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Lutte contre l'exclusion - Plan Pauvreté : 2,5 milliards d'euros et des points à préciser

Comme il s'y était engagé lors de la conférence nationale des 10 et 11 décembre, Jean-Marc Ayrault a présenté, le 21 janvier, son "plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale". Un ensemble de mesures qui visent tous les aspects de la pauvreté et dont émergent notamment des mesures sur le RSA, la CMU-C, l'insertion des jeunes et... le travail social. Avec à la clé une enveloppe de 2,5 milliards d'euros sur cinq ans.

Le 11 décembre dernier, le Premier ministre concluait la conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale en annonçant une série de mesures (voir notre article ci-contre du 11 décembre 2012). Un mois après, concluant le comité interministériel de lutte contre l'exclusion (Cile), convoqué le 21 janvier, Jean-Marc Ayrault a repris ces mesures en les détaillant et en les intégrant dans un "plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale". Ces dispositions s'inspirent, pour l'essentiel, des conclusions des différents groupes de travail chargés de préparer la conférence (voir nos articles ci-contre du 7 décembre 2012). L'ensemble des acteurs qui s'étaient engagés dans ces travaux auront ainsi le sentiment d'avoir été entendus, à défaut d'avoir vu aboutir l'ensemble de leurs suggestions.

Cinq principes et trois grands axes

Le plan présenté par Jean-Marc Ayrault entend proposer une approche globale de la lutte contre la pauvreté. Reflétant les thématiques des sept groupes de travail, il couvre ainsi l'accès aux droits, l'emploi, le logement, la santé, la famille et l'enfance, la réussite éducative, l'inclusion bancaire et la lutte contre le surendettement.
Mais le gouvernement évite d'en faire une sorte de fourre-tout, s'efforçant de donner satisfaction à chacun, au prix de mesures disparates. Le plan obéit ainsi à cinq grands principes et à trois axes. Les premiers regroupent le principe d'objectivité, le principe de non stigmatisation - un écho lointain aux polémiques sur le RSA dans le précédent gouvernement -, le principe de participation des personnes en situation de pauvreté à l'élaboration et au suivi des politiques (une orientation mise en œuvre pour la première fois avec la mise en place du RSA en 2009), celui du "juste droit" (nouvel intitulé de la question récurrente du non recours aux droits) et celui du décloisonnement de politiques sociales.
S'y ajoutent trois "axes de réforme" qui permettent d'ordonner les différentes mesures du plan. Les deux premières sont déjà bien connues et transparaissaient clairement des travaux des groupes de travail et de la conférence nationale, mais aussi des premières annonces de Jean-Marc Ayrault. Il s'agit en l'occurrence de "réduire les inégalités et prévenir les ruptures" et de "venir en aide et accompagner vers l'insertion". Le troisième axe est plus inédit, puisqu'il s'agit de "coordonner l'action sociale et valoriser ses acteurs". Le Premier ministre avait certes évoqué ce thème dans sa conclusion de la conférence des 10 et 11 décembre dernier, mais celui-ci ne paraissait pas nécessairement voué à constituer l'un des trois piliers du plan. Si le secteur social devrait se montre satisfait de n'avoir pas été laissé à l'écart, les communes et - plus encore - les départements pourraient bien s'interroger sur les conséquences pratiques d'une "valorisation" des acteurs sociaux de terrain, dans la mesure où ils en sont les premiers financeurs...

