Social - L'avenir des départements grevé par le poids du RSA
"Nous sommes extrêmement inquiets pour les dépenses départementales d'action sociale", a d'emblée prévenu Jean-Louis Sachez, le délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale (Odas), en présentant ce mercredi 10 juin son étude annuelle. Certes, cette inquiétude s'exprime chaque année à la même époque depuis bien longtemps… "La facture sociale des départements toujours plus lourde", constatait-on en 2006, "Les marges de manoeuvre des départements encore affaiblies", pouvait-on titrer en 2007… Et les graphiques réalisés par l'Odas le montrent bien : à quelques variations près (il y a eu certaines années de décélération voire de pause), la courbe de la dépense d'action sociale des départements et, surtout, de la charge nette (autrement dit de leur "reste à charge") ne cesse de pointer vers le haut depuis 2001. L'année 2001 avait en effet marqué "une rupture dans le rythme de croissance de cette dépense et dans son contenu", constate en effet l'Odas. "Depuis 2001, on a un peu l'impression qu'on a transformé les départements en caisses de sécurité sociale", résume Jean-Louis Sanchez.
Pourquoi 2001 ? C'est l'année de la création de l'APA. Suivie par le transfert du RMI en 2004, la création de la PCH en 2005, le remplacement du RMI par le RSA en 2009… Ces couches successives ont modifié la structure même de la dépense des départements. Ainsi, en 2001, la partie hébergement et accueil représentait 50% du total la dépense nette tandis que les allocations ne répondaient que pour 10% de cette dépense (le reste, 40%, correspondant aux autres dépenses d'intervention et de personnel). En 2014, les choses s'inversent presque : 33% pour l'hébergement et l'accueil et 46% pour les allocations. Certes, lorsqu'on parle non plus de dépense mais de charge (après déduction des contributions de l'Etat), les proportions sont de 43% pour l'hébergement-accueil et de 30% pour les allocations.
"Les grandes économies de gestion ont déjà été faites"
Alors pourquoi ce surcroît d'inquiétude précisément cette année ? Et ce, alors même que les départements ont justement bénéficié l'an dernier (l'enquête de l'Odas porte sur 2014) d'un coup de pouce de 1,5 milliard du gouvernement qui leur a transféré des frais de gestion de fiscalité locale et les a autorisés à augmenter leurs taux de droits de mutation ? Apparemment, parce que l'on serait arrivé au bout d'un système. Et parce que "malgré cet effort du gouvernement, le doute n'est plus permis : sans évolution du mode de financement de leurs compétences obligatoires, les départements ne pourront plus, dans leur grande majorité, équilibrer leur budget dans un proche avenir", estime l'Odas.
"2014 a été une année d'adaptation aux nouvelles contraintes financières. La principale préoccupation des départements a été de faire des économies", assure Claudine Padieu, directrice scientifique de l'Odas. D'après les échos recueillis, il s'est surtout agi de "sacrifier certaines actions hors du champ social" pour pouvoir financer le social. Heureusement, constate-t-elle, peu de départements auraient succombé à la "solution de facilité" consistant à "sacrifier les dépenses sociales non obligatoires", autrement dit essentiellement les dépenses liées à la prévention. Reste à poursuivre les économies de gestion sur les établissements et services. Mais "les grandes économies de gestion ont déjà été faites", juge Jean-Louis Sanchez. Sur les allocations elles-mêmes, les départements n'ont évidemment guère de marge de manœuvre, mis à part sans doute sur l'APA. D'où, d'ailleurs, la "tentation" de certains départements de réduire par exemple le nombre d'heures d'aide à domicile financé par l'APA pour les GIR 4 (les personnes âgées les plus faiblement dépendantes).
RSA : "surtout les départements les plus pauvres"
Le principal problème est bien celui du RSA. "Nous ne considérons pas de la même façon la question du RSA, où les départements ont une marge de manœuvre nulle, et celle de l'APA et de la PCH, où les départements peuvent agir sur l'efficience des politiques publiques et où il est donc juste qu'il y ait un partage des financements entre l'Etat et les départements. Et ce, d'autant plus que pour ces deux prestations-là, la part de l'Etat s'est stabilisée", explique Jean-Louis Sanchez.
"Le RSA, c'est le sujet massif. C'est celui qui paralyse les départements. Et c'est le plus imprévisible. Les acteurs départementaux nous le disent : ils peuvent toujours faire des prévisions budgétaires… sauf pour le RSA", confirme Claudine Padieu. Logique, le poids croissant de ce poste budgétaire étant principalement lié à la hausse du nombre d'allocataires.
