Prévention des inondations : un rapport sénatorial présente vingt recommandations pour "mieux armer les territoires"

Face à des inondations appelées à s'amplifier avec le changement climatique, un rapport sénatorial publié ce 25 septembre propose de "mieux armer les territoires". Parmi ses vingt recommandations, il préconise de simplifier les procédures, notamment pour la gestion des cours d'eau, et les actions de prévention, d'instaurer un mécanisme de solidarité entre collectivités situées en amont et en aval dans le financement de la Gemapi, de mieux maîtriser l'urbanisation en zone inondable et d'adapter les modes de construction.

"Il faut mieux vivre avec les inondations plutôt que lutter contre." C'est le constat qu'a dressé ce 25 septembre devant la presse Jean-Yves Roux (RDSE, Alpes-de-Haute-Provence), corapporteur avec Jean-François Rapin (Pas-de-Calais, LR) de la mission de contrôle conjointe des commissions des finances et du développement durable du Sénat sur les violentes inondations survenues en France en 2023 et début 2024. A l'issue de huit mois de travaux, qui ont donné lieu à plus de 35 auditions, 3 déplacements et une consultation en ligne qui a recueilli 1.135 témoignages d'élus locaux dont plus des trois quarts issus de communes rurales, le rapport de la mission a été adopté à l'unanimité des deux commissions ce même 25 septembre.

Plus d'un Français sur quatre exposé au risque inondations

Les sénateurs commencent par rappeler l'importance des enjeux, les inondations récentes s'inscrivant dans une tendance de long terme. Premier risque naturel dans le pays, les inondations ont été responsables de 50% de la sinistralité liée aux catastrophes naturelles au cours de la période 1982-2023. Avec l'augmentation des températures et l'élévation du niveau de la mer à l'avenir, la sinistralité relative aux inondations pourrait connaître sur l'ensemble du territoire français une progression située entre 6% et 19% à l'horizon 2050 et celle liée aux submersions marines serait encore plus marquée - la hausse est estimée entre 75% à 91%.

Aujourd'hui, plus d'un Français sur quatre est déjà exposé aux débordements de cours d'eau et/ou aux submersions marines et 85% des communes ont au moins un habitant résidant en zone inondable, rappellent les rapporteurs. Entre novembre 2023 et juin 2024, 53% des départements ont été touchés par des inondations qui ont provoqué 13 décès. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, ces évènements ont occasionné environ 640 millions d’euros de dégâts aux biens assurables.

"Repenser la politique publique de lutte contre les inondations dans tous ses aspects"

Les sénateurs formulent donc dans leur rapport vingt recommandations visant à "mieux armer les territoires" contre un phénomène qui risque de devenir de plus en plus fréquent. "Elles ont vocation à repenser la politique publique de lutte contre les inondations dans tous ses aspects : la prévention, la gestion de crise et l'indemnisation des sinistrés", a résumé Jean-François Rapin.

S'ils jugent nécessaire de renforcer les moyens de pompage lourd et les moyens héliportés et d'effectuer un "redéploiement des effectifs de sapeurs-pompiers vers les territoires les plus vulnérables" pour mieux faire face aux situations de crise, les rapporteurs mettent l'accent sur la prévention, en plaidant pour "une politique publique solidaire, efficace et adaptée à chaque territoire".  

Face au manque de connaissance du risque par la population – 66% des Français résidant dans une zone exposée aux inondations l'ignorent -, il faut développer les campagnes d'information nationales et locales et les actions de formation destinées aux élus locaux et aux fonctionnaires territoriaux.

Mieux gérer les cours d'eau 

Les sénateurs insistent aussi sur la nécessité de "simplifier la gestion des cours d'eau" en mettant fin au "maquis réglementaire". Alors que le bon état d'un cours d'eau est un facteur de réduction de la gravité des crues, les témoignages recueillis par les rapporteurs montrent que cette complexité peut conduire certains élus locaux à l'inaction, par crainte de commettre une infraction à la police de l'eau et de faire l'objet de poursuites judiciaires. Ils pointent aussi la longueur des procédures administratives préalables qui nuit souvent à une intervention rapide, notamment pour retirer des embâcles (matériaux qui obstruent les cours d'eau) de manière préventive. Ils recommandent donc, d'une part, un travail de pédagogie de la part des services de l'Etat pour clarifier auprès des acteurs locaux la distinction entre les différents régimes juridiques applicables aux interventions dans les cours d'eau et, d'autre part, l'instauration d'une procédure accélérée d'instruction de ces demandes d'intervention.