Plus 10% pour le RSA socle et réforme prudente sur le RSA activité

Impossible, bien sûr, de détailler l'ensemble des mesures prévues dans les 50 pages du plan. On peut néanmoins retenir un certain nombre de mesures emblématiques. Ainsi, en matière d'emploi et de ressources, la principale mesure - déjà annoncée - concerne la revalorisation de 10% du RSA socle (ex-RMI) sur cinq ans (au-delà de l'inflation). Le RSA socle devrait également prendre en compte, selon des modalités à préciser, la situation des femmes victimes de violences. En termes de gestion de l'insertion - qui intéresse directement les départements - le plan envisage de "rompre avec la logique binaire prévoyant une orientation, soit vers un accompagnement social, soit vers un accompagnement professionnel". Celle-ci s'est en effet révélée peu réaliste et certains départements l'ont déjà remise en cause.
Le gouvernement entend aussi engager une réforme du RSA activité, qui n'est perçu aujourd'hui que par un tiers de ses bénéficiaires potentiels. Mais il avance avec prudence, compte tenu du coût que représenterait sa généralisation effective. Le groupe de travail qui sera mis en place sur le sujet rendra ses conclusions "pour le projet de loi de finances pour 2014". Une éventuelle réforme - qui devrait s'articuler avec une réforme de la prime pour l'emploi (PPE) et de l'aide personnalisée au retour à l'emploi (APRE) - ne devrait donc pas intervenir avant 2015. Toujours en matière d'accès à l'emploi, le plan prévoit aussi un assouplissement des contrats aidés, avec en particulier un allongement à douze mois de la durée des nouveaux contrats.

Un effort sur l'accès aux soins et le logement

Du côté santé, la principale mesure consiste en un nouveau relèvement - programmé pour septembre 2013 - des plafonds d'accès à la CMU complémentaire (CMU-C) et à l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS) pour ceux qui se situent jusqu'à 35% au-dessus du plafond de la CMU-C. Ces deux plafonds seront augmentés de 7%, ce qui permettra de couvrir 750.000 personnes supplémentaires. Dans le cas de l'ACS, il n'est toutefois pas sûr ce nouveau relèvement du plafond - qui doit être le quatrième depuis la création de la prestation - suffira à faire décoller une prestation qui peine depuis l'origine à trouver son public. A noter également : le gouvernement prévoit d'organiser une conférence de consensus sur le consentement aux soins et le libre-arbitre des personnes à la rue et de "dynamiser" les structures de soins de proximité (notamment les permanences d'accès aux soins de santé). Enfin, la lutte contre les inégalités de santé devrait être l'une des priorités de la future loi de santé publique.
En matière de logement, l'essentiel du programme était déjà connu avant même la conférence nationale. Il consiste avant tout en un "investissement massif" en faveur du logement, avec notamment la création de 9.000 places en structures d'hébergement et en centres d'accueil des demandeurs d'asiles (Cada). Cette réponse d'urgence sera complétée par des mesures plus durables comme le développement de la prévention des expulsions, la mise en œuvre d'une garantie universelle des risques locatifs ou la régulation des "excès" dans le parc privé (allusion à l'encadrement des loyers à la relocation). Le plan prévoit aussi de favoriser l'accès au logement ordinaire, en révisant les modalités d'attribution des logements sociaux (mesure déjà engagée le 16 janvier, dans le cadre de la préparation de la loi logement), en améliorant l'effectivité du droit au logement opposable (mais selon des modalités qui ne sont pas détaillées), ou encore en développant les passerelles vers le logement (accompagnement, résidences sociales, intermédiation locative...).

Crèches : un quota de places pour les enfants pauvres

En matière d'enfance et de famille, deux mesures retiennent particulièrement l'attention. Elles visent plus particulièrement les familles monoparentales, très touchées par la pauvreté et les difficultés éducatives. La première consiste à augmenter - par redéploiement - le montant de l'allocation de soutien familial (ASF) et du complément familial (CF). Le plan ne fournit toutefois aucune indication sur l'ampleur et la date de cette revalorisation, qui devrait intervenir dans le cadre de la réflexion d'ensemble confiée à Bertrand Fragonard sur la refonte du dispositif d'allocations familiales. La seconde mesure emblématique porte sur l'accueil de la petite enfance comprend deux volets : accroître la scolarisation des enfants de moins de trois ans en ciblant en priorité les familles en difficulté et réserver un minimum de 10% des places en structures collectives à des enfants vivant sous le seuil de pauvreté. Pour y parvenir, le plan prévoit - dans une phrase assez sibylline - de favoriser "la généralisation de commissions d'attribution des places en crèches ayant recours à des critères sociaux transparents". D'autres mesures sont également prévues comme le développement des structures en horaires décalés ou installées en ZEP et dans les territoires défavorisés, ou encore un ensemble de mesures pour "construire une école accueillante" aux parents et aux enfants.
Sur l'inclusion bancaire et la lutte contre le surendettement, le plan se prononce en faveur de la mise sur pied du fameux "fichier positif", autrement dit du registre national des crédits aux particuliers, qui retracera le niveau d'endettement de chaque ménage. Une mesure envisagée depuis plusieurs années et dont l'intérêt est évident en termes de lutte contre le surendettement, mais qui ne fait pas l'unanimité en raison du caractère très "intrusif" de ce fichier. Cette mesure s'accompagnera notamment de la mise en place de mécanismes de détection précoce des difficultés bancaires et de lutte contre l'accumulation des frais bancaires, ainsi que de la mise en place d'un réseau de "points conseils budget".

