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Social - Pauvreté : le gouvernement s'engage

Revalorisation du RSA socle de 2% par an, réforme du RSA activité, nouvelles places d'hébergement, "garantie jeune" équivalente au RSA, revalorisation du plafond de la CMU-C, amélioration de certaines prestations familiales... Telles sont les principales mesures du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté dont les grandes lignes ont été présentées ce 11 décembre par Jean-Marc Ayrault qui sera adopté le 22 janvier lors d'un comité interministériel de lutte contre l'exclusion avant de faire l'objet d'une feuille de toute pour chacun des ministres concernés.

Conférence sociale, conférence environnementale... le gouvernement tient à sa méthode. Le Premier ministre l'a rappelé ce 11 décembre en clôturant la conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale organisée durant deux demi-journées au même endroit, d'ailleurs, que les deux conférences précédentes, le palais d'Iéna. La plus-value des tables-rondes qui avaient précédé l'allocution de Jean-Marc Ayrault ce mardi n'était guère évidente, mis à part peut-être le fait d'avoir invité deux personnes ayant connu l'exclusion à s'exprimer. Ce sont plutôt les travaux préparatoire à la conférence, organisés en sept ateliers ayant donné lieu à autant de volumineux rapports thématiques (voir ci-contre nos deux articles de synthèse du 7 décembre), qui ont été porteurs de contenus... et qui ont relayé de vraies attentes, auxquelles le chef du gouvernement a apporté quelques réponses, même si certaines associations les ont d'emblée jugées insuffisantes.
Comme prévu, l'exercice consistait pour Jean-Marc Ayrault à dévoiler les mesures qui feront partie du "plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale". Un plan qui sera adopté le 22 janvier par le comité interministériel de lutte contre l'exclusion, lequel sera donc "réactivé" (il n'avait plus été réuni depuis 2006), pour qu'ensuite, chaque ministre se voie remettre "sa propre feuille de toute".
Il en avait beaucoup été question la veille : le non-recours. Une notion jusqu'ici mal connue que la conférence aura au moins eu le mérite de mettre au premier plan, y compris médiatique. Le Premier ministre en a lui aussi largement parlé, évoquant tous ceux qui "ne font pas valoir leurs droits faute d'information, face à la complexité administrative ou par crainte de renvoyer une mauvaise image d'eux-mêmes". D'où le lancement en 2013 de "campagnes de promotion des droits sociaux", un "sérieux effort" en matière de domiciliation et un objectif de simplification des démarches, prestation par prestation, "en liaison avec les acteurs de terrain". D'où, surtout, une réforme "dès le premier trimestre 2013" de la principale prestation sujette à non-recours, à savoir le RSA activité. "Force est de constater que le RSA activité n'a pas atteint ses objectifs. Il est impératif de le réformer, avec la prime pour l'emploi, puisqu'ils ont le même objectif", a déclaré Jean-Marc Ayrault, sans plus de précisions pour le moment.

Augmentation de 10% du RSA socle

S'agissant du RSA socle, le gouvernement ne pouvait guère échapper à un geste financier. Celui-ci sera de 10% d'ici 2017, en plus de l'indexation annuelle sur l'inflation. Soit 2% par an, avec une première revalorisation en septembre prochain. L'objectif étant, à terme (en dix ans…) de rattraper le décrochage qui s'est opéré entre le montant du RSA et celui du Smic, a expliqué Jean-Marc Ayrault (le RSA représente aujourd'hui 43% du Smic, alors que le RMI représentait à sa création en 1989 la moitié de ce salaire minimum). Celui-ci a accompagné cette annonce d'une précision somme toute logique mais importante : "Cette décision aura des conséquences sur les finances des départements, qui feront évidemment l'objet, je m'y engage, d'une compensation intégrale."
Si le chef du gouvernement n'a pas directement évoqué le RSA jeunes qui n'a jamais trouvé sa cible, il a en revanche annoncé le lancement d'un nouveau dispositif destiné à ces jeunes "qui ne sont nulle part", inoccupés et souvent décrocheurs : une "garantie jeune", qui s'appuiera "techniquement" sur le Civis (le Civis "ne marche pas, il faut complètement le reprendre", a ensuite expliqué Jean-Marc Ayrault à la presse) et prendra la forme d'un contrat d'un an renouvelable portant sur un projet précis d'insertion avec des engagements mutuels de l'institution (qui sera représentée par "un travailleur social identifié") et le jeune. Ce jeune (18-25 ans) bénéficiera d'une garantie de ressources d'un montant équivalent au RSA. Le dispositif sera dans un premier temps lancé dans "dix territoires pilotes" en septembre, avant généralisation. Cible potentielle : 100.000 jeunes par an.
En termes de prestations, toujours, on saura que "l'allocation de soutien familial et le complément familial seront adaptés" afin de mieux aider, notamment, les familles monoparentales. Cela fera partie d'une "réflexion" plus large sur la politique familiale qui sera confiée début 2013 à Bertrand Fragonard. Plus globalement, le gouvernement prône un "décloisonnement" des dispositifs d'aide aux familles, et notamment une "coexistence" de la prise en charge des mères seules avec enfants et des autres familles. Il donnera ainsi suite à l'une des propositions du rapport de l'atelier "Familles vulnérables, enfance et réussite éducative", à savoir le fait de "transformer les centres maternels en centres parentaux accueillant les deux parents dans tous les départements, sans bien sûr exclure que ces centres accueillent également des mères isolées".

