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Mal-Logement - La fondation Abbé-Pierre appelle à "mobiliser" les collectivités

La fondation Abbé-Pierre a choisi, à deux mois des municipales, de consacrer un chapitre aux politiques locales de l'habitat dans son rapport annuel sur le mal-logement. A quel niveau de maturité votre collectivité est-elle parvenue ? Quelles sont ses marges de progression ? Quels outils au-delà du PLH ? Quels partenaires, publics et privés ? De quoi inspirer programmes et discours des candidats.

"La solution au traitement du mal-logement n'apparaît vraiment que lorsque les EPCI ont une vision élargie de leurs responsabilités en matière d'habitat, et lorsque leur action en direction des populations les plus fragiles constitue l'un des volets d'une politique locale ambitieuse". C'est ce qui ressort d'une enquête menée par la fondation Abbé-Pierre auprès d'une quinzaine d'agglomérations françaises et dont les conclusions constituent un des chapitres du 19e rapport sur l'état du mal-logement en France, présenté vendredi 31 janvier par la fondation.
Ce chapitre s'intitule "Mobiliser les collectivités locales contre le mal-logement" et fait suite à celui sur la politique nationale du logement qui s'achevait ainsi : "L'échelon local conditionne la mise en œuvre de toutes les avancées (de la politique nationale du logement) et ainsi les réponses concrètes apportées aux mal-logés". "L'Etat a des devoirs, mais il n'est pas seul", a également insisté Cécile Duflot, lors de la présentation du rapport, "l'Etat sera au rendez-vous, il faut que l'ensemble des maires et des élus locaux le soient aussi".
C'est dire la pression qui pèse sur les élus locaux.

Des élus très concernés

Ils en ont totalement conscience d'ailleurs. 94% des élus municipaux considèrent que le mal-logement est "un problème important en France" et 55% que c'est "un problème important dans leur propre commune" (73% pour les élus des communes de plus de 20.000 habitants), selon un sondage commandé par la fondation Abbé-Pierre à Ipsos auprès de 200 élus de communes de plus de 3.500 habitants (*).
Les situations de mal-logement les plus problématiques sont la précarité énergétique (68%) et seulement après le manque de logements sociaux (58%), puis viennent la mauvaise qualité du parc privé (46%), les loyers impayés et les retards de remboursement (43%) et, enfin, l'hébergement d'urgence (38%). Seuls 19% des élus estiment que c'est à la municipalité de traiter les questions de mal-logement ; 30% pensent que c'est à l'Etat et 30% à l'intercommunalité. De l'Etat, ils attendent des mesures pour éradiquer l'habitat indigne (76% jugent cette mesure prioritaire), pour maîtriser le coût du logement (53%) et pour développer des réponses d'hébergement pour les plus défavorisés (46%).
Quant à ce qu'ils attendent de l'intercommunalité... la question n'est pas posée. La fondation y répond à sa manière, posant comme préalable que c'est à l'échelle intercommunale que tout se joue. Le premier frein étant "l'émiettement communal et l'opposition franche et passive de certaines communes au développement d'une action coordonnée en faveur du logement".

Le logement, un "bouclier protecteur"

La fondation commence par analyser la politique du logement des agglomérations, étant entendu que le mal-logement doit en être un des volets. "L'abbé Pierre s'était concentré sur la question du logement parce qu'il avait compris sa place centrale dans la lutte contre la pauvreté", a rappelé Jean Rousseau, président d'Emmaüs International.  Aujourd'hui, Christophe Robert, délégué général adjoint de la fondation, parle du logement comme d'un "bouclier protecteur" au sens où "quand on a un travail en miettes, si le logement n'a pas le rôle de sécurité, il est facile de basculer et c'est vite la catastrophe". "La satisfaction des besoins sociaux, et la lutte contre le mal-logement et l'exclusion sont incontournables pour les politiques locales de l'habitat", lit-on encore dans le rapport.
Sur ce point au moins, les intercommunalités disposent d'un outil redoutable : le PLH. "Les programmes locaux de l'habitat élaborés et mis en œuvre au niveau des agglomérations apparaissent aujourd'hui comme les pivots de l'action locale en faveur du logement", insiste la fondation. A noter qu'elle incite à "une meilleure articulation entre les PLH et les PLU" et, dans ce cadre, prend clairement position en faveur du PLU intercommunal.
La fondation distingue alors deux processus par lesquels les territoires se saisissent de la question du logement. Le premier arrive "par le haut", quand l'impulsion vient de l'Etat. La délégation des aides à la pierre, rendue possible en 2004, et le plan de cohésion sociale adopté en 2005 ont ainsi incité des intercommunalités à créer des outils de connaissance (observatoires, études…), de planification (objectifs par commune, identification de programme et de sites…), d'aménagement (développement des ZAC)… amenant à "une prise de conscience plus importante des enjeux liés au logement".

