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Social - Les CAF entre déprime et optimisme

Partenaires incontournables des départements et des communes, les caisses d'allocations familiales sont soumises aux mêmes aléas nés de l'accroissement de la demande sociale. Après de graves difficultés de fonctionnement en 2009 à l'approche du RSA, puis une nouvelle crise en février-mars dernier, le récent bilan d'étape de la convention d'objectifs et de gestion offre une vue contrastée. Si les grands objectifs semblent en bonne voie, la qualité de service s'est nettement dégradée en 2009 et la situation reste incertaine pour 2010, malgré quelques lueurs d'espoir.

"La branche famille a su relever le double défi visant à mettre en oeuvre le revenu de solidarité active dans des délais très courts et à donner un nouvel essor dans le service apporté aux familles en matière d'accueil des jeunes enfants" : ainsi s'ouvre le bilan d'étape de la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2009-2012, adoptée par le conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) dans sa séance du 12 juillet. Signée avec l'Etat en avril 2009, la COG fixe notamment trois orientations stratégiques : mettre en oeuvre une offre globale de service pour les allocataires, optimiser et sécuriser les processus de gestion et améliorer le fonctionnement en réseau de la branche pour optimiser ses ressources.

 

Pari réussi pour le RSA

Sur les "défis à relever", le bilan d'étape de la COG 2009-2012 est résolument optimiste. Le document insiste notamment sur deux points emblématiques. Le premier concerne la mise en place du RSA. Les sérieuses inquiétudes et la situation de crise qui prévalaient encore quelques semaines avant la mise en place de cette nouvelle prestation (voir notre article ci-contre du 18 mars 2009) sont aujourd'hui oubliées et la Cnaf se félicite de la "mobilisation de la branche famille qui a permis la réussite de la mise en oeuvre du RSA". Outre les postes supplémentaires dégagés en interne ou autorisés par l'Etat, ce résultat doit beaucoup au travail des groupes projets mis en place pour l'occasion (dont l'un consacré aux échanges de données avec les départements), à un important effort de formation des agents concernés et de ceux nouvellement recrutés, ainsi qu'à un déploiement réussi des outils du système d'information. Le bilan d'étape relève ainsi que les équipes du système d'information ont piloté trois versions successives de l'application Cristal, qui ont mobilisé 70 années/hommes de travail de la part des équipes informatiques, au détriment de "bon nombre d'autres projets déjà engagés".

Cette réussite est incontestable puisque le passage du RMI au RSA n'a pas engendré de désagrément notable pour les bénéficiaires, malgré l'ampleur de la population concernée (plus d'un million de foyers). Le seul point faible concerne les relations avec les départements. Le bilan d'étape ne le mentionne pas, mais, lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat le 29 juin dernier, Hervé Drouet, le directeur général de la Cnaf, a reconnu qu'"il reste des progrès à accomplir sur les flux d'information des caisses aux départements. Les informations sont parfois trop nombreuses et ne se recoupent pas ; elles sont parfois difficiles à comprendre". Dans le cadre des mesures d'amélioration du RSA, Marc-Philippe Daubresse a d'ailleurs annoncé la mise en place d'un groupe de travail sur la question, auquel doit notamment participer l'Association des départements de France (voir notre article ci-contre du 6 juillet 2010).

 

Modes de garde : du mieux, mais moins vite

Le second dossier emblématique de la mise en oeuvre de la COG est celui du développement de l'accueil des jeunes enfants. Le bilan d'étape rappelle en particulier la mise en place du 7e plan Crèches, qui doit permettre l'ouverture de 60.000 places supplémentaires sur la période 2009-2012. Il souligne aussi la mise en oeuvre d'"initiatives spécifiques", comme la création expérimentale de 8.000 places de jardin d'éveil à l'horizon 2012 ou la création de 2.590 places dans le cadre du plan Espoir banlieues. Autres éléments mis en avant par le rapport d'étape : la mise en ligne du site mon-enfant.fr qui aide les parents à trouver une solution de garde, l'évolution des relais assistantes maternelles ou encore la prime d'installation de 300 à 500 euros versée aux assistantes maternelles nouvellement agréées et acceptant d'adhérer à une charte d'engagements réciproques.

Ici aussi, l'audition du président et du directeur général de la Cnaf par la commission des affaires sociales du Sénat apporte cependant un bémol. Jean-Louis Deroussen indique notamment que les dépenses d'action sociale de la branche famille n'ont progressé que de 2,4% en 2009 - contre un objectif annuel de 7,5% prévu par la COG - "en raison de la sous-consommation des crédits du Fonds national d'action sociale, principalement parce que les collectivités ont construit moins de crèches et signé moins de contrats temps libre pour les jeunes que ce que l'on avait imaginé". Le président de la Cnaf estime toutefois qu'il s'agit d'un simple report - certaines collectivités ayant différé leur projet en constatant que les crédits étaient disponibles jusqu'en 2012 - et que l'objectif prévu par la COG reste tenable à l'échéance 2012. Un dossier politiquement très sensible, puisque les places financées par la Cnaf doivent contribuer à l'atteinte de l'objectif de 200.000 places de modes de garde supplémentaires à l'horizon 2012, promis par le président de la République.

