Projet de loi Egalité et Citoyenneté - Plec, titres I et III : les députés de la commission font feu de tout bois
(A lire également, notre article de ce jour : "Plec, titre II : pluie d'amendements "logement" en commission")
TITRE I - EMANCIPATION DES JEUNES, CITOYENNETE ET PARTICIPATION
ENGAGEMENT
Réserve civique – La réserve citoyenne serait renommée "réserve civique". De nouvelles réserves thématiques pourraient être créées par voie réglementaire ; l'avis du Haut Conseil à la vie associative (HCVA) serait alors sollicité, de même qu'au moment de l'élaboration de la charte de la réserve civique et en cas de modification de cette dernière. Une réserve civique serait constituée auprès de chaque poste consulaire à l'étranger.
Extension du congé d'engagement – Prévu à l'article 8, le congé d'engagement bénéficierait également aux salariés et fonctionnaires qui, sans siéger dans l'organe de direction ou d'administration d'une association, exercent "à titre bénévole, au niveau national ou territorial, des fonctions de direction, de représentation ou d'encadrement" au sein d'une association ou siègent dans un conseil citoyen. Les membres des tables de quartier ne seraient a priori pas concernés, ce qui ne manquera pas de décevoir la coordination "Pas sans nous" qui plaide pour la diversité des formes de participation (voir notre article du 14 juin 2016 "Les conseils citoyens vus par les associations et les habitants"). La commission spéciale renvoie à la négociation collective la décision du maintien ou non de la rémunération pendant ce congé.
Extension, encadrement et reconnaissance du service civique – Certaines organisations de jeunesse avaient fait part à la commission spéciale de leur crainte d'une dissolution des spécificités du service civique du fait de son ouverture à de nouveaux organismes, tels que les sociétés HLM (voir notre article du 26 mai 2016 "Projet de loi Egalité et Citoyenneté : les organisations de jeunesse auditionnées par la commission spéciale de l'Assemblée"). Tout en ajoutant les sociétés agréées entreprises d'utilité sociale (Esus) à la liste des potentiels organismes d'accueil, sur proposition du député Yves Blein (Rhône, PS) (1), la commission spéciale apporte plusieurs dispositions visant à clarifier et cadrer davantage le service civique.
La structure agréée devrait ainsi s'engager à "contribuer à l'objectif de mixité sociale et éducative du service civique en recrutant les volontaires en fonction de leur motivation et en accueillant en service civique des jeunes de tous niveaux de formation initiale". L'attribution de l'agrément s'effectuerait en outre sur la base du caractère "non substituable à l'emploi" des missions proposées. Un rôle de coordination et de contrôle – promotion, valorisation, égalité d'accès, … - serait par ailleurs confié au préfet de département.
Côté droits, une "carte du volontaire" permettrait aux jeunes d'avoir accès à des avantages équivalents à ceux des étudiants. La formation mise en place pendant le service civique aurait une durée minimale et un calendrier plus précis. Pour les jeunes étrangers, le dispositif deviendrait accessible à partir de 16 ans. Les jeunes étudiants en service civique ou engagés d'une autre manière – notamment en étant administrateurs d'une association – pourraient bénéficier, comme actuellement les sportifs de haut niveau, d'aménagements dans l'organisation de leurs études.
Le service civique serait enfin valorisé dans le cadre des voies d'accès aux trois fonctions publiques (reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle) et dans le calcul de l'ancienneté pour l'accès aux concours internes et l'avancement (nouveaux articles 12 quater et quinquies).
Droit des jeunes à l'engagement et objectifs contraignants pour les collectivités – "Organiser, proposer et encadrer des missions d'intérêt général constitue une ardente obligation de la Nation toute entière", proclame solennellement le texte de la commission spéciale (article 12 bis). Selon l'exposé des motifs, ce "devoir d'engagement" ne doit pas reposer sur les jeunes - ces derniers, jusqu'à 25 ans révolus, étant pourtant ciblés - mais sur "l'ensemble de la société" et en particulier "l'Etat, les collectivités territoriales et les entreprises de la sphère publique".