"Garantie jeunes" : le voile n'est pas levé

Vis-à-vis des jeunes de 18 à 25 ans, il est difficile de dire que le plan éclaircit vraiment le contenu de la "garantie jeunes", annoncée par Jean-Marc Ayrault le 11 décembre dernier. On savait en effet déjà que cette prestation - visant les jeunes qui ne sont ni à l'école, ni en formation, ni en emploi - comprendrait une garantie de ressources différentielles d'un montant équivalent au RSA, avec un mécanisme d'intéressement. En revanche, les conditions d'accès et l'articulation avec "un parcours contractualisé d'accès à l'emploi ou à la formation, reposant sur une évolution de l'actuel Civis (contrat d'insertion dans la vie sociale)" restent encore très floues. Il faudra sans doute attendre les conclusions du groupe de travail ad hoc et les résultats de l'expérimentation, prévue à partir de septembre 2013 sur dix territoires, pour y voir plus clair.
Le plan déçoit également sur la question - pourtant très prégnante ces derniers mois - de l'accès aux droits. Il évoque certes "un vaste programme d'accès aux droits", mais son contenu pratique reste pour l'instant très incertain. Ils repose essentiellement sur la création d'indicateurs, sur la relance et la simplification des mesures de domiciliation, ainsi que sur la mobilisation des préfets, appelés - comme en matière de lutte contre la fraude - à "développer des liens entre les différents services accueillant des personnes en situation de précarité".

Le travail social en vedette

Sur la coordination de l'action sociale et la valorisation des acteurs, le premier volet est assez classique, avec une mobilisation des fonds européens et un renforcement de l'interministérialité des politiques de solidarité - matérialisée par la désignation de François Chérèque pour assurer le suivi du plan et par l'annonce de la réunion d'un Cile chaque année pendant la durée du plan. La "meilleure articulation des différents niveaux de compétences" tient pour l'instant de l'orientation davantage que de la mesure concrète. Les objectifs affichés sont notamment de "clarifier l'articulation des responsabilités du département, chef de file en matière d'action sociale territoriale, et les interventions de l'Etat, des régions, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dans une logique d'identification de chefs de file sectoriels" et de "créer à partir de 2014 les conditions de mise en place de ressources pérennes permettant aux départements de faire face, dans un cadre maîtrisé, au financement des allocations individuelles de solidarité (RSA, APA, PCH)". Reste à savoir comment.
Dans le même esprit, la "refondation du travail social" prônée par le plan attendra - pour plus de précisions - la tenue d'"Assises de l'intervention sociale", prévues pour 2014, après l'organisation d'ateliers interrégionaux tout au long de cette année. Le plan indique toutefois déjà que cette refondation passera par une amélioration de la coordination des acteurs sociaux sur le territoire, une campagne de promotion des métiers sociaux, une modernisation de la qualité des formations, notamment sur les questions budgétaires et bancaires.
Il reste, bien sûr, la question clé : celle du financement. Le Premier ministre a annoncé une enveloppe dédiée de 2,5 milliards d'euros sur cinq ans, obtenue par redéploiement de crédits. Si l'effort est significatif en cette période de rigueur budgétaire, l'enveloppe pourrait se trouver rapidement consommée. L'équation pourrait alors se révéler compliquée, sachant que la revalorisation du RSA socle devrait déjà représenter à elle seule un milliard d'euros et qu'un véritable décollage du RSA activité engendrerait un coût du même ordre. En décalant plusieurs mesures à 2014, voire 2015 (notamment pour la réforme du RSA activité), le gouvernement table sur l'hypothèse d'une reprise de l'économie, qui dégagerait un peu de marges de manœuvre.

 

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