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Fonction publique - Discrimination au recrutement : la FPT, mauvaise élève ?

Yannick L'Horty, professeur à l'Université Paris-Est Marne-La-Vallée, a remis au Premier ministre, mardi 12 juillet, le rapport de la mission qu'il a dirigée sur "Les discriminations dans l'accès à l'emploi public". S'ils rappellent l'importance des politiques publiques menées dans ce domaine, les auteurs n'en pointent pas moins des discriminations, principalement établies au moyen du "testing". Ils les relèvent en particulier "dans l'accès à l'emploi, selon l'origine et le lieu de résidence", au sein de la fonction publique territoriale.

Yannick L'Horty, professeur à l'Université Paris-Est Marne-La-Vallée, a remis au Premier ministre, mardi 12 juillet, le rapport sur l'évaluation des risques de discriminations lors des recrutements dans les trois versants de la fonction publique, rapport que Manuel Valls lui avait commandé en mai 2015 (voir ci-contre notre article du 11 mai 2015).
Il rappelle en introduction que le "rôle de référence" joué par le recrutement par concours dans la fonction publique pourrait laisser à penser que "l'accès à l'emploi public dans son ensemble ne serait pas ou peu exposé au risque de discrimination". Or, ajoute-t-il immédiatement, il s'agit d'une "erreur", à la fois du fait de la place relative du concours dans l'ensemble des opérations de recutement - le concours représenterait un recrutement sur six - et du fait que cette discrimination ne serait pas la résultante d'une attitude consciente mais plutôt de "stéréotypes" dont les recruteurs seraient "victimes".
Afin de mesurer ce phénomène, les travaux de la mission ont combiné trois approches : des entretiens auprès d'un panel de recruteurs publics ; des exploitations de bases de données de concours, issues de l'administration dans plusieurs grands pôles de recrutement public ; des campagnes de tests de discrimination, à la fois dans l'accès à l'information et l'accès à l'emploi.

Des actions diverses, "pas ou peu évaluées"

Le rapport rappelle tout d'abord qu'à la suite du comité interministériel "Egalité et Citoyenneté" du 6 mars 2015, le gouvernement s'est engagé sur des actions "en faveur de l'égalité d'accès aux métiers de la fonction publique et d'une plus grande diversité des profils et des parcours". Les entités publiques ont ainsi "mieux diffusé l'information sur les opportunités d'emploi et travaillé sur la définition de fiches de postes moins sélectives", modifié les règles de constitution des jurys et sensibilisé ces derniers aux problématiques de discrimination. Elles ont "professionnalisé" les acteurs et le processus du recrutement, tout en changeant le contenu des épreuves de nombreux concours. Elles ont développé les voies d'accès aménagées, le "Pacte", l'apprentissage, les classes préparatoires intégrées, parmi d'autres actions. Toutefois, ces multiples actions ont été déployées "avec des contenus et des intensités variables" selon les administrations, et sont en outre "pas ou peu évaluées".

Un "testing" à partir de candidatures virtuelles

Le rapport a voulu évaluer et comparer les discriminations à l'emploi dans le secteur privé et dans les trois versants de la fonction publique. Pour les tests d'accès à l'emploi, les auteurs ont fait le choix de trois profils permettant de représenter chaque catégorie statutaire (A, B et C) et chaque grande filière professionnelle (administrative, technique, sociale) : responsable administratif  ; technicien de maintenance ; aide‐soignante. En outre, deux entrées ont été privilégiées : le patronyme, "révélateur de l'origine ethno‐raciale", et le lieu de résidence, "qui exprime une origine sociale".
Les candidatures, purement virtuelles, ont pris la forme d'un envoi de lettres de motivation et de CV, en réponse aux vraies offres d'emploi publiées sur internet. Pour chaque profil, trois candidatures fictives ont été construites : "un candidat portant un prénom et un nom à consonance française et résidant dans un quartier neutre (candidat de référence) ; un candidat portant un prénom et un nom à consonance maghrébine et résidant dans un quartier neutre ; un candidat portant un prénom et un nom à consonance française résidant dans un quartier politique de la ville (QPV)." 644 offres concernaient des postes à pourvoir dans le secteur privé (59%). 442 offres ont été testées dans la fonction publique, dont 280 dans la fonction publique territoriale (FPT), 91 dans la fonction publique hospitalière et 71 dans la fonction publique d'Etat.