Pour parvenir à l'universalisation du service civique souhaitée par le président de la République, les députés de la commission suggèrent que soient étudiées dans un rapport "la faisabilité et l'opportunité d'un déploiement contraignant des offres de missions de service civique dans les collectivités publiques" (article 12 septies) et "la pertinence d'un mécanisme de proportionnalité du nombre d'offres de missions devant être proposées en fonction de la taille des collectivités". D'après l'exposé des motifs de l'amendement, des offres de missions "dans une proportion au moins égale à 5% de leurs effectifs" pourraient ainsi être proposées par les administrations publiques à partir de 2018, "à l'exception des communes de moins de 5.000 habitants" ; ce seuil pourrait être abaissé à 4% pour les communes de 50.000 à 100.000 habitants et à 3% pour les communes de plus de 100.000 habitants (2).
Sans suggérer de telles dispositions pratiques, la commission spéciale introduit un autre article visant à inscrire dans la loi le droit à la mobilité internationale, ou encore "le droit de chaque jeune atteignant à compter de 2020 l'âge de 18 ans à bénéficier, avant ses 25 ans, d'une expérience professionnelle ou associative à l'étranger".
Journée Défense et Citoyenneté et accès aux droits – Obligatoire pour les Français de 16 à 25 ans, cette journée serait l'occasion de présenter aux jeunes de façon détaillée leurs droits (notamment les aides sociales), les procédures nécessaires pour y avoir accès et les services publics pouvant les accompagner.
Engagement associatif des jeunes - L'engagement associatif serait davantage mis en avant à l'école, notamment dans le cadre de l'enseignement moral et civique où les collégiens et lycéens seraient "invités à participer à un projet citoyen au sein d'une association d'intérêt général". Les établissements d'enseignement supérieur seraient tenus d'élaborer "une politique spécifique visant à développer l'engagement des étudiants au sein des associations". En outre, un mineur "capable de discernement" pourrait désormais se passer de l'accord a priori de ses parents - ces derniers étant toutefois informés - pour participer à la création d'une association ou en devenir membre.
Ressources des associations et simplification - Sur le modèle de ce qui se fait déjà en Italie avec les biens confisqués à la mafia, les "biens immeubles non restitués devenus propriété de l'Etat" pourraient être utilisés à des fins d'intérêt général et leur gestion pourrait être confiée à des entreprises de l'économie sociale et solidaire. Autres potentielles ressources évoquées pour les associations : le contenu des comptes inactifs de certaines associations ou encore la participation à des vides greniers ! La limite de participation pour des vendeurs non-professionnels passerait de deux à quatre par an, (presque) une aubaine pour "beaucoup de petites associations locales" qui "ont vu leurs subventions se réduire".
Selon un amendement du gouvernement, l'ordonnance du 23 juillet 2015 portant simplification du régime des associations (voir notre article du 27 juillet 2015 "L'ordonnance sur la simplification du régime des associations est parue") serait ratifiée, afin d'en accélérer la mise en œuvre. Le Haut Conseil à la vie associative (HCVA) se verrait en outre confier une mission d'accompagnement des structures associatives bénévoles, pour les aider à faire face aux contraintes législatives et réglementaires. Sur la base de cette mission, le HCVA publierait annuellement des recommandations visant à simplifier ce cadre normatif (nouvel article 15 quater).
EDUCATION
Contrôle de l'instruction à domicile – Les parents qui refusent deux fois de suite, "sans motif légitime", de soumettre leur enfant au contrôle annuel, seraient mis en demeure de l'inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé, selon la même procédure que celle prévue en cas de résultats insuffisants du contrôle (après art.14) (voir aussi notre article "Instruction à domicile, écoles privées hors contrat : vers un renforcement du contrôle des communes et de l'Etat").
Ouverture des établissements scolaires hors contrat - Le gouvernement serait autorisé à prendre par ordonnance des mesures visant à remplacer les régimes de déclaration d'ouverture préalable en vigueur par un régime d'autorisation, à préciser les motifs pour lesquels les autorités compétentes peuvent refuser d'autoriser l'ouverture et à fixer les dispositions régissant l'exercice des fonctions de direction et d'enseignement dans ces établissements. L'ordonnance serait prise dans un délai de six mois après la promulgation de la loi (après art.14) (voir aussi notre article "Instruction à domicile, écoles privées hors contrat : vers un renforcement du contrôle des communes et de l'Etat").
