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Environnement - La taxe carbone "ne doit pas être perçue comme le financement de la réduction de la taxe professionnelle", affirme le rapport Rocard

"L'instauration de la CCE (contribution climat-énergie, NDLR) a pour finalité exclusive la réduction des émissions de CO2 et ne doit donc pas être perçue comme le financement de la réduction de la taxe professionnelle." Tel est l'un des grands principes énoncés dans le rapport remis le 28 juillet aux ministres de l'Ecologie et de l'Economie par Michel Rocard, président de la conférence des experts sur la CCE, plus connue sous le nom de "taxe carbone". Pour l'ancien Premier ministre, "la circonstance malheureuse qui veut que, par une coïncidence, l'Etat se trouve engagé au même moment dans une autre opération salubre et très attendue, la suppression d'une grande partie de la taxe professionnelle, ne doit pas laisser penser que la contribution climat-énergie puisse être à cet égard une recette compensatoire". Cette affirmation va donc à l'encontre de la proposition qu'avait faite Nicolas Sarkozy lors de l'annonce de la suppression de la taxe professionnelle, en février dernier.
Michel Rocard estime aussi que "la contribution carbone ne peut normalement constituer une assiette locale qui découragerait les collectivités locales à s'engager, à leur niveau, dans la lutte contre le changement climatique, celles-ci perdant des recettes lorsque leurs plans climat réussissent".
"Pour être efficace à moyen terme, la CCE doit non seulement envoyer un bon signal-prix aux ménages, entreprises et collectivités locales, mais également conduire les pouvoirs publics à rationaliser les dispositifs existants destinés à réduire les émissions en fonction du coût de carbone évité", affirme le rapport. Il propose d'instaurer cette taxe sur les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) utilisées dans les transports et le bâtiment résidentiel et tertiaire - secteurs qui échappent aujourd'hui au mécanisme des quotas d'émissions de C02 - sur la base de 32 euros la tonne de CO2 (puis jusqu'à 100 euros en 2030), pour anticiper la hausse à terme du prix du pétrole.
Ce prix de 32 euros pourrait cependant être revu à la baisse. Il est en effet jugé "élevé" par rapport au prix du quota de CO2 sur le marché européen (environ 12 euros), qui s'applique aux industries les plus énergivores. "Il faut laisser aux ménages et aux entreprises le temps de s'adapter", a fait valoir Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie, qui a réceptionné le rapport aux côtés des ministres. Pour le ministre de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo, "le vrai sujet c'est 2030" et la progression reste à déterminer.
Dans ses conclusions, Michel Rocard énonce "les conditions politiques d'acceptation" de la CCE, "faute de quoi la France se déchirerait en conflits d'une rare intensité", estime-t-il. La première, selon lui, est que "tout le monde participe à l'effort, sans dérogation ni exonération" ; la seconde, que les recettes ainsi collectées au nom de la lutte contre le changement climatique ne servent "en aucun cas" à augmenter les ressources de l'Etat. Pour l'ancien Premier ministre, il faut que "la compensation nécessaire du pouvoir d'achat perdu du fait de la CCE par les ménages des classes moyennes et des classes populaires vienne (...) du produit de la CCE, sans oublier que le niveau de revenu doit être complété de critères tels que l'éloignement, l'habitat en zone rurale ou les horaires de travail atypiques".
Il juge nécessaire d'instaurer une commission de la contribution climat-énergie. Composée de fonctionnaires de l'Etat, de représentants des collectivités locales et des organisations syndicales ouvrières  et patronales ainsi que d'experts indépendants, elle aurait vocation à "faire l'évaluation permanente du système", à "analyser son évolution" et à "faire toutes propositions nécessaires concernant les variations de son taux, les modifications possibles de son assiette ou les mesures à prendre dans les domaines connexes pour assurer efficacement la transition énergétique".
En recevant le rapport, Jean-Louis Borloo a insisté sur le fait que la CCE sera "entièrement compensée" pour les ménages les plus modestes : "certains ménages recevront même beaucoup plus qu'ils n'auront contribué". Il l'a comparée au mécanisme de bonus-malus : "Ce n'était pas une taxe mais une incitation : avec la CCE, il y aura des avantages versés aux ménages sur le produit de cette taxe. Ce n'est pas un impôt supplémentaire mais de l'argent qu'on va redistribuer", a-t-il souligné.
Le rapport a été transmis au Premier ministre et au président de la République. Des consultations, annoncées par le Premier ministre François Fillon, auront ensuite lieu avec les ministères et les secteurs économiques concernés, a expliqué Chantal Jouanno. Selon elle, "tous les acteurs étant favorables à son instauration, il n'y a aucune raison d'attendre ni aucune raison de ne pas discuter (la CCE) dans le cadre du prochain projet de loi de finances" à la rentrée, pour une instauration dès 2010. La ministre de l'Economie, Christine Lagarde, s'est elle aussi déclarée "favorable à une contribution climat-énergie applicable en 2010 " tout en précisant qu' "un grand débat" devait s'ouvrir "avec les parlementaires et les parties concernées" sur les modalités d'application de cette contribution, notamment sur son montant et sur les mécanismes de redistribution.
Ce débat promet en tout cas d'être animé car la taxe est loin de faire l'unanimité. Un proche du dossier reconnaît l'écueil principal : "l'envie sera forcément tentante de se servir de la CCE pour en faire autre chose". Le ministre du Budget Eric Woerth est d'ailleurs toujours, selon son entourage, hostile à l'idée de signer des chèques à l'ensemble des ménages.
Quant aux entreprises, si Jean-Louis Borloo jugerait "normal de les compenser le temps qu'elles s'adaptent", le ministère du Budget considère qu'elles devront "jouer le jeu" et polluer moins, ou payer.
A ce stade, la CCE reste donc à arbitrer au plus haut niveau de l'Etat. La question désormais "relève de la décision politique du président", a souligné Jean-Louis Borloo.

Anne Lenormand avec AFP

 

Un formidable levier d'action "sous certaines conditions" pour les associations d'élus

La CCE peut constituer "un formidable levier d'action" ont souligné le réseau de collectivités Amorce, l'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des communautés de France (ADCF) et l'Association des régions de France (ARF), au travers d'un communiqué commun diffusé le 28 juillet. Mais ce "à condition que les recettes permettent aux collectivités de financer les actions de lutte contre le changement climatique à l'échelle des territoires et auprès des populations", poursuit ce communiqué. De fait, les représentants des collectivités exigent que soit introduite "une dimension territoriale au débat prévu sur la CCE" et suggèrent que "2% de la fiscalité énergétique existante et future (taxe sur le pétrole, le gaz, le charbon et future CCE) soit affecté au développement des plans climat énergie territoriaux, soit à hauteur de 10% par habitant dès le 1er janvier 2010". 

Les représentants des collectivités estiment que les recettes générées par la CCE seraient "insuffisantes pour assurer à la fois la compensation de la taxe professionnelle (environ 8,5 milliards) et pour financer les chèques de compensations envisagées par la commission Rocard". Par conséquent ces recettes doivent "être totalement dissociées de la compensation de la réforme en cours de la taxe professionnelle, à laquelle s'est engagé le gouvernement".

 

Morgan Boëdec / Victoires éditions