Réforme territoriale et fiscale - Les conseillers généraux réunis à Paris pour clamer leur hostilité aux projets gouvernementaux
Environ 2.000 conseillers généraux - soit près de la moitié des élus départementaux - représentant une trentaine de départements avaient fait le déplacement ce lundi 16 novembre à Paris pour une réunion nationale exceptionnelle organisée par l'Assemblée des départements de France (ADF). "Un moment grave", "un moment de trouble profond", face auquel les élus départementaux doivent faire entendre une "parole collective forte" : Claudy Lebreton, le président de l'ADF, a d'emblée donné le ton de ce rassemblement dans une salle comble - et visiblement en très grande majorité acquise à sa cause - du palais des Congrès. En cause, bien évidemment, la double réforme territoriale et fiscale... et le sentiment du "procès injuste" fait aux collectivités pour justifier le projet gouvernemental. "Si l'ADF n'est pas unanime sur le sujet, il y a de fortes convergences, nous sommes ici pour en parler." Et Claudy Lebreton d'évoquer "l'évaporation progressive des départements et des communes" induite par une réforme allant "à contresens de l'histoire". Devant tous ces conseillers généraux, le sujet le plus brûlant est forcément la création du conseiller territorial, auquel le président de l'ADF est, on le sait, plus qu'hostile, parlant d'un "couple contre nature" entre le département et la région, d'un mode de scrutin "incompréhensible"... et estimant que "ce n'est pas en supprimant la moitié d'entre nous que la démocratie territoriale sera favorisée". En aparté, Claudy Lebreton espère certes encore un petit "recul" gouvernemental s'agissant du mode de scrutin et une petite marge sur le nombre final de conseillers territoriaux (au lieu des 3.000 actuellement évoqués, on pourrait arriver finalement à environ 4.000 élus). Mais ces points d'incertitude posent en eux-mêmes problème : "Les parlementaires vont devoir se prononcer sans connaître le nombre exact de conseillers territoriaux ni la délimitation des futurs cantons", s'étonne-t-il, qualifiant personnellement ce redécoupage de "charcutage". Pour lui en tout cas, en bout de course, le résultat sera bien "la fin des départements, de façon indirecte, subreptice".
"Plus qu'à attendre la becquée de l'Etat"
Au-delà de la création du conseiller territorial, c'est aussi la suppression de la clause générale de compétence - et, avant même sa suppression, le resserrement des interventions du département de facto induite par la baisse des ressources - qui agite les élus. Quelques témoignages vidéo venus ponctuer la réunion en ont fait état. "Le social, si on ne fait plus que ça, à la limite on est des fonctionnaires, on n'a plus besoin de nous..." "On va devoir se recentrer sur nos compétences obligatoires." "C'est vrai que ça devient alors moins intéressant, des fonctionnaires territoriaux pourraient très bien le faire, il n'y aura plus de choix à faire." "S'il ne nous reste plus qu'à attendre la becquée de l'Etat..."
S'agissant de la suppression de la taxe professionnelle, à l'issue de laquelle, selon Claudy Lebreton, les conseils généraux "ne garderont plus la maîtrise que de 12% de leurs recettes", les mots ne sont donc guère plus tendres. "Que la taxe professionnelle soit supprimée, pourquoi pas, mais que ce soit les ménages qui supportent le plus la fiscalité locale, c'est inacceptable."
Bruno Sido, le président du groupe Droite, Centre et Indépendants de l'ADF, a bien tenté de défendre le projet en cours d'examen au Parlement, assurant que "la réforme de la taxe professionnelle protégera les ressources des départements". Sifflements bruyants de la salle. Certes, le président de la Haute-Marne a expliqué que la lecture sénatoriale devrait permettre de "faire bouger les lignes". Notamment grâce à des amendements du groupe UMP, "discutés en amont avec le gouvernement, qui les acceptera" - des amendements qui "ont pour objet d'accroître les ressources fiscales des départements d'environ 600 millions" et d'introduire "une indexation de la dotation de l'Etat à partir de 2011". L'auditoire n'a guère semblé convaincu.
La "bataille de l'opinion"
Ce même auditoire s'est en revanche montré conforté par la présentation d'un sondage Ipsos sur "l'attachement des Français à leur département et leur perception de la réforme des collectivités locales". Pour 63% des sondés, les collectivités locales sont "plus efficaces" que l'Etat en termes de services publics. Plus de 80% des Français se disent attachés à leur département, et ce, même en milieu urbain. De même, 72% considèrent que le conseil général est utile et 78% se disent satisfaits de l'action de leur propre conseil général. L'entretien des collèges, les routes et les transports scolaires sont les domaines les mieux identifiés et donnant lieu au taux de satisfaction le plus fort. Les choses sont en revanche moins nettes dans le domaine social, apparemment faute d'une connaissance claire de l'action départementale sur ce champ. Alors, au final, pas moins de 83% des sondés, qu'ils soient sympathisants de droite ou de gauche, affirment être contre la suppression du département. La réforme est clairement perçue comme étant "mal expliquée" et "confuse". Elle est aussi, pour une majorité, jugée "électoraliste" et inapte à générer des économies...
On peut prévoir que les élus vont se saisir largement de ce sondage pour engager la "bataille de l'opinion publique" qu'ils sont nombreux à vouloir mener. Nombre de présidents ont déjà commencé à organiser des réunions dans tous les cantons de leur département, que ce soit à l'attention des maires, du grand public ou des responsables associatifs et socioprofessionnels. Tel est par exemple le cas dans les Côtes d'Armor ou en Haute-Vienne. Viendra ensuite le temps de la bataille parlementaire (qui, nous dit-on, devrait durer au moins jusqu'à l'automne 2010). Parallèlement, Claudy Lebreton n'exclut pas de "porter l'affaire devant les juridictions administratives - autrement dit devant le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel, mais aussi la Cour de justice européenne, qui pourrait selon lui juger la réforme contraire à la Charte de l'autonomie locale signée par la France. Face à ces multiples initiatives musclées, la "task force" que vient de monter le gouvernement (voir notre article d'aujourd'hui, "Le gouvernement désigne seize élus locaux chargés de convaincre les Français") risque de ne pas suffire à contrer la vague...
Claire Mallet