Après la catastrophe de la Bérarde, le parc des Ecrins demande une révision de la loi Montagne
Six jours après la dévastation du Hameau de la Bérarde (Isère) enseveli par endroits sous "14 mètres de boue", le Parc national des Ecrins tente de relever la tête à l'approche de la saison touristique. Il appelle l'Etat à la solidarité et demande la création d'un fonds catastrophe pérenne. Estimant que ce genre d'événements est amené à se répéter de plus en plus souvent, il demande une révision de la loi Montagne afin d'"agir plus efficacement" sur l'eau.
Dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 juin, le petit hameau de La Bérarde en Isère, haut lieu de l'alpinisme, était dévasté par des laves torrentielles d'une ampleur colossale. Selon le Parc national des Ecrins, 14 mètres de boue se sont déversés sur le village situé à 1.700 mètres d'altitude, au confluent de deux torrents, Les Etançons et le Vénéon. L'église, datant de 1892, a été littéralement coupée en deux. Les quelques maisons (inhabitées l'hiver en raison de la fermeture de la route) ont été éventrées quand elles n'ont pas été ensevelies par les boues et les débris. Une centaine d'habitants ont pu être évacués dans des conditions périlleuses par les secouristes.
Quelques jours plus tard, les conjectures vont bon train pour tenter d'expliquer l'ampleur de ce phénomène. Les premiers retours convergent vers une conjonction de facteurs exceptionnels : fontes tardives suite à un enneigement encore très important en altitude, pluies torrentielles… Comme ce fut le cas en 2013 dans le village de Barèges (Hautes-Pyrénées). Mais un survol en hélicoptère a permis de repérer un lac supraglaciaire à 3.000 mètres d'altitude, dans le vallon de Bonne Pierre, en contrebas de la barre des Ecrins. Cette énorme poche d'eau se serait brutalement vidangée. "Cet élément, qui devra être confirmé par les scientifiques, est le plus probable", a indiqué Arnaud Murgia, président du Parc national des Ecrins, et maire de Briançon, jeudi 27 juin, lors d'une conférence de presse organisée à l'issue d'un conseil d'administration du parc, à Pont du Fossé, dans le Champsaur. "Il y a quelques semaines, les guides avaient fait cette observation", a-t-il ajouté. Certains habitants ont avancé l'idée qu'une digue construite dans le vallon des Etançons, au pied de la Meije, censée protéger les habitations, n'avait pas été renforcée depuis 40 ans. "Nous n'avons pas encore de réponse précise et technique, mais je crains que ce qui s'est passé n'aurait pu être endigué par quoi que ce soit", écarte l'élu avec prudence.
"Il ne faudrait pas que la dissolution entraîne une vacance de l'Etat"
A quelques jours du début de la saison touristique, "ce drame terrible plonge toute une vallée dans une situation totalement inédite", souligne-t-il. "200 à 300 emplois" (guides, accompagnateurs, hôtelliers…) sont menacés, sachant que les routes sont coupées. "L'urgence absolue" est de sécuriser les lieux, mais aussi tous les sentiers du parc. Car le Vénéon n'est pas la seule vallée touchée. De l'autre côté des Ecrins, le pré de Madame Carle ou le Valgaudemar ont subi des dégâts importants. Des vallées déjà fortement touchées par les intempéries de l'été et de l'automne 2023. Des kilomètres de sentiers endommagés, des passerelles arrachées… Ce sont 780.000 euros de travaux à réaliser. Le ministère de la Transition écologique s'était "engagé oralement" à fournir 500.000 euros. Mais "ils n'ont toujours pas été versés", fulmine Arnaud Murgia, alors que le parc estime à 100.000 euros les frais supplémentaires engendrés par les pluies de la semaine dernière. "Il ne faudrait pas que la dissolution entraîne une vacance de l'Etat et du gouvernement", lance le président du parc, reprenant le "cri d'alerte" d'une motion votée à l'unanimité, jeudi, par le conseil d'administration. "Nous ne pouvons pas faire face seuls à ce drame écologique et humain." "Les conseils départementaux (de l'Isère et des Hautes-Alpes, ndlr) ont déjà voté des enveloppes de soutien, il faut que l'Etat soit à la hauteur". Les régions Paca (qui a aussi fort à faire avec la vallée de la Vésubie, dans les Alpes-Maritimes) et Auvergne-Rhône-Alpes ont également prévu d'actionner des fonds d'urgence. "Nous allons participer à un grand élan de solidarité pour être en capacité de reconstruire cette vallée", clame Arnaud Murgia.
Créer un fonds d'urgence pérenne
Mais pour les élus du parc, il faut aussi voir plus loin. "La montagne est un endroit dangereux" mais "cette dangerosité est aujourd'hui aggravée par le dérèglement climatique, le réchauffement, les dégâts importants sur le permafrost (…) Tous ces événements, leur récurrence, remettent en cause un certain nombre de prérequis", considère son président, invitant à ouvrir une réflexion sur une nouvelle révision de la "loi Montagne" (cette loi fondatrice de 1985 avait déjà été révisée en 2016). L'enjeu serait d'adapter la loi sur l'eau de 1992 et la loi Gemapi (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) de 2017 aux spécificités de la montagne afin d'"agir plus efficacement" et de tenir compte des bassins versants. Dans le Guillestrois-Queyras voisin où coule le Guil, "c'est la communauté de communes qui doit payer pour tout le bassin versant" alors que les travaux d'aménagement profitent à toutes les Hautes-Alpes et même à toute la région car ces montagnes sont "le château d'eau de la Provence", a-t-il pris pour exemple. Dans sa motion, le parc appelle à la création d'un "fonds catastrophe pérenne pour les parcs nationaux de montagne" comme il en existe un pour la mer. Dans l'immédiat, il déconseille aux randonneurs de se rendre en altitude où l'enneigement est encore important. Des consignes qui devraient être levées d'ici quelques jours.