Congrès AMF - Les réformes réexpliquées aux maires
François Fillon était attendu de pied ferme par quelque 11.000 élus locaux, ce mardi 17 novembre, pour l'ouverture officielle, en fin de journée, du 92e Congrès des maires de France. Il a été copieusement sifflé dès son arrivée, obligeant le président de l'Association des maires de France (AMF), Jacques Pélissard, à réclamer "du respect" et "un accueil républicain" pour le chef du gouvernement.
Il faut dire que, depuis plusieurs jours, la tension était encore montée d'un cran autour de la réforme territoriale et de la taxe professionnelle, à coups de déclarations tonitruantes et autres petites phrases ou initiatives en tous genres… A la Porte de Versailles d'ailleurs, dès mardi matin, plusieurs dizaines d'élus faisaient signer à l'entrée du congrès une pétition réclamant le retrait du projet de loi de réforme territoriale. En début d'après-midi, Martine Aubry, entourée d'autres "grands élus" PS (Laurent Fabius, Michel Destot, Elisabeth Guigou, André Laignel, secrétaire général de l'AMF…) distribuait des autocollants proclamant "territoires en danger". Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), était lui aussi venu proposant des badges "J'aime mon département", déjà diffusés la veille à Paris lors de la rencontre nationale des conseillers généraux.
Dans le même temps, d'ailleurs, c'est surtout du côté du Sénat que l'on a beaucoup entendu de bruit mardi. Le rapporteur général UMP de la commission des Finances, Philippe Marini, déclarant lui-même mardi matin lors de la présentation de son rapport sur le projet de loi de finances que "la réforme de la taxe professionnelle, plus on la gratte, plus on la fouille, plus elle apparaît difficile et semée d'embûches". Et l'après-midi, lors d'une séance de questions-cribles consacrée à la réforme des collectivités, les critiques des sénateurs n'ont pas manqué non plus, y compris dans les rangs UMP. Le sénateur Alain Lambert déclarant par exemple à l'adresse d'Alain Marleix : "Reprocher aux collectivités d'être trop dépensières n'est pas la clef pour renouveler la confiance. Etes-vous prêts à dessaisir les administrations centrales des domaines de compétences qui ont été transférées ? Ayez le courage de le faire."
TP : des "aménagements" possibles
Si, comme on pouvait s'y attendre, le Premier ministre n'a pas amorcé de marche arrière sur les deux grandes réformes en préparation, il avait apparemment été chargé d'apporter quelques lots de consolation aux élus. Il s'est aussi livré à une explication des projets gouvernementaux avec beaucoup de précision et, à la clef, un certain nombre d'informations nouvelles.
Ainsi, sur la taxe professionnelle, François Fillon a évoqué une "clause de revoyure" pour 2010, à savoir un "réexamen" suivi, si nécessaire, d'"aménagements" du dispositif "au vu des simulations complémentaires qui seront effectuées". Il a par ailleurs souligné que le gouvernement faisait "confiance au Parlement" s'agissant de la part de la cotisation complémentaire destinée aux communes et EPCI, sachant que l'AMF juge insuffisants les 20% pour l'heure fixés par l'Assemblée nationale. Sur ce point d'ailleurs, il a reconnu que l'idée de spécialisation des impôts, qui avait au départ guidé l'élaboration des ressources devant venir remplacer la TP, bien que défendue de longue date par nombre d'élus eux-mêmes, avait sans doute été "une fausse bonne idée, une idée qui ne fonctionnait pas".
Taxe professionnelle toujours, le chef du gouvernement a confirmé qu'il soutenait le dernier scénario en date proposé par la commission des finances du Sénat : affecter la cotisation complémentaire "à chaque collectivité, non plus en fonction de l'impôt payé par les entreprises, mais en fonction de la valeur ajoutée produite sur son territoire". Ceci permettant de résoudre le problème des territoires "accueillant des entreprises de petite taille", au chiffre d'affaires inférieur à 500.000 euros et ne payant donc pas de cotisation complémentaire. Il a, enfin, rappelé que le projet prévoit la création d'un fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) pour 2011.
S'agissant de la révision des valeurs locatives cadastrales, il a simplement été confirmé qu'une "concertation approfondie" sera ouverte "dans les jours qui viennent", pour une "traduction législative en loi de finances" dès 2010.
FCTVA : reconduction en 2010
Côté réforme territoriale, François Fillon a surtout détaillé le volet intercommunal du projet de loi, se disant conscient que les pouvoirs qui seront donnés au préfet dans ce domaine sont jugés "trop contraignants" par certains maires. Plusieurs précisions à ce sujet : lorsque les membres de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI) "auront réuni la majorité des deux tiers sur une proposition, c'est cette proposition qui s'imposera et le préfet n'aura pas à s'y opposer" ; des évolutions du projet de loi peuvent être envisagées concernant la question des compétences déléguées par les communes aux EPCI ; "il n'y aura pas de taille minimale imposée pour les groupements de communes".
Le chef du gouvernement a également évoqué les éventuelles conséquences des nouvelles règles du jeu prévues en matière de financements croisés et de compétences départementales ou régionales : "Il n'est question à aucun moment de remettre en cause la possibilité pour les communes d'avoir recours à des financements extérieurs substantiels, qu'ils viennent du département, de la région ou de l'Etat. Il n'est pas question d'interdire les cofinancements, mais simplement de les rendre plus lisibles."
