci accordent. En complément des solutions apportées par le gouvernement à ces difficultés (notamment la création d'une nouvelle banque du secteur public local autour de la Banque postale et de la Caisse des Dépôts), "le maintien de financements sur fonds d'épargne pourrait être nécessaire", estime celui qui fut le conseiller économique de Lionel Jospin à Matignon. Il prévoit des enveloppes de 5 milliards d'euros par an en 2013 et 2014, puis de 3 milliards d'euros par an les années suivantes. Ces enveloppes auraient aussi vocation à financer les établissements publics de santé. Les prêts sur fonds d'épargne accordés à partir de 2008 aux collectivités territoriales (une première fois en 2008, puis en 2011 et en 2012) seraient donc pérennisés.
A côté des prêts aux collectivités, les divers autres "prêts thématiques" (pour le plan Campus, le plan Hôpital 2020 et les infrastructures de transport) financés par le fonds d'épargne dans le cadre du plan de relance décidé en 2008, pourraient être maintenus, sauf si une évaluation à laquelle il faudra procéder, révélait que cela n'est pas possible, ou pas souhaitable. La reconduction de ces financements thématiques au-delà de 2012-2013 "nécessiterait environ de 2 à 3 milliards d'euros de prêts nouveaux par an".
La Banque publique d'investissement destinée à financer les entreprises et dont la mise en place est en cours, devrait être l'un des principaux bénéficiaires de la réforme de l'épargne réglementée, selon Pierre Duquesne. Le doublement du plafond du livret de développement durable (LDD) permettrait de faire passer sa capacité d'intervention de 20 à 30 milliards d'euros.
S'agissant de l'épargne réglementée "décentralisée", c'est-à-dire l'épargne qui n'est pas centralisée à la Caisse des Dépôts (soit 114 milliards d'euros sur les 284 milliards d'euros que représentait, fin 2011, l'encours du livret A et du LDD), elle devrait pouvoir faire l'objet de plus grandes possibilités d'emploi par les établissements bancaires, suggère le rapport. Outre le financement des PME à hauteur d'au moins 60% - contre 80% aujourd'hui – les banques devraient obligatoirement financer "la transition énergétique et les mesures d'efficacité énergétique", l'économie sociale et solidaire, les collectivités locales et les "infrastructures durables rattachées aux collectivités locales, incluant les établissements publics de santé". Cette extension de la liste des emplois obligés de l'épargne décentralisée "rassurerait les collectivités sans choquer les banques" et "ne serait pas mal perçue par les PME". Cette décision devrait être accompagnée d'un effort de transparence et de pédagogie des établissements bancaires sur l'utilisation de l'épargne réglementée, pour la faire mieux connaître du grand public. T.B. / Projets publics

 

 

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