Odas - Départements : que reste-t-il pour le "développement social" ?
Les conclusions de l'étude annuelle de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (Odas) sur les dépenses départementales d'action sociale arrivent rarement comme une surprise. A la fois parce qu'elles viennent réaffirmer ce que clament d'autres sources au fil des mois - à commencer par les départements eux-mêmes et leur association, l'ADF - et parce qu'elles dessinent le plus souvent des tendances déjà annoncées et amorcées l'année précédente. Ainsi, il y a deux ans, l'Odas constatait que le cycle de ralentissement de la hausse des dépenses touchait à sa fin et mettait en garde contre le sévère effet de ciseaux à venir. L'an dernier, il évoquait "avec gravité" l'"impasse" dans laquelle les départements étaient désormais engagés. Deux années, donc, de croissance des dépenses et de contraction des recettes... qui viennent d'être confirmées pour la troisième fois consécutive.
Dans sa nouvelle édition présentée ce mardi 24 mai, qui porte sur les chiffres 2010, l'Odas met en effet en avant le "rythme d'augmentation important" des dépenses sociales, "comparable à celui de l'année précédente", principalement lié à une charge nette en hausse pour les trois allocations individuelles de solidarité (APA, RSA, PCH), mais aussi aux dépenses d'hébergement (tous bénéficiaires confondus : personnes âgées, personnes handicapées, enfants placés en établissement) qui ne cessent d'enfler. "En dix ans, les dépenses liées à l'hébergement sont passées de 6 à 10 milliards d'euros. En sachant que cette hausse est à 90% imputable à celle du prix de journée et non au nombre de personnes bénéficiaires", a ainsi rappelé Jean-Louis Sanchez, le délégué général de l'Odas.
Plus précisément, la dépense nette d'action sociale des départements a augmenté de 5,8% en 2010, pour atteindre 30,3 milliards, soit une hausse à peu près aussi importante qu'en 2009. La charge nette (dépenses nette déduction faite des concours de l'Etat : concours CNSA, TIPP, FMDI…) a elle aussi augmenté, dans les mêmes proportions (+5,9%) et presque autant que l'année précédente (+6,3%), pour s'établir à 22,7 milliards. La hausse de cette charge nette est liée pour un tiers aux dépenses d'hébergement et pour les deux autres tiers aux dépenses d'allocations.
Ainsi, si l'on se penche sur les courbes des dix dernières années, on s'apercevra que la dépense nette a presque triplé en dix ans (de 11,8 milliards à, donc, 30,3 milliards) et que la charge nette a quasiment doublé (de 11,9 à 22,7 milliards).
Rationalisations sur tous les fronts
Retour sur 2010. Si l'écart entre dépenses et recettes s'est très légèrement réduit, c'est principalement grâce à une hausse de la fiscalité indirecte (+13,4%), de la fiscalité directe (+3,9%) et, dans une moindre mesure, des dotations de l'Etat (+0,3%). Soit une hausse globale des recettes de 5,6%. Mais si l'on retirait l'effet "droits de mutation" de 2010 dont l'Odas, comme d'autres, souligne la volatilité et l'inégale répartition entre départements, cette hausse ne serait plus que de 2,5%.
Tout ceci alors que dans le même temps, les départements ont réalisé "des efforts drastiques en termes de rationalisation", tel que l'a souligné mardi Michel Dinet, le président de l'Odas et président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, citant " notamment l'aide à domicile, mais aussi la protection de l'enfance, la prévention spécialisée…". A ce titre, "la culture a beaucoup changé", souligne l'élu, tout en constatant que "malgré ce travail de rationalisation, les difficultés de financement demeurent et la hausse des dépenses est bien liée à une hausse de la demande sociale".
Et Michel Dinet de relever que tout cela ne se fait pas sans tensions sur le terrain, dans les services, par exemple lorsqu'il faut raisonner à effectifs constants tout en réorientant les priorités. Mais aussi que "la pression permanente de l'urgence" tend à limiter sérieusement la capacité des professionnels à travailler dans une "logique de développement social" incluant par exemple, au-delà des prestations, un véritable accompagnement social, des aides à la mobilité, des actions d'éducation populaire, davantage de prévention… "Les départements peuvent-ils encore longtemps poursuivre leurs efforts de rigueur gestionnaire tout en développant les actions de prévention des risques sociaux constituant leur toute première légitimité ?", s'interroge de même l'Odas dès le préambule de sa note.
Enfance : une hausse toujours synonyme de meilleur résultat ?
Si l'on se penche plus en détail sur chaque grand secteur d'intervention, le soutien à l'enfance a représenté pour les départements en 2010 une dépense de 6 milliards d'euros, en hausse de 3% sur un an. Il y a bien toutefois un tassement de la hausse "et la part relative de l'aide sociale à l'enfance a baissé, passant pour la première fois derrière la part consacrée au handicap", a relevé Claudine Padieu, directrice scientifique de l'Odas. Sachant que l'essentiel de la dépense (80%) est lié au placement, ce tassement est entre autres lié à "la fin de la période d'incidence de la revalorisation des assistantes familiales", a-t-elle également expliqué. Le poids du placement en établissement reste pourtant prépondérant, absorbant 61% de la dépense. Et son coût continue d'augmenter (+3,8%), du fait de l'inflation du coût de chaque place.