4.000 places supplémentaires en hébergement d'urgence

Autre volet forcément très attendu : Jean-Marc Ayrault a annoncé la création de 4.000 places d'hébergement d'urgence et de 4.000 places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada), soit 8.000 au total, à comparer aux 10.000 dont 5.000 en Cada, suggérées dès l'année 2013, par le rapport Régnier-Robert (voir notre article ci-contre du 7 décembre).
Concernant l'accompagnement vers des solutions pérennes des sans-abri et des mal-logés, le Premier ministre prévoit un effort "à même hauteur que les fonds destinés à créer de nouvelles places d'hébergement et d'asile". "Les familles aujourd'hui à l'hôtel pourront ainsi être accueillies dans des conditions dignes", a-t-il déclaré. Il a pour cela cité plusieurs pistes visant à favoriser le logement durable et le retour au droit commun : la prévention des expulsions, l'intermédiation locative, le logement adapté, l'accompagnement "vers et dans" le logement. Pistes toutes développées dans le rapport Régnier-Robert. Le rapport chiffre ainsi à 10.000 le nombre de logements à mobiliser dans le parc privé par l'intermédiation locative (dispositifs "Solibail" ou "Louer solidaire").
Ces deux mesures coûteraient 100 millions d'euros, a précisé à l'AFP une source gouvernementale. La "réforme des modalités d'attribution des logements sociaux" évoquée par le Premier ministre ne coûtera quant à elle rien du tout (mais devrait rapporter en termes politiques tant les citoyens sont sensibles au sujet). Autre rappel d'un chantier déjà engagé : la "mise en oeuvre d'une garantie universelle des risques locatifs", avec l'objectif de "lutter contre les discriminations à l'entrée dans le logement, notamment pour les travailleurs modestes et les jeunes". "Les modalités sont en cours d'expertise", a précisé le Premier ministre. Elles devraient effectivement se traduire dans le projet de loi Logement et Urbanisme de Cécile Duflot annoncé pour le 1er semestre 2013.
Voilà pour ce qui a été dit. On aurait pu s'attendre à d'autres annonces politiquement fortes, soufflées par le rapport Régnier-Robert. Par exemple, pour l'année 2013 et en attendant la mise en application des mesures d'urgences, Jean-Marc Ayrault aurait pu décréter un moratoire des expulsions locatives ou encore interdire toute mise à la rue à la fin du plan hivernal. Il aurait pu saisir l'occasion de la conférence contre la pauvreté pour annoncer que le logement social est un produit de première nécessité et qu'à ce titre il pouvait bénéficier d'une TVA à 5,5%. Il aurait pu, aussi, montrer sa détermination à poursuivre sa démarche sur les réquisitions de bâtiments publics ou appartenant à des investisseurs institutionnels.

Mille-feuille des politiques sociales

La dimension "santé" de la lutte contre l'exclusion a été abordée plus brièvement, avec une annonce : le relèvement du plafond de ressources permettant l'accès à la CMU complémentaire (CMU-C) afin de "couvrir 500.000 personnes de plus". Mais le soutien à un certain nombre de structures a également été évoqué : déploiement d'établissements tels que les centres de santé et des dispositifs spécifiques que sont les permanences d'accès aux soins de santé, les lits halte soins santé ou les lits d'accueil médicalisés.
Mais le Premier ministre a surtout pris soin de souligner que son plan pluriannuel n'était pas encore finalisé et ne se résumerait pas aux diverses mesures évoquées lors de cette conférence. On devrait notamment y trouver aussi des dispositions concernant l'évolution du travail social et, de façon générale, une incitation à un "renouveau de l'intervention sociale". "Renouveler l'intervention sociale, c'est identifier sur le terrain des référents disponibles, c'est privilégier une approche globale et pluridisciplinaire des publics, c'est aller chercher ceux qui ne demandent rien, c'est enfin penser en termes de prévention des ruptures et de droit au parcours, jusqu'à l'insertion réussie", a expliqué Jean-Marc Ayrault. Lequel avait quelques instants auparavant développé une "ligne directrice" jugée essentielle : "Mettre de l'ordre dans le mille-feuille des politiques sociales et dans les relations entre pouvoirs publics et associations." "Sur le terrain, en partenariat étroit avec les conseils généraux, chefs d'orchestre de l'action sociale, nous travaillerons sur l'identification de chefs de file sectoriels, sur le développement des conventions pluriannuelles d'objectifs avec les associations, ainsi que sur la généralisation de la pratique des conférences de financeurs." Ou comment, résume le chef du gouvernement, s'appuyer "sur un Etat stratège, sur des collectivités ayant les moyens de leurs missions, sur des associations assurées dans leurs projets, et sur des citoyens confortés dans leurs engagements solidaires".