Fonds de péréquation de la taxe Gemapi pour plus de solidarité entre collectivités

Les deux sénateurs veulent également la mise en place d'un "fonds de péréquation" entre collectivités amont et aval de la taxe Gemapi, qui sert notamment à la prévention des inondations. C'est "un problème sérieux de répartition de la charge de la prévention des inondations entre les collectivités : les intercommunalités qui doivent réaliser les travaux les plus importants, notamment dans les zones de montagne, ne sont souvent pas celles qui perçoivent le plus de recettes de la taxe Gemapi", a jugé Jean-François Rapin. Selon lui, "les petites communes exposées aux inondations ont donc le sentiment justifié de subir une double peine". Les sénateurs, qui défendent une véritable solidarité financière entre EPCI, considèrent que les intercommunalités restent l'échelle la plus pertinente pour la maîtrise d'ouvrage et proposent que le fonds de péréquation qui serait constitué à l'échelle des bassins versants attribue ses financements aux EPCI en fonction de critères objectifs (potentiel fiscal, mètre linéaire de digues, montant des travaux inscrits au Papi [programme d'actions de prévention des inondations].

Simplifier les Papi

Ces fameux Papi, conçus pour structurer la gestion des risques d'inondations au niveau local, ont aussi sérieusement besoin d'être simplifiés, estiment les rapporteurs. Actuellement, "pour créer un Papi, il faut compter sept ans", regrette Jean-Yves Roux. Les rapporteurs préconisent donc une réduction des délais administratifs, la mise à disposition par l'Etat de son référent Papi auprès de la collectivité porteuse du projet, "pour lui fournir un accompagnement technique et réglementaire de proximité", ainsi qu'un guichet unique chargé à la fois de l'autorisation de subventionnement et de l'accompagnement des projets inscrits au Papi. Ils proposent aussi d'ajouter un nouvel axe aux Papi, relatif au développement des solutions fondées sur la nature, définies en partenariat avec les agences de l'eau et après concertation avec les chambres d'agriculture, et d'améliorer l'information des élus locaux sur la possibilité de mettre en oeuvre leurs droits de préemption pour créer des zones d'expansion de crues via une circulaire du ministre chargé des collectivités territoriales adressée aux maires et aux présidents d'EPCI.

PPRI : encore un effort pour parachever la couverture

Il faut aussi parachever la couverture du territoire par les plans de prévention des risques d'inondations (PPRI), qui constituent un outil "essentiel" pour réduire la vulnérabilité des personnes et des biens face à ces catastrophes, poursuivent les sénateurs. Certes, il y a eu des progrès puisque 10.892 communes sont aujourd'hui dotées d'une PPRI approuvé et qu'il ne reste plus que 1.415 disposant d'un PPRI prescrit mais non approuvé, soit 11,5% du total. Mais le rapport juge "étonnant" que certains territoires fortement sinistrés par les inondations de 2023 et du début de 2024 comme le marais audomarois ou la Lys supérieure dans le Pas-de-Calais ne soient pas couverts par un PPRI approuvé. Les sénateurs demandent à la fois d'achever l’approbation des PPRI (comme des plans de prévention des risques littoraux) déjà prescrits d'ici 2027 et d'inscrire dans la feuille de route triennale 2025-2027 d'élaboration des plans de prévention des risques les effets du changement climatique. 

Ils préconisent aussi de renforcer les exigences que doit remplir l'état des risques requis dans le cadre d'une acquisition immobilière "pour permettre aux acheteurs de mieux appréhender la réalité du risques inondations auquel le bien est exposé". Toujours au chapitre de la prévention, ils recommandent d'adapter les méthodes d'aménagement et de construction dans les zones exposées aux inondations "pour réduire la vulnérabilité du bâti et mieux garantir la résilience des territoires face à ces phénomènes".