Des taux d'accès aux entretiens d'embauche inférieurs

Dans l'analyse des résultats, les auteurs du rapport soulignent tout d'abord que dans la fonction publique territoriale, et a fortiori dans la fonction publique hospitalière, "la règle est celle d'un recrutement totalement décentralisé" au niveau de chaque établissement public ou collectivité. De surcroît, les procédures qui encadrent ces recrutements "sont de portée minimale et le degré de sensibilisation des acteurs [aux] problématiques [de discrimination] est d'une grande variété". En outre, le "testing" ne peut "que s'appliquer aux recrutements de contractuels et dans des cas particuliers de concours, où les lauréats figurent sur une liste d'aptitude mais doivent effectuer une recherche de poste", comme c'est le cas par exemple dans les concours d'attaché territorial.
Sur l'ensemble des 90 offres d'emploi de responsable administratif testées dans la FPT, le candidat résidant dans un quartier politique de la ville a un taux d'accès aux entretiens d'embauche inférieur de 11,11 points à celui du candidat portant, comme lui, un prénom et un nom à consonance française mais résidant dans un quartier "neutre" (-10,00 points pour le candidat au nom "à consonance maghrébine"). Pour l'emploi de technicien de maintenance, ces écarts sont respectivement de +1,34 et -4,03 points, pour l'emploi d'aide-soignante de -4,88 et -9,76 points.
Les données collectées permettent également de tester "l'intensité des discriminations" selon la nature du contrat, mais uniquement pour les recrutements de responsables administratifs de la fonction publique territoriale où des postes de titulaires et des postes de contractuels coexistent dans les offres publiées. Elles mettent ainsi "en évidence", des discriminations liées au lieu de résidence dans l'accès aux emplois de titulaires (-8,62 et -6,89 points), d'intensité plus faible que pour les emplois de contractuels (-15,62 points dans les deux cas).

La fonction publique, pas meilleure que les recruteurs privés

Ces tests de discriminations "indiquent de façon convergente" que la fonction publique "ne présente pas globalement de meilleurs résultats que les recruteurs privés", une situation déplorée par la ministre Annick Girardin, présente lors de la remise du rapport. Les discriminations ne sont donc pas systématiquement moins fortes dans le recrutement public (selon les professions testées, elles sont tantôt plus fortes dans le public que dans le privé, tantôt moins fortes). Au sein de l'emploi public, les auteur du rapport ne sont pas "en mesure de mettre en évidence l'existence de discriminations dans l'accès à la fonction publique d'Etat". En revanche, ils estiment avoir  obtenu "plusieurs preuves statistiques" de l'existence d'une discrimination dans l'accès à l'emploi, selon l'origine et le lieu de résidence, pour la fonction publique hospitalière et pour la fonction publique territoriale.
Au final, les auteurs concluent sans surprise que "le concours ne préserve jamais totalement du risque de discrimination, même si, à l'évidence, il le réduit relativement à un recrutement sans concours".  Ils recommandent la mise en place, pour la fonction publique dans son ensemble, d'un "outil de suivi de l'égalité d'accès à l'emploi, dans des domaines tels que la parité, la diversité, l'origine sociale, le lieu de résidence, [et] l'âge". Ce suivi se concrétiserait par des rapports annuels couvrant les nouveaux recrutements. Ils proposent aussi la mise en place d'un "dispositif de suivi du risque discriminatoire". 

"Nouvelles mesures fortes"

Le ministère de la Fonction publique rappelle que l'ensemble des écoles de service public devront se doter d'un plan d'action en matière de diversité, dans le cadre de la mission confiée par le Premier ministre à Olivier Rousselle (voir ci-contre notre article du 3 mars), et que la procédure de labellisation égalité–diversité engagée par l'ensemble des ministères - applicable également dans les collectivités - d'ici fin 2016 est l'occasion de "réviser leurs processus de gestion des ressources humaines sur le sujet" (voir ci-contre notre article du 5 mai). 
Le ministère souligne aussi que de "nouvelles mesures fortes" viennent d'être adoptées dans le cadre du projet de loi "Egalité et Citoyenneté" (voir nos articles ci-contre). Il s'agit notamment de mesures d'information et d'évaluation de l'ouverture de la fonction publique, avec un rapport bi-annuel sur la lutte contre les discriminations, une collecte des données des candidats aux concours par les services statistiques des administrations, et d'une meilleure information sur les métiers et les voies d'accès à la fonction publique dans l'enseignement supérieur. Le projet de loi comporte par ailleurs des mesures d'ouverture de la fonction publique aux différents parcours et profils, avec l'harmonisation des conditions d'accès au 3e concours et la prise en compte de toute activité professionnelle (associative, privée, apprentissage), ainsi que le renforcement du recrutement en catégorie C par la voie du "Pacte", désormais possible jusqu'à 28 ans contre 25 ans jusqu'à présent.
Au-delà, annonce le ministère, des "axes complémentaires d'action" viendront compléter ces mesures en s'appuyant sur les travaux de Yannick L'Horty, en particulier avec "la mise en place d'un dossier unique d'inscription aux concours", l'organisation d'une "campagne annuelle de testing dans la fonction publique, l'obligation du suivi d'un module de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes, et la mise en place d'un module de formation en ligne pour les managers, s'agissant du recrutement et des biais de discriminations possibles".

 

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