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Santé / Social - Implantation des médecins, gestion du RSA... Un diagnostic sévère de la Cour des comptes

Le rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale fait état d'un déficit historique des comptes sociaux. Et pointe, sur des terrains intéressant les collectivités locales, des dysfonctionnements et des dispositifs inefficaces voire contreproductifs. Tel est le cas en matière de répartition territoriale des médecins. Ou encore de la gestion du RSA par les CAF. Gros plan sur ces deux volets du rapport.

"Ni les dispositifs de quotas (numerus clausus et classement national), ni les mesures financières d'incitation n'ont permis à ce jour de réduire ces disparités" : le rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, présenté le 8 septembre, n'est pas tendre avec l'incapacité de ces différents dispositifs à atténuer les inégalités dans la répartition territoriale des médecins libéraux. Pourtant, la Cour observe que le nombre de médecins actifs (tous modes d'exercice confondus) a presque quadruplé entre 1968 et 2011, passant de 59.000 à 216.000, tandis que la densité des praticiens augmentait de 119 à 335 pour 100.000 habitants.

Les généralistes devant les boulangers...

Malgré ces évolutions, les écarts entre les départements les mieux et les moins bien dotés en généralistes libéraux sont restés strictement identiques entre 1985 et 2007 (rapport du simple au double). Même la hausse du nombre de médecins (tous modes d'exercice confondus) qui devrait se produire à partir de 2020, sous l'effet de l'assouplissement du numerus clausus depuis quelques années, ne devrait pas suffire à atténuer les écarts. La Cour rappelle toutefois que parmi les 137 équipements et services recensés par la Drees, les généralistes libéraux arrivent au 3e rang de ceux pour lesquels l'adéquation avec la répartition de la population est la meilleure, derrière les pharmacies et les salons de coiffure et devant les boulangeries. On ne peut pas en dire autant des spécialistes, puisque les ophtalmologistes se situent au 56e rang (sur 137), les pédiatres au 64e et les gynécologues au 66e. Mais la région et même le département ne sont pas des niveaux adaptés pour apprécier la réalité des inégalités de santé. Il faut en effet descendre au niveau des bassins de vie, voire à celui des écarts entre la ville centre et sa couronne.
Sur les évolutions sociodémographiques de la profession médicale (féminisation, vieillissement, abandon de la pratique libérale chez les étudiants et jeunes médecins...), le rapport n'apporte pas d'éléments nouveaux. En revanche, la Cour constate que les différents dispositifs de régulation des flux (numerus clausus, épreuves classantes nationales) se sont, jusqu'alors, révélés "insuffisamment efficaces". Les mesures en faveur de la médecine générale, comme la création d'une filière spécifique et la mise en place d'un stage de médecine générale, se sont heurtées à de "nombreux obstacles" et ne semblent guère avoir obtenu de résultats.

"Une multiplicité d'aides, sans portée réelle"

Enfin, les dispositifs incitatifs à l'installation des médecins - mis en œuvre à la fois par l'Etat, les collectivités et la sécurité sociale - ne trouvent pas davantage grâce aux yeux de la Cour, qui y voit "une multiplicité d'aides, mais sans portée réelle", avec de forts risques de redondance entre les aides. Plus récent, le développement de la coopération entre les professionnels de santé reste encore trop embryonnaire pour porter ses fruits.
De ce constat très mitigé, le rapport de la Cour des comptes tire une conclusion très éloignée de celle du gouvernement, qui plaide pour des mesures incitatives. Il estime en effet qu'"au-delà de la révision qui s'impose des dispositifs d'aides incitatives, d'autant moins efficaces qu'ils sont redondants et concurrents, cette situation justifie le recours à des mesures plus contraignantes". Le rapport rappelle que des dispositifs contraignants de régulation existent dans certains Etats voisins, comme l'Allemagne ou la Suisse, sans oublier le dispositif - français - de régulation de l'installation des infirmiers libéraux, qui semble faire ses preuves. Le principal instrument envisagé par la Cour est une modulation de la prise en charge des cotisations des médecins par l'assurance maladie, en fonction de leur choix d'installation. Dans le même temps, le rapport recommande aussi d'"élaborer une nouvelle cartographie homogène des zones fragiles fondées sur un temps d'accès à un médecin généraliste et si possible à un médecin spécialiste, qui ne doit pas excéder un temps maximum donné".