Gestion de crise : accompagnement renforcé des communes...

Lorsqu'une crise survient, les rapporteurs soulignent aussi la nécessité de "mieux outiller l'État et les élus locaux". Pour cela, ils jugent "primordial" d'étendre la couverture de Vigicrues, le service public d'information de référence sur les risques de crues en France, à l'ensemble du territoire d'ici 2030 tout en renforçant la notoriété auprès des élus de Vigicrues Flash, le dispositif qui avertit sur les risques de crues soudaines de petits cours d'eau. Les moyens de Météo France doivent aussi être revus pour permettre à l'établissement public, qui a vu ses effectifs réduits de plus de 25% entre 2010 et 2022, de s'adapter à l'intensification des catastrophes naturelles. Les sénateurs préconisent également un accompagnement renforcé des communes dans leur démarche d'élaboration des plans communaux de sauvegarde (PCS) et une systématisation des plans intercommunaux de sauvegarde (Pics) dans les territoires où une telle démarche est adaptée.

... sans oublier l'après-crise

Ils appellent en outre à ne plus faire de la gestion de l'après-crise "l'angle mort de la lutte contre les inondations". "L’accomplissement des démarches associées aux catastrophes naturelles est très contraignant, particulièrement pour les petites communes", soulignent-ils, dès lors qu'elles ne disposent pas d’un personnel formé en nombre suffisant pour répondre à l’urgence de l’après-crise, et qu'elles ont rarement les compétences en ingénierie adéquates pour évaluer les dégâts et les risques persistants. "Il n’est donc pas exagéré de dire que la " crise" peut s’étendre sur des mois, voire des années après la survenue de la catastrophe naturelle", relèvent les sénateurs. 

Pour remédier à ces difficultés, ils proposent l’instauration d’un mécanisme de solidarité entre EPCI permettant d’apporter un appui technique et administratif aux collectivités sinistrées, surtout en zone rurale, ainsi que la mise en place d’un guichet unique au niveau préfectoral pour faciliter les demandes d’aides financières. Ils recommandent aussi d'instituer une avance de trésorerie au profit des collectivités territoriales ayant subi des inondations. "Il ne s’agit pas de s’en tenir à mobiliser une branche d’un autre prêt, ou à un dispositif confidentiel, mais bien de créer un nouveau prêt ad hoc, accompagné d’une campagne de communication", insistent-ils. 

A propos des travaux à réaliser sur les ouvrages endommagés dans les cours d’eau au lendemain de la crise, ils relaient les doléances des élus locaux qui déplorent "une dichotomie administrative trop forte entre les travaux d’urgence temporaires – sans procédure administrative préalable – et les travaux structurants de reconstruction, soumis à la procédure de droit commun qui peut s’avérer longue". Aussi préconisent-ils d’instaurer une procédure d’instruction accélérée des travaux de réparation "pour favoriser une reconstruction à la fois plus rapide et plus résiliente en cas de nouvelle inondation".

Meilleure protection des assurés

Enfin, estiment les rapporteurs, l'indemnisation et la reconstruction doivent être adaptés à la réalité des territoires. À de nombreuses reprises lors de leurs travaux de contrôle, ils ont pu constater que les habitants sinistrés, les chefs d’entreprises et les élus locaux regrettent que les indemnités d’assurance arrivent trop tardivement, et qu'ils craignent d'être à terme ostracisés par les assureurs. Le processus indemnitaire peut en effet s’étaler sur plusieurs mois, voire plusieurs années pour les cas les plus complexes, alors que les personnes sinistrées ont un besoin urgent de toucher ces fonds. Ces délais d’indemnisation s’expliquent surtout par la durée des expertises d’assurance, ont relevé les rapporteurs.

