Fiscalité écologique - Une nouvelle taxe carbone prévue pour le 1er juillet
En pleine trêve des confiseurs, la décision prise par le Conseil constitutionnel le 29 décembre dernier d'annuler la taxe carbone prévue dans la loi de finances pour 2010 a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Deux jours avant l'application prévue de ce nouvel impôt, les Sages du Palais Royal, qui avaient été saisis le 22 décembre par les parlementaires socialistes, ont jugé que "l'importance des exemptions totales de contribution carbone étaient contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créaient une rupture d'égalité devant les charges publiques". Par conséquent, ils ont censuré l'ensemble du régime relatif à cette contribution, contenu dans les articles 7, 9 et 10 du texte de loi.
A l'appui de sa décision, le Conseil a mis en avant le fait que "moins de la moitié des émissions de gaz à effet de serre aurait été soumise à la contribution carbone". Ainsi étaient totalement exonérées "les émissions de centrales thermiques produisant de l'électricité, les émissions des mille dix-huit sites industriels les plus polluants, tels que les raffineries, cimenteries, cokeries et verreries, les émissions des secteurs de l'industrie chimique utilisant de manière intensive de l'énergie, les émissions des produits destinés à un double usage, les émissions des produits énergétiques utilisés en autoconsommation d'électricité, les émissions du transport aérien et celles du transport public routier de voyageurs. En outre, étaient taxées à taux réduit les émissions dues aux activités agricoles ou de pêche, au transport routier de marchandises et au transport maritime".
Les juges constitutionnels ont ainsi relevé que "ces exemptions auraient conduit à ce que 93% des émissions d'origine industrielle, hors carburant, soient exonérées de contribution carbone". Celle-ci aurait donc porté essentiellement sur les carburants et les produits de chauffage, qui ne sont que l'une des sources d'émission de dioxyde de carbone. Le Conseil a aussi estimé que les exemptions accordées aux activités industrielles n'étaient pas justifiées par le régime des quotas d'émission de gaz à effet de serre dans l'Union européenne puisque ces quotas sont attribués à titre gratuit jusqu'en 2013.
Beaucoup de voix se sont élevées dans le monde politique, syndical et associatif pour saluer la décision du Conseil constitutionnel. Car si le principe d'une taxe carbone a été largement approuvé au départ, ses modalités de mise en oeuvre ont été vivement critiquées, le dispositif étant jugé à la fois inefficace sur le plan écologique et injuste socialement.
Un nouveau texte au Conseil des ministres le 20 janvier
Le gouvernement a aussitôt réagi à la décision du Conseil constitutionnel en indiquant qu'un nouveau projet serait présenté en Conseil des ministres le 20 janvier. Luc Chatel, ministre de l'Education et porte-parole du gouvernement, a confirmé cette date ce 5 janvier et annoncé que la nouvelle taxe carbone "entrera en vigueur le 1er juillet prochain". Cette date a été arrêtée lors d'une réunion à l'Elysée autour de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, en présence des ministres de l'Ecologie Jean-Louis Borloo, de l'Economie Christine Lagarde, du Budget Eric Woerth, de l'Industrie Christian Estrosi et de la secrétaire d'Etat à l'Ecologie Chantal Jouanno.
Suivra alors une période de "concertation" longue de "plusieurs semaines" avec les "acteurs concernés" dont les industriels qui étaient exemptés de la taxe carbone première version, a pécisé Luc Chatel. "Ce n'est qu'après que le texte sera envoyé au Parlement. Le véhicule législatif n'a pas encore été défini (mais) il faudra bien un projet de loi de finances rectificative", a-t-il poursuivi. Le ministre a confirmé que le texte ne serait pas présenté au Parlement avant les élections régionales de mars et que le premier "chèque vert" que l'Etat devait verser en compensation de la nouvelle contribution aux ménages les plus modestes ne le serait pas non plus avant cette échéance. Toutefois, le "principe du chèque" serait maintenu.