POLITIQUES JEUNESSE
Politiques jeunesse et concertation – En matière de politiques jeunesse (article 16), la commission spéciale estime que les jeunes doivent avoir voix au chapitre, notamment dans le cadre d'un "processus annuel de dialogue structuré" (3) qui serait "coordonné au sein de la conférence territoriale de l'action publique" et qui porterait "notamment sur l'établissement d'orientations stratégiques et sur l'articulation et la coordination de ces stratégies entre les différents niveaux de collectivités et l'Etat".
La commission entend également rappeler aux collectivités locales qu'elles peuvent "créer toute instance de concertation compétente" pour permettre à des jeunes de moins de 30 ans d'"émettre un avis sur les décisions relevant notamment de la politique de jeunesse". Une façon de suggérer, à défaut de pouvoir contraindre ?
De la même façon, la représentation des jeunes dans les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser) et les conseils de développement serait encouragée. A noter, une disposition symbolique mais non négligeable pour favoriser l'accès des jeunes aux fonctions électives : "la règle régissant les élections locales qui permet au candidat le plus âgé ou à la liste ayant la moyenne d'âge la plus élevée de reporter le scrutin en cas d'égalité des voix" serait inversée : ce serait les plus jeunes qui remporteraient l'élection !
Un nouvel article (16 octies) remplacerait le Conseil national de la jeunesse, jugé "inactif", par un "Conseil d'orientation pour les politiques de jeunesse, lieu d'évaluation, d'études et de concertation avec les principaux acteurs chargés de la jeunesse (Etat, représentants des organisations de jeunesse, partenaires sociaux, collectivités locales, associations familiales, …)". Les rapporteurs de la commission spéciale, auteurs de cet amendement, rappellent que le gouvernement avait "annoncé la création d'une telle structure avant l'été".
Au cas où rien n'aurait été dit sur les jeunes dans les contrats de ville, la définition d'"actions stratégiques" les concernant deviendrait obligatoire dans les contrats à partir de 2017.
Autonomie des jeunes – Promesse du candidat Hollande en 2012, la création d'une "allocation d'études et de formation, sous conditions de ressources" devrait faire l'objet d'un rapport au Parlement. Pour les jeunes et les moins jeunes, la préparation du permis de conduire deviendrait éligible au compte personnel de formation.
Auberges de jeunesse – "Une auberge de jeunesse est un établissement agréé au titre de sa mission d'intérêt général dans le domaine de l'éducation populaire et de la jeunesse." Une définition précise et une procédure d'agrément auraient vocation à sécuriser les gestionnaires sans but lucratif – associations ou collectivités –, fragilisés par "l'utilisation abusive de l'appellation 'auberge de jeunesse' par certains opérateurs proposant des produits à bas prix" (article 19 quater).
TITRE III - POUR L'EGALITE REELLE
PARTICIPATION DES HABITANTS
Conseils citoyens – La commission spéciale propose d'ajuster le polémique article 34 relatif à la possibilité de saisine du préfet par les conseils citoyens. La saisine serait transmise "au maire, au président de l'établissement public de coopération intercommunale et aux signataires du contrat de ville". Le préfet pourrait alors soumettre "au comité de pilotage du contrat de ville le diagnostic et les actions" préconisées, avant d'inscrire ces actions à l'ordre du jour des assemblées signataires du contrat de ville.
Le texte de la commission fait réapparaître la figure du "délégué du gouvernement", qui avait disparu du projet de loi actuel par rapport à une version antérieure. En cas de réelles difficultés, le préfet, après consultation des élus et notamment du maire, pourrait "demander la nomination d'un délégué du gouvernement qui lui [serait] directement rattaché" et qui établirait "dans un délai de trois mois, un diagnostic et une liste des actions à mener" (article 34 bis). Annoncé lors du Comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté du 26 octobre 2015, le dispositif a été officiellement lancé lundi 20 juin ; douze délégués du gouvernement interviendront de façon expérimentale pendant un an dans douze agglomérations.
FONCTION PUBLIQUE
Lutte contre les discriminations dans la fonction publique – Un rapport biennal devrait être publié chaque année par le gouvernement sur la lutte contre les discriminations et la prise en compte de la diversité dans les trois fonctions publiques (FP) (nouvel article 36A). Sur le même thème, plusieurs nouveaux articles (après l'art. 36) – déclarations de principe ou mesures plus concrètes – ont vocation à lutter contre les discriminations – mention du principe de l'égal accès des citoyens aux emplois publics dans les avis de concours des trois FP -, le sexisme et les inégalités hommes-femmes.