A chaque territoire son mal-logement

Le second processus arrive "par le bas", quand la collectivité a elle-même identifié puis "problématisé" les enjeux spécifiques à son territoire. Ici, l'intercommunalité entend faire face aux difficultés d'accès au logement des jeunes, là des cadres, ailleurs il faut accompagner dignement le vieillissement de la population, ou bien soutenir une politique de développement économique, ou encore améliorer le cadre de vie… (relire à ce propos le rapport 2013 sur le mal-logement toujours d'actualité et notre article ci-contre du 31 janvier 2013 "De quel mal-logement souffre votre territoire ?").
Les plus vertueuses d'aujourd'hui (la communauté urbaine de Strasbourg, de Nantes, de Lyon et Rennes Métropole sont citées), seraient celles qui s'y sont pris plus tôt que les autres, quitte à avoir "débordé largement le registre de leurs compétences".
Une des clés relevées par la fondation: "l'intensité des relations existantes entre les élus et les opérateurs (promoteurs, bailleurs sociaux, associations d'insertion par le logement)".

Trois étapes de maturation : et vous, où en êtes-vous ?

La fondation a identifié trois étapes pour parvenir au top de la politique locale de l'habitat. La première étape correspond à celle où l'agglomération se concentre essentiellement à la relance de la construction locative sociale et à sa "meilleure répartition" entre les communes membres.
Puis vient (ou ne vient pas, d'ailleurs) le moment de la "prise de conscience d'un décalage entre la construction locative sociale et l'état des besoins sociaux". Dès lors, l'agglomération apprendrait à mieux orienter la production, en entrant dans le détail. Ce peut être, par exemple, en diminuant les PLS et en augmentant les PLAI ; en renforçant sa stratégie foncière (constitution de réserves foncières, soutien à un établissement public foncier...) ; en soutenant l'accession sociale ; en expérimentant des dispositifs destinés aux salariés saisonniers…
Enfin, ultime étape de maturation : "l'élargissement du périmètre d'intervention des collectivités et l'intégration progressive de la demande sociale dans leur politique locale de l'habitat". Cette étape correspond à l'ouverture de la politique locale du logement au parc privé, avec la réhabilitation de copropriétés dégradées ("ce sera le problème n°1 des 20 prochaines années", prédit Christophe Robert), le conventionnement de logements privés (Patrick Doutreligne, délégué général de la fondation, rêve d'un plan national de conventionnement visant les 100.000 logements par an), l'intégration de la question du peuplement…
Peu d'agglomérations y seraient parvenues : seules l'incontournable Rennes Métropole, Lille Métropole et Nantes Métropole sont citées.

Politique de l'offre, autorités régulatrices

En matière de logement, comme dans tellement d'autres domaines, deux philosophies politiques fondent l'action des collectivités locales : le marché et l'intervention publique.
Les adeptes de la première stratégie accompagnent le marché par une "politique de l'offre", avec l'idée bien répandue qu'augmenter et diversifier l'offre de logements - notamment les logements sociaux - favorisera la fluidité des parcours résidentiels. Il n'est pour autant pas interdit de cibler des publics spécifiques : étudiants, jeunes adultes, familles, personnes âgées, personnes handicapées… Des conventions peuvent être signées entre EPCI et communes membres, comme dans l'agglomération de Lyon ou de Grenoble citées en exemple. Des conventions peuvent également être signées avec des opérateurs, comme à Nice où la métropole a signé avec des bailleurs sociaux et des promoteurs privés pour encadrer la production de logements sociaux en Vefa.
La deuxième stratégie, dont on sent bien qu'elle a la préférence de la fondation Abbé-Pierre, s'affirme "stratégie d'intervention globale". Elle est choisie par des EPCI qui se définissent "autorités organisatrices et régulatrices de la politique de l'habitat" sur leur territoire. En plus de l'aide à la production, l'intercommunalité se donne ici la mission d' "encadrer" sa politique du logement. Elle va par exemple définir des règles d'urbanisme précises concernant les types de logements à produire (très social, social, intermédiaire, accession sociale, offre privée…), ou encore convenir avec des opérateurs privés les prix de sortie des opérations. Là, encore, Rennes Métropole fait figure d'exemple.