Avant même d'aborder ces deux gros dossiers, François Fillon avait, donc, quelques annonces en mains. En premier lieu, il a fait savoir qu'en réponse à une demande répétée de Jacques Pélissard concernant la taxe carbone, sera créé, auprès de l'Ademe, "un fonds dont le montant correspondra à la taxe carbone versée par les collectivités, un fonds qui contribuera à financer leurs investissements d'économie d'énergie".
Ayant ouvert son allocution sur la question du "financement bancaire des collectivités", il a par ailleurs rappelé que la fameuse charte des bonnes pratiques entre banques et associations d'élus sera signée "sous deux semaines", et a fait savoir qu'il désignerait "dans les prochains jours un médiateur" pour venir en aide aux collectivités "confrontées aux emprunts toxiques".
Enfin, le Premier ministre a indiqué avoir décidé que concernant le versement anticipé du fonds de compensation de la TVA (FCTVA), le "dispositif initialement prévu sera assoupli" : "l'engagement de la collectivité sera considéré comme respecté dès lors que les restes à réaliser des investissements engagés en 2009 seront suffisants". Et, surtout, le gouvernement "va proposer au parlement de rouvrir la même mesure en 2010".
Sortie de crise ?
Trois membres du gouvernement étaient venus, le matin, déminer le terrain avant l'arrivée du Premier ministre. Patrick Devedjian, le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance, avait ainsi dévoilé la mesure d'extension du remboursement du FCTVA, lors d'un débat consacré à la crise. "L'ordre de service devra être signé au 31 décembre 2009 mais le mandatement pourra intervenir au cours de l'année 2010", a-t-il expliqué, alors que cette date du 31 décembre était vue par les élus comme un couperet. Initialement, le remboursement anticipé du FCTVA ne s'appliquait que pour les dépenses mandatées en 2009 et non en 2010, l'objectif était de porter l'effort au plus vite afin de promouvoir l'investissement public. Mais nombre de communes n'étaient pas prêtes et risquaient de ne pas rentrer dans les délais. Des sénateurs avaient déposé une proposition de loi en septembre dernier pour demander à appliquer le principe de la "journée complémentaire", c'est-à-dire de prolonger jusqu'au 31 janvier 2010 la période de mandatement. Le gouvernement a donc décidé d'aller plus loin. "Dès lors que l'investissement est signifié à la sous-préfecture vous êtes en droit d'ordonner l'ordre de service", a précisé Patrick Devedjian, répondant aux inquiétudes des élus sur les délais du contrôle de légalité. Le ministre a confirmé l'efficacité de cette mesure sur l'investissement. 19.500 collectivités ont passé une convention avec l'Etat pour un investissement total de 54 milliards d'euros en 2009. "C'est 19 milliards de plus que ce que les collectivités investissaient en moyenne les années précédentes. Elles ont parfaitement joué le jeu", s'est félicité Patrick Devedjian. "Nous serons sortis de la crise lorsque l'investissement public aura réussi à entraîner l'investissement privé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui", a-t-il souligné. Mais selon lui, en 2010 la France bénéficiera des plans de relance des autres pays. "La France est la seule à avoir réalisé 75% de son plan de relance en 2009 quand les pays ont fait le contraire et le gros de leur plan sera réalisé en 2010", a-t-il encore expliqué.
Malgré ces annonces, les maires demeurent inquiets pour l'après 2010, une fois passé l'effet du remboursement anticipé du FCTVA. Beaucoup ont témoigné de l'impact de la crise dans leur collectivité, refusant de jouer le rôle de "fusible". "Dans certains quartiers, nous avons constaté une augmentation de 47% du chômage, c'est une évolution très effrayante et difficile à gérer", a ainsi déclaré Bernadette Laclais, maire de Chambéry. "Quand on voit que de plus en plus de gens payent les prestations sociales, comme la cantine en liquide, cela signifie quelque chose", a pour sa part témoigné Michel Canévet, maire de Plonéour-Lanvern (Finistère). Le secrétaire d'Etat chargé de l'Emploi Laurent Wauquiez s'est félicité de "l'arrêt de l'hémorragie des destructions d'emplois au troisième trimestre 2009" reconnaissant pourtant qu'il fallait "rester très prudent". Pas d'annonce particulière mais une "boîte à outils" : égrainant outils nationaux (dispositif zéro charge pour les TPE de moins de 10 salariés, contrats de professionnalisation, contrats de transition professionnelle, etc.) et locaux, le maire du Puy-en-Velay a fait savoir que sa commune, pourtant fortement endettée, a pu signer une trentaine de contrats passerelles. Ces contrats "doivent constituer de vraies opportunités avec des périodes de formation, il ne faut pas donner de faux espoirs en faisant miroiter une intégration dans la commune". Le secrétaire d'Etat a également souligné l'importance des clauses d'insertion dans les marchés publics avec "un fléchage sur les quartiers difficiles pour faire en sorte qu'il y ait un impact sur les emplois locaux".
C.M. et M.T.