Les chiffres sont là. La charge nette liée à l'aide sociale à l'enfance (ASE) a augmenté de 1,4% entre 2013 et 2014. Celle liée aux personnes âgées de 1,8%. Côté personnes handicapées, la hausse atteint 4,1%, du fait d'une poursuite de la hausse du nombre de bénéficiaires, qu'il s'agisse de places en établissement ou de PCH. Quant au RSA (allocation et actions d'insertion, hors personnel), la hausse est de 7,6%. Et atteint 9,2% pour la seule dépense d'allocation.
La "baisse du taux de prise en charge du RSA par l'Etat" est flagrante : la part de l'allocation financée par l'Etat était de 90% en 2009 et n'a cessé de baisser depuis : 79% en 2012, 71% en 2013, 66% en 2014… L'an dernier, le reste à charge pour l'allocation a ainsi été de 2,9 milliards, soit 700 millions d'euros de plus qu'en 2013.
On notera que les dépenses d'insertion ont quant à elles légèrement baissé, passant de 820 à 760 millions d'euros, jouant pour certains un petit rôle de "variable d'ajustement" (à la marge toutefois, les montants en jeu étant de toute façon dérisoires par rapport au poste "allocations").
"La non-compensation du RSA va de fait toucher surtout les départements comptant le plus d'allocataires, les départements les plus pauvres. C'est grave", tranche Jean-Louis Sanchez. Qui fait donc partie de ceux qui plaident pour une renationalisation du RSA – autrement dit d'un retour à l'avant-transfert du RMI.
L'APA en établissement pose question
S'agissant des autres grands domaines d'intervention, les évolutions sont sans doute moins alarmantes. Ainsi, en matière d'ASE, "la dépense évolue peu depuis plusieurs années" et 2014 reste sur cette tendance à la stabilité, avec une dépense nette s'élevant à 7 milliards d'euros, dont 80% pour l'hébergement-accueil. L'ASE, ce sont 155.000 enfants pris en charge, avec environ 2.000 enfants de plus par an – "surtout des mineurs isolés étrangers et de jeunes majeurs", précise l'Odas, en se félicitant au passage que la plupart des départements aient maintenu leur soutien aux jeunes majeurs alors que personne ne les y oblige.
S'agissant du soutien aux personnes handicapées, la hausse des dépenses constatée en 2014 est, on l'a dit, liée à la hausse du nombre de bénéficiaires, sachant que les deux tiers de la dépense concernent les établissements. "Le coût à la place s'est stabilisé, mais l'effort massif de créations de places s'est poursuivi", résume-t-on à l'Odas. La PCH poursuit quant à elle encore sa montée en charge, certes à un rythme moindre que dans le passé. Le nombre de bénéficiaires est en effet toujours en hausse, contrairement au montant moyen de l'allocation qui continue de diminuer lentement.
Enfin, concernant les personnes âgées, l'Odas rappelle que l'APA représente 80% de la dépense totale. Et que l'APA à domicile représente 60% de l'APA, avec un nombre de bénéficiaires assez stable (environ 720.000 personnes) et une allocation moyenne en légère baisse depuis cinq ans (une baisse de 40 euros sur une allocation de 4.500 euros par an). Cette stabilité serait notamment liée aux "gros progrès réalisés dans la gestion des services à domicile" et dans "une meilleure compréhension désormais du mécanisme complexe de l'APA à domicile" par les bénéficiaires et leurs familles.
L'APA en établissement, en revanche, augmente de 5%. Une hausse moins liée au nombre de bénéficiaires qu'au montant moyen de l'allocation (les personnes en Ehpad étant de plus en plus dépendantes). Pour l'Odas, cette hausse de l'APA en établissement pose question dans la mesure où il ne s'agit en réalité pas d'une véritable allocation individuelle puisque "les établissements sont des lieux de mutualisation de l'aide". "Cette allocation semble ainsi servir de variable d'ajustement pour l'équilibre financier des Ehpad. Il y a vraiment une réflexion à avoir là-dessus", considère-t-on à l'Odas. Selon Jean-Louis Sanchez, il faudrait a minima que "davantage d'éléments relèvent d'un financement sécurité sociale", voire que "le forfait soin actuel intègre également la partie dépendance", auquel cas les départements ne financeraient plus que l'aide sociale à l'hébergement.