Gestion du RSA par les CAF : une hétérogénéité "contreproductive"

Dans un tout autre domaine, le rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale se penche par ailleurs sur les prestations servies par la branche famille pour le compte de l'Etat (AAH, APL, RSA activité) et des départements (RSA socle), soit 28 milliards d'euros en 2010 et 45% des prestations servies par les CAF. Cette gestion pour compte de tiers ne représentait encore que 15% des prestations au début des années 70. Autre caractéristique : les minima sociaux (AAH et RSA) - auxquels s'ajoutent les primes exceptionnelles (comme la prime de Noël) et les aides à l'emploi - constituent 58% des dépenses pour tiers, contre 42% pour les allocations logement.
Enfin, le RSA est désormais la première de ces prestations "en gestion", avec 8,2 milliards d'euros en 2010, auxquels il faut ajouter des reliquats de 765 millions de RMI et de 147 millions d'euros d'allocation de parent isolé (API). L'Etat finance près de 60% de ces prestations déléguées, les départements plus de 25% et les 15% restants sont financés... par les CAF, en vertu du principe - compliqué - de l'"allocation logement virtuelle".

Une gestion beaucoup plus lourde que celle des prestations familiales

Le rapport constate que la gestion pour compte de tiers est nettement plus lourde que celle des prestations légales : les charges de gestion sont en effet 4,5 fois plus élevées pour les bénéficiaires d'un minimum social et 1,8 fois pour les attributaires d'une allocation logement. Les bénéficiaires de minima sociaux représentent ainsi 55% du total des "allocataires pondérés", alors qu'ils ne constituent que 26% du nombre d'allocataires "physiques". On peut déduire de ces chiffres que le RSA (socle et activité) représente, à lui seul, près du tiers (31%) des "allocataires pondérés" des CAF
Autre information intéressante : alors que les gains de productivité réalisés dans les caisses entre 2000 et 2008 ont permis de réduire de 38% le coût de gestion des allocations familiales et de 11% celui des allocations logement, celui des minima sociaux a au contraire augmenté de 14%. Dans ces conditions, on comprend mieux les sérieuses difficultés rencontrées par les CAF lors de la mise en place du RSA... Le rapport constate d'ailleurs que la mise en œuvre du RSA est "à l'origine, pour partie, d'une dégradation des performances des CAF".

Des "partenariats à contours variables" avec les départements

Au-delà de ces éléments statistiques, le rapport relève une grande hétérogénéité de gestion de ces prestations déléguées, avec de fortes différences d'organisation du travail selon les caisses. Mais la Cour s'intéresse aussi aux relations avec les départements, essentiellement autour du RSA. Elle en tire l'image de "partenariats à contours variables", fortement marqués par l'histoire et les contextes locaux. Ainsi que le souligne le rapport, "cette hétérogénéité rend particulièrement difficile l'évaluation de la charge de travail des organismes et a fortiori les comparaisons entre eux". Les situations locales sont en effet très disparates et l'implication des CAF "inégale". Ainsi, au début de 2010, 94% des caisses de métropole déclaraient participer à l'instruction des dossiers de RSA (et donc pas seulement à son versement). Mais la part estimée dans cette instruction varie très fortement : 16% des dossiers à Blois, 18% à Paris, 20 à 30% à Arras, 80% à Mâcon et Melun, 90% à Marseille... En outre, seules 40% des CAF disent assurer le recueil des données socioprofessionnelles des bénéficiaires du RSA et à peine 10% l'orientation vers les dispositifs d'accompagnement pour le compte du département.
Cette hétérogénéité des situations se retrouve dans les relations financières entre CAF et départements. Sur les six CAF auditées, les délégations de compétence et les modalités de rémunération sont ainsi très différentes. Il en est de même sur la question des indus, sujet de friction traditionnel avec les départements. La Cour des comptes confirme notamment que "les départements ont des difficultés à connaître le détail et surtout l'origine des indus qui leur sont transférés". En revanche, elle donne quitus aux conseils généraux sur leurs versements, en constatant que "grâce à une concertation entre l'Assemblée des départements de France et les principaux acteurs du dispositif au niveau national, le principe de neutralité financière est bien respecté, les acomptes étant souvent versés par les départements à une date proche de l'échéance de paiement".

