Environnement - Les collectivités sentinelles de la biodiversité
"La biodiversité constitue l'assurance-vie de la vie elle-même", écrit Geneviève Gaillard dans le rapport qu'elle a présenté le 6 avril devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que cette assurance-vie est lourdement menacée. "La communauté scientifique nous le rappelle régulièrement : le rythme d'extinction des espèces végétales et animales est aujourd'hui cent à mille fois supérieur à celui qu'il était avant la révolution industrielle, souligne la députée. Et l'on peut se demander si 50% des espèces actuellement connues n'auront pas disparu d'ici à la fin du XXIe siècle." La France a dans ce contexte une situation et une responsabilité particulières, rappelle-t-elle. "Notre territoire héberge avec ses collectivités ultramarines plus du tiers des espèces recensées au niveau mondial. La France est, par ailleurs, le seul Etat présent dans cinq des vingt-cinq 'points chauds' de la biodiversité, ces espaces qui accueillent une combinaison d'écosystèmes à la fois riche et rare, la Méditerranée, les Caraïbes, l'Océan indien, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie." Sans oublier la Guyane qui fait partie de l'une des zones forestières majeures, l'Amazonie.
Des outils nationaux pas assez performants
Depuis la conférence de Rio en 1992 jusqu'à celle de Nagoya en octobre 2010, de nombreuses mesures ont été prises sans que cela ne suffise à stopper la perte de biodiversité. Sur le plan national, la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) 2004-2010 n'a pas réussi non plus à atteindre l'objectif qui lui était assigné : mettre un terme à l'érosion de la biodiversité à l'horizon 2010. Dans son état des lieux, Geneviève Gaillard pointe aussi un paradoxe : "Si la dégradation accélérée de la biodiversité fait désormais figure de constat partagé par tous les acteurs, sa connaissance scientifique reste parcellaire et inachevée."
Selon elle, la recherche sur les écosystèmes n'est pas assez favorisée et les outils nationaux de connaissance pas assez performants du fait de l'insuffisance de moyens budgétaires mais aussi de l'absence d'articulation avec les projets de systèmes d'information de l'environnement mis en place au sein de certaines collectivités territoriales (le système d'information géographique et d'analyse de l'environnement du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais ou le système territorial d'études et de recherches naturalistes et écologiques du parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine, par exemple). La députée juge donc urgent de créer l'Observatoire national de la biodiversité prévu par la loi Grenelle 1. Elle estime aussi nécessaire de s'intéresser tout autant à la biodiversité dite "ordinaire" qu'à la biodiversité remarquable.
La politique actuelle de préservation de la biodiversité souffre actuellement, selon elle, de l'éparpillement des intervenants et de leur difficulté à travailler ensemble. "La multiplicité des acteurs comme celle des zones de protection qui souvent se superposent rendent l'action de l'Etat insuffisamment lisible pour nos concitoyens et nuisent incontestablement à son efficacité." Par contre, le rapport juge essentiel le rôle des collectivités locales et des autres acteurs de terrain (agriculteurs, associations de protection de l'environnement, naturalistes bénévoles et entreprises). Celui des collectivités mériterait d'être mieux reconnu et valorisé, souligne Geneviève Gaillard en décrivant leurs compétences qui se sont étoffées avec le temps en matière de maîtrise foncière, de connaissance mais aussi de gestion de la biodiversité.
Tous les échelons territoriaux impliqués
Si les régions constituent un échelon majeur pour appréhender ces enjeux, les départements disposent d'outils spécifiques très utiles, au premier rang desquels les espaces naturels sensibles (ENS), tandis que les communes et les intercommunalités ont, elles aussi, des compétences importantes en la matière via le contenu des plans locaux d'urbanisme, l'élaboration des documents d'objectifs Natura 2000, la gestion d'espaces protégés, les Agenda 21, etc. A chaque échelon territorial, les collectivités ont mis au point des outils d'acquisition foncière, rappelle la députée, les départements pouvant instituer une taxe spécifique (taxe départementale des espaces naturels sensibles) perçue par les communes dont le produit – 135 millions d'euros – sert à l'acquisition, à l'aménagement et à l'entretien d'ENS.
"Ces différents outils se doublent d'un investissement du champ de la connaissance de la biodiversité sans lequel aucune politique nationale n'aurait de sens", poursuit l'élue. Ainsi, "les observatoires de la biodiversité se sont affirmés comme les outils les plus efficaces, d'une part pour permettre la mutualisation et la mise en cohérence des connaissances propres à un espace géographique, d'autre part pour créer un réseau d'échanges pérenne entre acteurs concernés par la préservation et la reconquête de la biodiversité". De ce point de vue, l'échelon communal semble à ses yeux le plus pertinent comme en témoigne le lancement récent d'atlas communaux de la biodiversité, des inventaires de la faune et de la flore que les municipalités volontaires peuvent mettre en oeuvre selon une méthode et un protocole définis par le Museum national d'histoire naturelle.
