PLF 2010 - Les sénateurs adoptent la taxe carbone rebaptisée contribution carbone
Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, le Sénat a donné son feu vert, dans la soirée du 23 novembre, à la création de la taxe carbone (article 5 du texte). La majorité a adopté la mesure sans enthousiasme. Gérard Longuet, président du groupe UMP au Sénat, a regretté l'absence du ministre de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo. "Nous sommes frustrés d'un vrai débat sur l'utilité de la taxe carbone", a-t-il reconnu. Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat (Union centriste) a déclaré qu'il votait l'article 5 "par solidarité mais sans conviction". "On a multiplié les exceptions, les exonérations, les niches, partant la complexité et l'arbitraire", a-t-il pointé.
L'opposition, qui a voté contre, a tenté de modifier un "mécanisme décevant qui correspond à une ineptie sociale" selon les termes de Thierry Foucaud, sénateur PCF de Seine-Maritime, tandis que pour Jean Desessard, sénateur Verts de Paris, "la taxe Sarkozy-carbone trahit l'engagement pris durant le Grenelle". "Fixée à moins de 32 euros par tonne, le signal prix, inaudible, n'entraînera pas de modification des comportements", a-t-il ajouté. Pour Nicole Bricq, sénatrice PS de Seine-et-Marne, la taxe carbone risque de n'être "qu'un impôt de plus, supporté par les plus modestes pour lesquels les dépenses énergétiques représentent une part considérable du budget familial". "Les ménages en paieront 60% - c'est beaucoup, surtout vu l'allègement général déjà consenti aux entreprises", a-t-elle souligné, dénonçant "une compensation injuste". "Plutôt que de multiplier les exonérations, il aurait fallu prévoir une compensation pour les secteurs structurellement émetteurs – transports, agriculture, pêche - afin de les aider à se moderniser", a-t-elle estimé.
Au fil de la discussion, les sénateurs ont apporté plusieurs modifications au texte. Tout d'abord la taxe a été rebaptisée "contribution carbone". "Une contribution, c'est quelque chose d'actif, une taxe, c'est punitif, c'est passif", a justifié le rapporteur du texte, Philippe Marini (UMP, Oise). Les sénateurs ont aussi étendu le champ des compensations et des exonérations. Tout d'abord, ils ont instauré une diminution de 35% du montant de la taxe carbone applicable au fioul domestique utilisé pour le transport fluvial de marchandises, afin de l'aligner sur celui du transport routier de marchandises. Pour Philippe Marini, qui a défendu cette mesure, il serait en effet "paradoxal" d'afficher des "objectifs ambitieux de report modal de la route vers le fluvial tout en octroyant à la route des avantages fiscaux dont le fluvial serait privé". Alors que seuls les transports maritimes internationaux étaient concernés initialement, un nouvel amendement a aussi prévu d'exonérer de taxe carbone les transports maritimes nationaux.
Charbon domestique et réseaux de chaleur exonérés
Malgré l'opposition du gouvernement, la Sénat a également adopté un amendement de Françoise Henneron (UMP, Pas-de-Calais) exonérant de la nouvelle contribution carbone le charbon utilisé par les particuliers pour se chauffer. Quelque 120.000 foyers sont concernés dont plus de 60% dans le Nord-Pas-de-Calais. Le tonnage de charbon domestique régresse aujourd'hui de 15 à 20% par an. "Ce marché est voué à une disparition proche, a justifié la sénatrice. Il serait vain de pénaliser davantage les consommateurs de charbon domestique, pour l'essentiel des retraités des mines ayant toujours connu ce mode de chauffage. Il apparaît illusoire d'attendre un effort financier de ces consommateurs aux moyens très modestes". Autre mesure votée par les sénateurs : les produits énergétiques utilisés par les réseaux de chaleur bénéficieront d'une exonération de taxe carbone jusqu'à fin 2010. Et ce dans un souci de "préserver les ménages les plus modestes d'un impact trop brutal de la hausse des prix énergétiques due à la taxe carbone", selon les termes de l'amendement défendu par le rapporteur. Cette disposition vise tout particulièrement l'habitat collectif social, fréquemment alimenté par ce type d'équipements.
En revanche, le Sénat a rejeté les amendements de Fabienne Keller et Philippe Richert, sénateurs UMP du Bas-Rhin, visant à intégrer l'électricité au sein de l'assiette de la taxe carbone. Pour Fabienne Keller, il s'agissait notamment de "ne pas donner d'encouragement à la consommation d'énergie électrique". Mais la ministre de l'Economie a répondu en rappelant que la France avait "une production électrique très peu émettrice de CO2" et que les centrales thermiques étaient soumises au mécanisme d'allocation de quotas de CO2 qui les contraignait à des investissements de modernisation. Un amendement défendu par Michel Charasse, sénateur du Puy-de-Dôme, visait à modérer les effets de la contribution carbone sur les artisans taxis a été retiré. Christine Lagarde a indiqué qu'elle demanderait au secrétaire d'Etat aux transports d'inclure dans ses négociations, non l'exonération de la taxe carbone pour les taxis qui participent à un système de "transport à la demande organisé par les collectivités" mais leur assimilation aux transports collectifs, normalement prévue à partir de huit passagers.
Le fonds de compensation pour les collectivités géré par l'Ademe
Plusieurs amendements, finalement retirés, défendaient des mesures de compensation pour les collectivités. Eric Woerth, ministre du Budget, en a profité pour revenir sur le fonds de compensation annoncé par François Fillon lors du Congrès de l'AMF le 17 novembre. Il a confirmé que "la dotation serait de 70 millions d'euros, en tenant compte de l'exonération sur les transports collectifs". Ce montant sera discuté lors de l'examen de la deuxième partie du PLF. Les crédits du fonds seront confiés à l'Ademe mais seront "bien distincts" des autres crédits alloués à l'agence. Sur l'emploi des fonds (diagnostics énergétiques, élaboration de plans climat, etc.), Eric Woerth a indiqué que les échanges se poursuivaient entre Bercy et le ministère de l'Ecologie. Les collectivités seront associées à la gestion du fonds "selon un modèle à définir", a-t-il encore précisé.
Enfin, les sénateurs ont supprimé l'article 5 bis du texte. Introduit par les députés, il prévoyait d'exonérer de la taxe carbone les personnes ayant des difficultés à utiliser les transports publics, comme les personnes en fauteuil roulant. Le Sénat a jugé la mesure trop difficile à mettre en œuvre. Les sénateurs de l'opposition ont encore tenté en vain de modifier les modalités de compensation prévues à l'article 6 afin de les asseoir non sur une distinction fondée sur l'intégration ou non du domicile des ménages dans un périmètre de transports urbains mais sur leurs revenus. Ils souhaitaient notamment que les bénéficiaires du bouclier fiscal soient exclus de la compensation. "A en croire l'étude d'impact fournie par le gouvernement, les ménages les plus modestes percevraient une compensation plus élevée que la contribution carbone acquittée. Mais qui peut croire qu'une aide de 46 euros permettra aux ménages modestes de rénover leurs équipements, d'acheter une voiture moins émettrice de gaz à effet de serre, de changer leur mode de chauffage?", a pointé Gérard Miquel, sénateur socialiste du Lot.
Anne Lenormand