Vers une facturation des frais de gestion ?

De façon plus large - sur l'ensemble de la gestion pour compte de tiers de la branche famille -, le rapport souligne "la nécessité d'une stratégie claire et d'un réel pilotage". Ceci passe à la fois par une définition plus précise du cadre de la gestion pour compte de tiers et par une généralisation du principe d'acquittement de frais de gestion. On rappellera au passage que les textes excluent aujourd'hui la possibilité de facturer des frais aux départements au titre de l'instruction et du service du RSA socle, les dépenses correspondantes étant couvertes par le Fonds national de gestion administrative (FNGA) de la Cnaf. Les délégations particulières font en revanche l'objet d'une facturation au département, comme dans le cas des Bouches-du-Rhône. Le rapport propose également d'"assigner des objectifs plus contraignants à la branche famille", en mettant en place une comptabilité analytique, en améliorant la qualité de la liquidation et en rapprochant les pratiques de gestion des CAF, afin d'éviter - comme dans le cas du RSA - "une hétérogénéité telle qu'elle en devient contreproductive".

Recompositions hospitalières et complémentaire santé

Le rapport de la Cour des comptes évoque également deux autres sujets qui intéressent l'action sociale des collectivités : les aides publiques au financement de la couverture maladie complémentaire (CMU et ACE) et les coopérations hospitalières.
Sur ce dernier point, la Cour se montre critique sur le contraste entre des dispositifs très nombreux - le rapport évoque "une accumulation d'outils" - et une mise en œuvre et des résultats pratiques qui laissent à désirer. Les critiques formulées contre ces dispositifs sont nombreuses et argumentées : cadre juridique souvent trop flou, financements à la pérennité incertaine, déséquilibres entre les parties prenantes notamment dans la répartition des coûts mais aussi dans le partage des retombées médico-techniques... Tout cela pour un impact qui n'est pas toujours très probant. Le rapport reconnaît toutefois les bénéfices des coopérations en matière d'amélioration de l'accès aux soins et de leur qualité. Mais il pointe aussi certains effets pervers, comme le renforcement de la concurrence ou l'utilisation de la coopération pour éviter ou retarder les restructurations. Parmi les recommandations du rapport, on retiendra notamment la demande d'un "pilotage ferme" de la recomposition de l'offre hospitalière, la réduction du nombre de dispositifs juridiques et la suggestion faite aux agences régionales de santé de "vérifier la pertinence géographique des territoires de santé et les affranchir au besoin des limites départementales".
Sur la question des différents dispositifs d'aide à l'accès à une protection santé complémentaire, le rapport s'interroge sur le coût et la pertinence des diverses aides sociales et fiscales, dont le coût total atteint 4,3 milliards d'euros (dont la moitié au titre de l'exemption de contributions sociales des contrats collectifs dits "responsables"). Sur ce dernier point, la Cour s'inquiète en particulier des éventuels effets d'aubaine et de l'impact réel de ces avantages. La Cour ne remet pas en cause, en revanche, l'intérêt des dispositifs à caractère social, mais elle s'interroge sur le manque d'articulation entre la CMU-C et l'aide à la complémentaire santé (ACS). Par ailleurs, elle soulève - comme d'autres avant elle - la question des effets de seuil engendrés par ces dispositifs. Elle propose donc de "faire réaliser une évaluation indépendante de la CMU-C et de l'ACS et d'actualiser les études relatives à la consommation de soins des bénéficiaires". Mais elle préconise surtout de réduire l'effet de seuil lié au plafond de la CMU-C en accroissant celui de l'ACS, et en finançant cette mesure grâce à une partie des recettes qui serait apportée par le réajustement des aides aux contrats collectifs d'entreprises. Une mesure déjà décidée par le gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances modificatif.

 

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