A ce titre, Michel Dinet met notamment l'accent sur la prolifération des normes. Globalement, du côté de l'Odas, on s'interroge : cette hausse de la dépense en établissement ASE est-elle toujours synonyme de meilleur résultat ? Certains coûts - comme l'installation d'une cuisine de collectivité dans laquelle les enfants n'auront pas le droit d'entrer, tel que l'a évoqué Jean-Louis Sanchez… - ne risquent-ils pas parfois d'être contreproductifs en termes de bénéfice pédagogique ? L'Odas a d'ailleurs lancé une "recherche-action" dans six départements pour en savoir plus sur ce type de questions, pour "décortiquer les dépenses et les choix qui sont faits dans ce domaine qui est sans doute le plus compliqué de toute l'action sociale", selon les termes de Claudine Padieu - et pour, dans la mesure du possible, évaluer l'efficacité de l'ASE sur le long terme, en tentant de mesurer "ce que sont devenus les enfants".
Soutien à la perte d'autonomie : "la montée en charge se poursuit"
Côté personnes âgées et personnes handicapés - que l'Odas préfère toujours aborder de façon conjointe en tant que "soutien à la perte d'autonomie", faisant partie de tous ceux qui défendent une non-distinction quel que soit l'âge de la personne -, on était en 2010 sur une dépense nette de 12 milliards, soit 40% du total de la dépense sociale des départements. Et sur une charge nette de 10 milliards (dont 4,5 milliards d'allocations), soit 44% du total de la charge nette.
S'agissant de la prestation de compensation du handicap (PCH), Claudine Padieu confirme que "la montée en charge se poursuit" et la dépense est loin d'être stabilisée, en sachant que dans le même temps, l'ancienne allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) ne connaît qu'une décrue très lente. Les deux prestations bénéficient au total à 255.000 personnes handicapées. Et l'Odas de rappeler que le taux de couverture par la CNSA de la dépense PCH (et ACTP "moins de 60 ans") était de deux tiers au moment de la création de la prestation… et n'est plus que de un tiers aujourd'hui. La dépense consacrée à l'hébergement et l'accueil de jour a augmenté de 6% en un an, non seulement du fait de la hausse du coût par place mais aussi du fait des créations de places. "Environ 5.000 places sont créées chaque année - c'est quelque chose qu'on ne met pas assez en avant", note Claudine Padieu. La charge nette départementale en faveur des personnes handicapées (5,12 milliards) a encore augmenté de 9,6% l'an dernier (+ 9,9% l'année précédente).
Sur le volet personnes âgées et donc essentiellement allocation personnalisée d'autonomie (APA), les experts de l'Odas commencent par insister sur l'importance de distinguer APA à domicile et APA en établissement. "Les deux n'ont rien à voir. Cela ne devrait même pas s'appeler pareil !" L'APA en établissement a affiché en 2010 une hausse de 6% de la dépense et de 2% du nombre de bénéficiaires. L'aide sociale à l'hébergement a pour sa part crû de 4%.
Pour l'APA à domicile, la hausse des dépenses est de 1,3%, celle des bénéficiaires de 3,2%. A l'Odas, on souligne que cette maîtrise de la hausse est là encore le fruit d'un sérieux "effort de gestion". Et, certes, que certains départements - ou certaines équipes médico-sociales - sont sans doute devenus plus sévères dans l'attribution du GIR 4, qui constitue "la grande masse" des bénéficiaires de l'APA. Le suivi vigilant du travail des services prestataires d'aide à domicile, entre autres grâce aux outils de télégestion, ainsi que le développement du Cesu, ont eux aussi contribué à une baisse des coûts.
RSA : plus de gestion que d'insertion...
Enfin, les chiffres du RSA continuent eux aussi leur pente ascendante. Certes, les comparaisons sont plus difficiles du fait que 2010 a été la première "année pleine" de la nouvelle allocation après l'intégration de l'API au RSA socle. En tout cas, la crise économique a continué à faire sentir ses effets, avec un nombre de bénéficiaires toujours croissant (+4%, et même +8% pour les bénéficiaires du RSA socle simple), malgré une tendance à la stabilisation sur la deuxième partie de l'année. On atteignait ainsi fin 2010 1,3 million de bénéficiaires du RSA socle. Et 1,7 milliard de charge nette pour les départements, dont 1 milliard pour la seule allocation - le reste étant lié aux actions d'insertion -, soit deux fois plus que l'année précédente.
Les dépenses d'insertion, elles, diminuent de 16% (700 millions, contre 830 millions en 2009). Plusieurs facteurs sont évoqués par l'Odas : des charges de gestion plus lourdes que pour le RMI et donc moins de moyens pour l'insertion, une complexité du dispositif RSA qui amène le travailleur social à "passer beaucoup de temps à gérer et expliquer les choses", un certain retrait de l'insertion professionnelle lié au nouveau rôle confié à Pôle emploi, un désengagement de l'Etat sur le terrain des contrats aidés… S'agissant de l'accompagnement vers l'emploi, l'heure est donc plutôt à la stagnation voire au "recul", reconnaît Claudine Padieu - "sauf pour un outil d'insertion, la clause d'insertion dans les marchés publics, que pratiquement tous les départements utilisent". Autrement dit, face aux contraintes financières et organisationnelles, c'est bien l'insertion qui a servi de variable d'ajustement. Au grand dam des acteurs de terrain qui, assure Jean-Louis Sanchez, vivent une période de "désenchantement". Ce que regrette un élu comme Michel Dinet, pour qui ne plus être en mesure de proposer une véritable action sociale globale, c'est ne plus pouvoir contrer l'actuelle "remise en cause permanente du vivre-ensemble".