Une voie d'accès en alternance à la fonction publique – Des jeunes de 28 ans au plus pourraient avoir accès, au terme d'une sélection, à "des contrats de droit public ayant pour objet de leur permettre, par une formation en alternance avec leur activité professionnelle, de se présenter au concours" créé par l'article 36 du Plec (nouvel art. 36 septies). La priorité serait donnée aux jeunes les plus en difficulté face à l'emploi, notamment ceux des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et des zones de revitalisation rurale.
Plan de formation – Au chapitre des mesures qui n'ont pas grand lien avec les autres, le plan de formation des collectivités locales serait désormais adopté par l'assemblée délibérante, "alors qu'il est actuellement établi - ou non - par le seul exécutif" (nouvel art. 36 bis).
EDUCATION
Droit à la cantine scolaire (ou le retour de la PPL "Schwartzenberg") – Un nouvel article serait ainsi intégré : "L'inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille." L'auteur de l'amendement n'est autre que Gérard Schwartzenberg, auteur de la proposition de loi visant à garantir le droit d'accès à la restauration scolaire qui, après un passage malheureux au Sénat en décembre dernier, devait revenir à l'Assemblée nationale (voir notre article du 11 décembre 2015 Droit d'accès à la cantine pour tous les enfants : les sénateurs disent non). Voilà qui est donc fait.
L'exposé des motifs n'a pas changé : "Certes, la restauration scolaire n'est pas une compétence obligatoire des communes (article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales) et a pour elles un caractère facultatif. Mais quand celles-ci en ont décidé la création, il s'agit alors d'un service public annexe au service public d'enseignement. Dès lors, la restauration scolaire est soumise au principe d'égalité". Les communes visées : celles qui, ces dernières années, "ont refusé le droit d'accès aux cantines scolaires aux élèves dont au moins l'un des parents n'exerçait pas d'activité professionnelle", d'autant plus que "le plus souvent, ce refus d'accès concerne des élèves dont l'un des parents au moins est au chômage. Ce qui revient à discriminer, voire à stigmatiser des familles déjà en difficulté" (après art.41).
LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS
Egalité hommes-femmes - La commission spéciale a bien étoffé le chapitre du titre III dédié à la lutte contre le racisme et les discriminations, notamment par un amendement destiné à "consacrer dans la loi" le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes créé en 2013 et à définir précisément ses missions (nouvel art. 43). Un nouvel article (art. 56) modifierait en outre le code général des collectivités territoriales pour y préciser que les politiques visant à améliorer l'égalité hommes-femmes doivent être "menées à tous les échelons des collectivités". Un autre amendement vise à promouvoir un "égal accès" au sport entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les territoires (nouvel art. 55).
Gens du voyage – Une nouvelle section de ce chapitre sur les discriminations vise à adapter des dispositions relatives aux droits des personnes sans domicile stable (4), notamment en ce qui concerne la domiciliation, le conditionnement – supprimé - du versement des prestations familiales à la mise en œuvre de l'obligation scolaire des enfants et l'exercice du droit de vote.
Emplois soumis à condition de nationalité – Les députés de la commission ont supprimé la condition de nationalité pour différentes professions, dont celle de dirigeant ou de gérant de droit ou de fait d'une régie, d'une entreprise, d'une association ou d'un établissement de pompes funèbres.
Caroline Megglé et Valérie Liquet
(1) Co-rapporteur du projet de loi sur l'économie sociale et solidaire (loi du 31 juillet 2014).
(2) Rien n'est spécifié en ce qui concerne les communautés d'agglomération, les métropoles, les départements et les régions. Ces objectifs chiffrés permettraient à la collectivité publique dans son ensemble d'atteindre environ la moitié de l'objectif de 350.000 jeunes en service civique d'ici à 2018, la commission misant sur le secteur associatif pour l'autre moitié.
(3) Ce "dialogue structuré" reprend une proposition du Cnajep (réseau de 70 mouvements de jeunesse et d'éducation populaire), qui coordonne en France la mise en œuvre de Provox, le processus européen de co-construction de la décision publique avec les jeunes et la société civile.
(4) Suite à l'abrogation de la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.