Le mal-logement, une politique orpheline

En matière de mal-logement, il apparaît plus compliqué de se faire une philosophie, et plus encore de l'appliquer, du fait de la multiplicité des acteurs. Difficile en effet de parvenir à une "démarche territorialisée du traitement du mal-logement", que la fondation Abbé-Pierre appelle de ses vœux.
"Le traitement du mal-logement s'opère de manière cloisonnée, en fonction des compétences attribuées aux différentes collectivités publiques", observe la fondation Abbé-Pierre. Et s'il n'y avait qu'un seul exemple à retenir en cette période de campagne aux élections municipales, ce serait "le clivage entre la production de l'offre (prise en charge par les EPCI) et la question du peuplement (le plus souvent au niveau communal)". Si bien que, paradoxalement, malgré la multiplicité des acteurs, "l'action en faveur du logement des personnes défavorisées apparaît souvent comme une politique orpheline au niveau local", déplore la fondation.
Dès lors, la solution résiderait dans "la recherche d'une meilleure articulation entre la problématique de l'hébergement et celle du logement des populations les plus fragiles". Au niveau des outils, la fondation recommande d'intégrer davantage les plans départementaux accueil, hébergement, insertion (PDAHI) dans les plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD), à l'initiative de l'État et des conseils généraux. Puis "créer des convergences" entre PDALPD et PLH.

"Il est urgent d'agir" y compris face au découragement…

Reste que les plus beaux partenariats et les plus belles actions concertées sont confrontés au principe de réalité. Il y a d'abord "l'embolie" des structures d'hébergement d'insertion, "notamment liée à la difficulté de sortie des personnes hébergées vers un logement du fait d'une offre inadaptée ou insuffisante", précise la fondation. A noter qu'elle encourage les ouvertures de pensions de famille, "la solution la meilleure" et même "la solution d'avenir", selon Patrick Doutreligne, en termes financier et parce qu'elle offre 'un cadre chaleureux", "une sécurité et une protection" pour ses résidents.
Il y a aussi "la crise sans précédent" qui affecte le secteur de l'accueil d'urgence. De quoi décourager, observe la fondation, les collectivités les plus ambitieuses et qui avaient choisi d' "intégrer la question de l'hébergement dans leurs politiques locales de l'habitat". "Face à la forte pression qui pèse aujourd'hui sur l'accueil d'urgence, les EPCI les plus concernés par cette situation, adoptent plutôt une position réservée et attentiste", regrette-t-elle.
Pourtant, elles n'ont pas vraiment le choix, "du fait notamment de l'affaiblissement du rôle de l'État et du repli des conseils généraux sur leurs compétences obligatoires", insiste le rapport de la fondation. Une tendance qui, selon elle, ira en s'accentuant avec le type de décentralisation qui est en marche. "Dans un contexte où prévaut toujours l'éclatement des compétences relatives à l'habitat, la création des métropoles peut-elle être une solution ?", interroge, visiblement sceptique, la fondation.
"Certains conseils généraux sont très investis, au-delà même de leurs compétences obligatoires", observe Christophe Robert qui voit pointer le risque de retrait de cet acteur capital "sans que ce retrait ait été coordonné". Pour lui, la politique de lutte contre le mal-logement a besoin de tout le monde : "Etat, régions, villes, agglos, départements, intercommunalités…", énumère-t-il. Et tant pis pour le mille-feuille !

Halte aux arrêtés "anti-mendicité"

Autre sujet d'inquiétude pour la fondation: le recours aux arrêtés "anti-mendicité" dans plusieurs villes dont Marseille, Nice, ou encore Montpellier, alors même que les délits de mendicité et de vagabondage sont abrogés en France depuis 1992. Un phénomène qui "montre bien l'ampleur du chemin qui reste à parcourir, dans de nombreux territoires, pour que les situations les plus dures d'exclusion et de mal-logement soient véritablement prises en compte, et que des réponses dignes soient apportées aux personnes les plus fragiles".
"La pauvreté n'est pas un crime", a rappelé Franz Valli, président d'Emmaüs France, tandis que Patrick Doutreligne observait que "plus la situation économique continue de se dégrader, plus le discours vis-à-vis des pauvres se durçit". Et d'épingler les "discours d'une violence inouïe" de la part d'élus locaux "et même d'un ministre de l'Intérieur".
"Sommes-nous encore capables, en France, 5e puissance économique du monde, de solidarité avec nos 9 millions de pauvres, dont 2 millions d'enfants ?", interrogeait Jean Rousseau. Et les candidats aux municipales sont-ils tous prêts à la porter, cette solidarité, dans leurs discours et dans leurs actes ?