Sur les aspects liés au fonctionnement interne des CAF, le point d'étape revendique également un bilan positif. Sont notamment évoqués à ce titre la "refonte majeure" de la politique de maîtrise des risques - autrement dit le renforcement des contrôles et de la lutte contre la fraude aux prestations sociales - et le développement de la mutualisation des ressources et des fonctions. Un point intéresse plus particulièrement les collectivités : le processus de départementalisation des CAF, qui doit aboutir à une organisation territoriale basée sur le principe d'une seule caisse par département. Trois arrêtés ministériels ont ainsi créé les CAF du Doubs, de l'Hérault et de l'Oise, et le Maine-et-Loire et la Loire devraient suivre très prochainement.

 

Une nette dégradation de la relation de service en 2009

Si la branche famille met ainsi en avant un bilan positif sur la mise en oeuvre des grands engagements de la COG, il n'en va pas de même pour la qualité du service. Le bilan d'étape dresse au contraire un tableau très sombre de la situation. Pour la Cnaf en effet, "un fort accroissement des charges de travail n'a pas permis de respecter plusieurs des engagements de service". Elle rappelle tout d'abord - même si l'année de référence de 2008 a été particulièrement calme - que, l'an dernier, le nombre de visites dans les CAF a progressé de 14,8%, celui des pièces à traiter de 10,9% et celui des appels téléphoniques de 36,6%. Pour sa part, le nombre de "transactions" (traitements temps réels générés par les techniciens-conseils) aurait progressé de 40%. Une hausse compensée pour partie seulement par les gains de productivité des agents (augmentation de 6,2% du nombre de pièces traitées par agent en 2009, après +4,9% en 2008).

Le bilan d'étape évoque plusieurs raisons pour expliquer cette brusque montée en régime : la hausse de la demande sociale avec la crise, la mise en oeuvre du RSA et de plusieurs autres mesures nouvelles (prime "familles modestes", prime de solidarité active, majoration des plafonds du complément de libre choix du mode de garde...), la réforme du traitement des ressources et du renouvellement des droits ou encore l'investissement important dans la maîtrise des risques. Si l'on peut discuter des causes, les effets sont en revanche incontestables. La Cnaf ne cache d'ailleurs nullement que "l'ensemble des résultats relatifs aux fondamentaux de la relation de service connaît une baisse sensible". Quelques chiffres en témoignent. La part des courriers traités dans un délai inférieur ou égal à quinze jours est ainsi tombée à 78%, alors que la COG fixe un objectif de 85%. Entre 2008 et 2009, le taux d'appels téléphoniques traités à reculé de 16,5 points, pour s'établir à 75% contre un objectif de 90% dans la COG. Ce recul s'observe aussi sur le temps d'attente à l'accueil inférieur ou égal à vingt minutes, passé de 92,5% à 83,8% (même si ce dernier chiffre n'est pas trop loin de l'objectif COG de 85%). La Cnaf souligne toutefois que, malgré une baisse de huit points en un an, 89% des demandes de minima sociaux restent traitées dans un délai inférieur ou égal à dix jours, pour un objectif de 85%.

 

2010 : un verre à moitié vide ou à moitié plein ?

Face à cette dégradation, la branche famille n'est pas restée inactive. Plusieurs mesures ont été mises en oeuvre : recours aux heures supplémentaires, recrutements en CDD, rachat de jours de RTT et même mise en place d'un "atelier de régulation des charges" au niveau national. Mais une autre mesure a suscité de nombreux grincements de dents dans les départements concernés : celle consistant à "réduire l'offre d'accueil", pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. L'an dernier, 69 CAF ont été amenées à prendre une décision de ce type, avec 54 fermetures et 24 réductions d'accueil physique et 58 fermetures et 24 réductions d'accueil téléphonique... On comprend mieux, dans ces conditions, que le bilan d'étape se réjouisse du report de la réforme de l'AAH (du 1er septembre 2009 au 1er janvier 2011) et de celui de la mise en place du RSA jeunes (du 1er juin au 1er septembre 2010). 

Pour éviter de laisser une impression trop négative sur la dégradation de la qualité de service, le communiqué de la Cnaf qui accompagne la publication du bilan d'étape prend bien soin de préciser que "pour l'année 2010, la branche famille connaît une nette amélioration de la situation". Le communiqué évoque notamment le passage du solde de dossiers en instance de neuf à trois journées de travail et une amélioration "très sensible" des délais de traitement et des temps d'attente. S'il est compréhensible après le tableau très noir de 2009, ce soudain optimisme peut surprendre. Une nouvelle crise, avec fermetures d'accueils dans plusieurs caisses, s'est en effet produite en février-mars 2010 (voir notre article ci-contre du 12 mars 2010). Dans une lettre du 26 février 2010 adressée au ministre du Travail, le président du conseil d'administration de la Cnaf indiquait alors que "la situation des caisses semble s'aggraver dangereusement et à très vive allure en ce début d'année 2010" et que "l'ensemble de l'institution est proche de l'implosion". Il affirmait à nouveau que "nous ne sommes pas en mesure d'honorer nos engagements en matière de qualité de service, prévus dans la convention d'objectifs et de gestion 2009-2012". En attendant de disposer d'un peu plus de recul et de chiffres plus exhaustifs, sans doute la réalité d'aujourd'hui se situe-t-elle quelque part entre le pessimisme de février-mars et l'optimisme de juillet...

 

Jean-Noël Escudié / PCA