Mais malgré une action déterminante sur le terrain, les collectivités sont des "nains politiques" si l'on en juge par la faiblesse de leur représentation dans les instances décisionnaires en matière de biodiversité, souligne le rapport. Il suggère donc que la réflexion en cours au sein du Conseil économique, social et environnemental intègre une meilleure reconnaissance du rôle des collectivités dans la gouvernance de ces instances.
Servitudes d'un nouveau type
Parmi les mesures-phares intéressant directement les collectivités, le rapport propose la création de "servitudes écologiques" dans le "droit positif". Le rapport précise qu'il s'agirait d'un équivalent français du "conservation easement" du droit anglo-saxon. "Cette servitude offre la possibilité à un propriétaire foncier, par la conclusion – qui implique la signature et l'enregistrement légal – d'un acte juridique, durablement contraignant, avec un tiers, collectivité, établissement ou organisation de protection de la nature, de protéger son espace physique en tant que paysage ou habitat naturel en interdisant, pendant toute la durée de validité de l'acte, sa construction ou son artificialisation", explique le rapport.
Cette protection de la biodiversité pourrait prendre la forme soit "d'une servitude contractuelle de protection de l'environnement, dans la catégorie des 'servitudes établies par le fait de l'homme' (article 686 et suivants du Code civil)", soit "d'une obligation réelle, qui autoriserait le propriétaire d'un immeuble à créer sur cet immeuble une obligation intuitu rei durable et automatiquement transmissible à ses ayants-cause". La rapporteure demande au ministère de la Justice un "approfondissement" de la question, et d'y associer le ministère de l'Ecologie ainsi que celui de l'Economie, "qui aurait la charge de définir les avantages financiers et fiscaux pouvant être consentis, le cas échéant, aux propriétaires concernés, en dédommagement de leur consentement à ces servitudes d'un type nouveau".
De la baisse au gel de l'artificialisation des sols
Le rapport propose aussi un dispositif de lutte contre l'artificialisation des sols. "Fixer un objectif de baisse, puis, à un horizon temporel plus lointain, de gel de l'artificialisation des sols permettrait une prise de conscience de nos concitoyens sur l'urgence à agir, pour éviter une nouvelle dégradation de la biodiversité, en même temps qu'il orienterait l'action des pouvoirs publics vers une densification du tissu urbain et un arrêt progressif du grignotage péri-urbain d'espaces naturels, tendance lourde des pays industrialisés depuis 1945", plaide la rapporteure. Cet objectif pourrait être fixé "en prenant comme référence la baisse annuelle actuellement constatée d'espaces naturels artificialisés, c'est-à-dire 66.000 hectares – chiffre qu'il sera utile de faire valider, car il pourrait en réalité être plus élevé de 20.000 hectares – pour lui imprimer une réduction progressive sur 5 tranches de 10 ans, avec les paliers suivants : 2% de baisse pendant 10 ans (2012-2022), soit de 66.000 hectares par an, soit 52 848 hectares en fin de cycle ; 5% de baisse pendant 10 ans (2022-2032), soit de 52.848 hectares par an, soit 31.642 hectares en fin de cycle ; 7% de baisse pendant 10 ans (2032-2042), soit de 15.314 hectares par an soit 5.508 hectares en fin de cycle ; 10% de baisse de baisse pendant 10 ans (2042-2052), soit de 2.133 hectares par an soit 2.133 hectares en fin de cycle". Le gel interviendrait donc au terme de cinq décennies de baisse progressive, "ce qui aurait l'avantage d'être en phase avec les objectifs que s'est fixés la République fédérale d'Allemagne, ainsi qu'avec les institutions communautaires", note Geneviève Gaillard qui trouve aussi une autre vertu au gel : "Faire de l'économie d'espace 'non urbain', c'est-à-dire agricole, naturel et forestier, une cause nationale."
Les autres mesures du rapport Gaillard
SNB. Le rapport de Geneviève Gaillard prévoit d'"afficher la conservation et la reconquête de la biodiversité comme une priorité nationale". Il prévoit pour cela de faire de la fonction de délégué interministériel à la biodiversité" et de "la SNB (stratégie nationale pour la biodiversité) 2011-2015 et de ses déclinaisons locales et régionales le fil conducteur de l'action de l'Etat dans le domaine de la reconquête de la biodiversité".
NAGOYA. La députée souhaite également "accélérer la signature du protocole international sur l'accès et le partage des avantages issus de l'utilisation des ressources génétiques de la planète défini à la conférence de Nagoya". Sa signature permettrait "de conforter la France dans sa position de pays de premier plan dans la défense de l'environnement et, plus précisément, dans la lutte contre l'érosion de la biodiversité". La Colombie, le Yémen, l'Algérie et le Brésil l'ont déjà signé. La France, la Commission européenne et les 27 Etats membres de l'Union européenne pourraient le faire le 11 mai prochain, indique la députée. Ensuite, "un projet de loi de ratification devrait être déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat au plus tôt à la fin du premier semestre 2013".