Valérie Liquet

(*) L'enquête Ipsos-fondation Abbé-Pierre a été réalisée par téléphone du 13 au 22 janvier 2014, auprès de 200 élus de commune de 3.500 habitants et plus (maires, premiers adjoints et adjoints à l'urbanisme et/ou au logement).

Les chiffres du mal-logement en 2014

La fondation Abbé-Pierre estime à 3,5 millions le nombre de personnes mal-logées en France en 2014. Parmi elles, 694.000 sont privées de domicile personnel, dont 141.000 sont sans domicile (soit 50% de plus depuis 2001), 85.000 résident dans des habitations de fortune (constructions provisoires, mobil-home), 38.000 vivent à l'année dans des chambres d'hôtel, 411.000 sont hébergées chez des tiers.
Parmi les 3,5 millions de mal-logés, 2,8 millions de personnes vivent dans des logements inconfortables et 800.000 dans des logements surpeuplés (145.000 dans des logements à la fois inconfortables et surpeuplés).
Pour la fondation, plus de 5 millions de personnes sont fragilisées par rapport au logement, dont 730.000 propriétaires occupants vivant en copropriétés dégradées, 1,2 million de personnes en impayés locatifs, 3,2 millions vivant dans des logements surpeuplés "au sens large" (logements dans lesquels il manque une pièce par rapport à la norme de peuplement "normal" au sens de l'Insee), 240.500 enfants de 18 ans résignés à être retournés vivre chez leurs parents ou grands-parents faute de ressources suffisantes.
Au total, 10 millions de personnes sont aujourd'hui touchées de près ou de loin par la crise du logement, si on prend aussi en compte les 3,8 millions de ménages en situation de précarité énergétique (soit environ 8 millions de personnes), les 1,7 million de ménages en attente de logement social, les familles vivant dans le 1,1 million de logements en copropriétés potentiellement fragiles, les 70.000 ménages propriétaires et accédants en situation d'impayés pour le paiement de leurs charges ou le remboursement de leur emprunt immobilier, les 91.000 ménages sous le coup d'une décision de justice ayant prononcé l'expulsion...
V.L.
Sources : Estimations et données recueillies par la fondation Abbé-Pierre, dans L'état du mal-logement en France 2014, 19e rapport annuel.


C'était il y a 60 ans, sur Radio Luxembourg

On nous avait promis un "temps fort et visuellement émouvant" à l'ouverture de la journée de la présentation, par la fondation Abbé-Pierre, du 19e rapport sur l'état du mal-logement en France, vendredi 31 janvier. Ce le fut.
Imaginez une photo de l'abbé Pierre projetée sur écrans géants, et sa voix qui retentit, quelques secondes : " Mes amis, au secours... Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3H00, sur le trottoir du boulevard Sébastopol serrant sur elle le papier par lequel, …" Et puis Lambert Wilson prend le relais, sur la scène du Palais des congrès de Paris, sobrement vêtu de noir, "… avant-hier, on l'avait expulsée... Chaque nuit, ils sont plus de 2.000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d'un presque nu. Devant l'horreur, les cités d'urgence, ce n'est même plus assez urgent !
Écoutez-moi: en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer: l'un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève; l'autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir-même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s'accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l'on lise sous ce titre 'centre fraternel de dépannage', ces simples mots: ‘Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t'aime'.
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l'hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes: la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse: l'âme commune de la France. Merci! Chacun de nous peut venir en aide aux 'sans abri'. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain: 5.000 couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques.
Déposez-les vite à l'hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie ! Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23H00, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.
Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l'asphalte ou sur les quais de Paris
."
L'acteur, qui avait incarné le rôle principal du long métrage "Hiver 54, l'abbé Pierre", en 1989, lira donc intégralement l'appel. Il était évident, pour les quelque 2.000 bénévoles et militants du mal-logement qui constituaient l'assemblée, que ce texte diffusé sur les ondes de Radio Luxembourg le 1er février 1954, il y a 60 ans, était d'une actualité insupportable.
V.L.
 

 

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