Le casse-tête des exemptions pour les industries les plus polluantes
La question des exonérations totales qui avaient été accordées initialement aux 1.018 sites industriels les plus polluants, actuellement soumis au marché européen des quotas de CO2, va constituer le principal casse-tête à résoudre. Encore gratuits, ces quotas deviendront progressivement payants, selon les secteurs, à partir de 2013, avec comme objectif de contraindre les entreprises à investir dans des technologies moins polluantes, ce qui a un coût. "Le Conseil constitutionnel oublie qu'il y a un coût caché qui existe déjà aujourd'hui et qui correspond au financement des mesures d'adaptation aux émissions maximales autorisées", a souligné Jean-Marc Jancovici, dirigeant du cabinet de conseil Carbone 4 qui milite de longue date, au sein de la Fondation Nicolas Hulot, pour la création d'une taxe carbone. Pour sortir de l'impasse, la solution pourrait être de mettre ces industries à contribution, "à condition bien sûr qu'elles bénéficient d'un système de restitution similaire à celui des ménages", a estimé Cédric Philibert, de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Michel Taly, ancien directeur de la législation fiscale à Bercy, suggère un "remboursement forfaitaire aux entreprises en fonction de leur chiffre d'affaires ou de leur valeur ajoutée". Autre piste possible : une compensation sous forme de baisse des charges. Mais pour Michel Taly, "cela favoriserait le secteur des services, gros employeur, au détriment des industries".
De son côté, Eric Woerth s'est dit favorable au maintien de dérogations, évoquant notamment le secteur de l'électricité. Les aménagements d'exemption que le gouvernement proposera se feront "au cas par cas". "Il faut bien tenir compte de la réalité de la production et de l'activité économique de certains secteurs. La taxe carbone n'est pas faite pour nuire à la compétitivité de l'industrie globale française mais elle est faite pour mieux produire", a martelé le ministre du Budget sur Europe 1 le 3 janvier. "Ce serait dingue de taxer l'énergie nucléaire car elle ne produit pas de carbone", a-t-il encore souligné, rappelant que "l'électricité française est composée quasiment exclusivement de nucléaire".
Cependant, le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale Gilles Carrez s'est prononcé, dans un entretien au quotidien économique La Tribune du 4 janvier, pour une "contribution carbone généralisée", sans exemption. "Il serait préférable de bâtir un système où tout le monde s'acquitterait d'une contribution carbone généralisée, sur une même base pour chaque agent économique. Mais cela ne pourra se faire que progressivement." Il s'est dit en outre favorable à une augmentation du taux de la taxe carbone "mais seulement dans un cadre européen, de façon harmonisée, sans quoi les entreprises françaises seraient trop pénalisées".
A propos des installations industrielles soumises au système de quotas d'émissions de CO2, Christine Lagarde a pour sa part affirmé ce 5 janvier au quotidien Les Echos que le gouvernement travaillait "sur la possibilité d'appliquer des taux réduits et de mettre en place par ailleurs d'autres mécanismes incitatifs ou des plafonnements, par exemple sur la base de la valeur ajoutée". "J'ai le souci de la compétitivité de ces entreprises et il n'est pas question de taxer à tout-va des secteurs à l'équilibre économique fragile, a expliqué la ministre de l'Economie. Je plaide pour un mécanisme d'imposition différencié en fonction de leur exposition à la concurrence internationale et en fonction de l'intensité énergétique de leur production." A propos des autres catégories qui avaient été exemptées en partie de taxe carbone (routiers, agriculteurs, pêcheurs), la ministre a assuré que "les tarifs réduits qui étaient prévus ne sont pas contestés et peuvent donc être conservés". Christine Lagarde a également prévenu que le gouvernement n'avait pas l'intention de "modifier le volet ménages de la contribution carbone".
Anne Lenormand