OBSERVATOIRE. Geneviève Gaillard plaide pour la création d'un observatoire national des espèces exotiques invasives, afin de "renforcer la lutte contre les espèces exotiques envahissantes" qui seraient impliquées dans la moitié des extinctions d'espèces observées au cours des quatre cents dernières années".
SUREXPLOITATION. La rapporteure "demande également une application plus rigoureuse des réglementations applicables" s'agissant de la lutte contre la surexploitation des forêts tropicales et des océans.
PLANS NATIONAUX. La parlementaire veut "renforcer les plans nationaux en faveur des espèces végétales et animales menacées", rappelant que la France compte 778 espèces menacées et inscrites sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). "55 plans nationaux d'action pour la restauration des espèces les plus menacées ont été mis en oeuvre en 2009. Et le Grenelle de l'environnement est venu recommander l'élaboration de plans de conservation et de restauration pour 131 espèces de faune et de flore en danger critique d'extinction : 9 plans d'action en France métropolitaine et outre-mer ont été lancés en 2009 sur ces espèces."
DISPOSITIONS NEFASTES À LA BIODIVERSITE. Geneviève Gaillard veut s'appuyer sur le rapport que prépare Guillaume Sainteny sur l'examen des subventions et aides d'origine fiscale ayant ou non un impact sur la biodiversité pour "dresser un véritable tableau de bord des politiques publiques néfastes à la biodiversité, dans chaque département ministériel ainsi que des dépenses fiscales elles aussi néfastes" pour "identifier les politiques publiques et les dépenses fiscales dont la disparition rapide est la plus souhaitable et établir un plan d'action à 3, 5 et 10 ans pour leur substitution, qui devra naturellement se faire à prélèvements constants". Elle veut aussi "demander au ministère de l'Economie et des Finances une étude concernant l'amélioration de l'imposition de l'immobilier non bâti, cette imposition étant actuellement l'une des causes principales des atteintes aux milieux naturels", et créer "un groupe de travail interministériel réunissant notamment les ministères de l'Ecologie, de l'Agriculture et de l'Economie et des Finances, sur l'amélioration du statut fiscal des espaces naturels".
REGIONS BIOGEOGRAPHIQUES. La députée "souhaite qu'une réflexion soit menée sur les différentes régions biogéographiques au sein desquelles s'insère le territoire national".
COMPENSATION. Le rapport veut "imposer la réalisation ex ante de mesures compensatoires, et instaurer un contrôle a posteriori des mesures de compensation prises" lorsqu'un projet d'aménagement détruit un espace naturel. Le rapport relève en effet "de nombreuses imperfections dans le dispositif actuel de définition, de réalisation et de contrôle des mesures compensatoires".
RECHERCHE. Geneviève Gaillard veut "organiser une répartition claire des compétences entre les grandes structures de la recherche en matière de biodiversité ; encourager le développement des sciences naturalistes ; approfondir la recherche sur les écosystèmes".
AGRICULTURE. Le rapport propose de "réorienter la recherche agronomique vers la mise en oeuvre d'un modèle agricole innovant, mais respectueux des équilibres écologiques et des ressources naturelles" et souhaite "que les efforts menés par les agriculteurs pour promouvoir une production agricole à caractère écologique soient non seulement soutenus, mais encouragés par la puissance publique".
AUTRES ASPECTS ECONOMIQUES. Geneviève Gaillard plaide pour "poursuivre résolument les efforts menés sur l'évaluation économique du vivant et encourager la formation d'un marché de la compensation en cas d'atteinte aux écosystèmes".
SANTE. Le rapport vise également l'approfondissement de "l'étude des liens entre protection de la santé publique et conservation de la biodiversité".
GRAND PUBLIC. Le rapport revient sur la construction "collaborative" de la connaissance du vivant qu'il souhaite voir développer afin d'"impliquer profondément les citoyens, en particulier les plus jeunes, dans la conservation du vivant". Une proposition porte également sur l'amélioration "de la sensibilisation des jeunes, des élus, des partenaires sociaux, des touristes aux enjeux de la biodiversité". La députée suggère aussi de "mettre en place une structure nationale pérenne recensant les animations et initiatives disponibles sur le thème de la biodiversité".
AIDE AU DÉVELOPPEMENT. Pour Geneviève Gaillard, il est nécessaire de "développer des actions relevant de la conservation de la biodiversité dans les programmes publics d'aide au développement et faciliter leur identification".
OUTRE-MER. Le rapport juge important d'"approfondir l'effort de connaissance des espèces et des écosystèmes ultramarins, qui représentent l'essentiel de la biodiversité française, tout en étant particulièrement fragiles". Elle souhaite aussi que soit menée "une réflexion sur les investissements nuisibles à la biodiversité en Outre-mer".