Quant au refus d’assurance en raison de l’exposition aux inondations, ils l'ont jugé encore marginal aujourd’hui en France métropolitaine. En revanche, au cours de leurs déplacements, des personnes sinistrées ont témoigné de leurs difficultés à renégocier leurs contrats d’assurance, la réalisation du sinistre les ayant en effet placées dans une position délicate vis-à-vis de leur assureur. Or ces assurés savent aussi qu’au regard de leur exposition aux risques, trouver un nouveau contrat d’assurance, s’ils rompaient le contrat actuel, serait plus complexe. Le Bureau central de tarification (BCT) peut aujourd'hui imposer à la compagnie d’assurance la souscription du contrat demandé, mais sa compétence est aujourd'hui limitée aux cas de refus pour cause d’exposition aux catastrophes naturelles. Les rapporteurs proposent donc d’étendre la compétence de cette autorité administrative à la renégociation des contrats d’assurance.

Reconstruction à l'identique : un "véritable gâchis"

Les rapporteurs ont en outre constaté que des personnes sinistrées ont régulièrement été contraintes d’utiliser leurs primes d’assurance pour effectuer des reconstructions à l’identique, alors même que le bien endommagé aurait pu être amélioré, que ce soit au niveau de la prévention des risques naturels ou de l’efficacité énergétique. "Pourtant, il n’existe pas de principe général d’obligation de reconstruction à l’identique en droit, pointent-ils. Cet état de fait découle d’une interprétation trop stricte des dispositions du code des assurances et du code de l’urbanisme, mais s’explique également par le fait que cette solution est souvent la plus simple à mettre en œuvre, à la fois en termes juridiques et financiers." Par conséquent, l’indemnité d’assurance est presque systématiquement utilisée pour une reconstruction à l’identique, ce qui représente un véritable gâchis, aux yeux des rapporteurs qui recommandent dès lors de favoriser l’utilisation des indemnités d’assurance pour une reconstruction de meilleure qualité après les inondations.

D’une manière générale, la période postérieure aux inondations est particulièrement propice pour renforcer la prévention des inondations futures, estiment aussi les rapporteurs qui préconisent ainsi de généraliser, à terme, l’expérimentation "Mieux reconstruire après inondation" (Mirapi), dont l’échéance est prévue en 2026.

 

› Inondations : Agnès Pannier-Runacher veut faire du Pas-de-Calais un "laboratoire"

En tant que nouvelle ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher a consacré son premier déplacement ce 25 septembre au Pas-de-Calais, frappé l'automne et l'hiver derniers par une série d'inondations historiques. "Ce qu'il s'est passé dans le Pas-de-Calais va lui permettre d'être un laboratoire pour cette gestion des risques que le Premier ministre appelle de ses voeux" dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique, a expliqué la ministre, elle-même élue du département. "Nous sommes dans une situation de vulnérabilité, les terres sont gorgées d'eau, les nappes phréatiques sont au plus haut, c'est pour cela que nous allons continuer à être en vigilance extrême", a-t-elle assuré.

Elle s'exprimait dans la commune sinistrée d'Arques, devant des élus et responsables d'institutions associées aux travaux engagés pour éviter de nouvelles inondations de cette ampleur. Elle a souligné les "montants considérables" - 97 millions d'euros - déployés par l'État après ces inondations, même si tous les travaux "structurants" n'ont pas encore été achevés. Ainsi, une importante pompe prévue à l'écluse de Cuinchy ne sera pas opérationnelle avant fin 2024, mais un système de substitution sera installé en attendant, selon le préfet Jacques Billant.

Le président du comité de bassin Artois-Picardie, André Flajolet, a souligné que la mise en place d'établissements publics territoriaux de bassin, devant permettre une gouvernance plus efficace de l'eau, avançait "lentement" en raison de "résistances locales".

Les précipitations de l'automne et l'hiver derniers représentaient "1,5 fois la crue centennale", mais cet épisode extraordinaire risque de "devenir ordinaire" dans les prochaines années, a indiqué la ministre.

Agnès Pannier-Runacher a également rencontré quelques sinistrés d'Arques et Blendecques qui ont récemment cédé leurs maisons grâce au fonds Barnier, dispositif finançant les indemnités d'expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur. Selon la préfecture, 97 demandes ont été faites dans le cadre de ce fonds et 63 jugées éligibles à ce stade. 
A.L. avec AFP

 

 

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