Lutte contre l'exclusion - Pauvreté : le gouvernement au rapport
Pour la quatrième année consécutive (voir nos articles ci-contre du 20 octobre 2011, 14 octobre 2010 et 15 octobre 2009), le ministère des Affaires sociales et de la Santé a remis au Parlement son rapport sur le suivi de l'objectif de baisse d'un tiers de la pauvreté en cinq ans. Le principe de ce document est prévu par l'article 1er de la loi du 1er décembre 2008 généralisant le RSA et réformant les politiques d'insertion. Celui-ci prévoit que "le gouvernement définit, par période de cinq ans, [...] un objectif quantifié de réduction de la pauvreté, mesurée dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il transmet au Parlement, chaque année, un rapport sur les conditions de réalisation de cet objectif, ainsi que sur les mesures et les moyens financiers mis en œuvre pour y satisfaire". Si la crise a envoyé à une date inconnue l'objectif de réduction d'un tiers de la pauvreté, la parution de ce rapport à la veille de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale des 10 et 11 décembre ne doit évidemment rien au hasard (voir ci-contre notre article du 7 décembre).
Le rapport, qui porte essentiellement sur les données 2010 - ce qui semble un peu décalé au regard de l'évolution de la crise économique - constate que "pour la première fois depuis 2004, le niveau de vie médian a diminué" et que la pauvreté monétaire relative a continué d'augmenter en 2010, pour atteindre son niveau de 1997. Au-delà de l'accumulation des chiffres propres à ce type de document, le rapport propose également deux focus intéressants. Le premier est consacré au rôle du système de protection sociale dans la réduction de la pauvreté. Il montre l'efficacité d'ensemble des dispositifs sociaux et fiscaux, d'autant plus grande que l'aide est concentrée. Au final, l'action redistributive des transferts sociaux et fiscaux diminue le taux de pauvreté monétaire de 8 points en 2010, l'efficacité la plus grande en la matière revenant aux prestations plutôt qu'aux prélèvements. Un second focus est consacré à l'évolution de l'opinion sur la pauvreté et les politiques sociales durant les crises économiques. Il montre que l'opinion publique est plus compatissante à l'égard des plus démunis en période de crise, mais que l'attente vis-à-vis des politiques en faveur de ces derniers est moins forte aujourd'hui qu'en 1993.
Trois défis majeurs
Destiné au Parlement, le rapport sur la pauvreté en France est aussi l'occasion de faire passer un message politique. Celui de la présente édition laisse deviner les points qui pourraient être privilégiés dans le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté que doit annoncer le Premier ministre. Le rapport indique ainsi que "plusieurs indicateurs de pauvreté et de précarité convergent et soulignent trois défis que le gouvernement entend relever".
Le premier est "la massification d'une précarité qui touche des ménages auparavant protégés". Le second est "la reconnaissance du non-recours aux droits comme un frein terrible à l'efficacité des politiques de solidarité". Le rapport y consacre d'ailleurs un long développement, riche en informations. L'exemple du RSA activité, qui n'est pas demandé par deux ménages modestes sur trois qui y auraient portant droit, est également mis en avant. Enfin, le troisième "défi" concerne la situation d'un nombre croissant d'enfants et de jeunes adultes qui "ne connaissent que la pauvreté comme condition et avenir".
Autant de préoccupations qui ont naturellement été présentes dans les deux discours ministériels d'ouverture de la conférence ce 10 décembre. Sur le constat, la ministre des Affaires sociales Marisol Touraine, a égrené plusieurs des nombreux chiffres contenus dans le rapport : le taux de pauvreté a atteint 14,1% en 2010, "plus de 8,5 millions de Français vivent avec moins de 964 euros par mois", "un Français sur cinq déclare avoir renoncé aux soins" pour raisons financières, "3,5 millions de personnes sont mal logées", "800.000 personnes ont recours à l'aide alimentaire"... Soulignant que "l'emploi est à l'évidence un enjeu majeur, puisqu'un tiers des chômeurs vit sous le seuil de pauvreté", Marisol Touraine a prôné un "véritable changement de méthode".
Marie-Arlette Carlotti, la ministre déléguée en charge de la lutte contre l'exclusion, a pour sa part confirmé vouloir faire de "la lutte contre le non-recours une priorité" : "Pourquoi des personnes ne demandent pas les prestations auxquelles elles ont droit ? La complexité des dispositifs, l'ignorance-même de ces dispositifs, la lassitude, la stigmatisation des bénéficiaires, tout cela participe à ce que des personnes qui ont besoin d'aide, passent en réalité au travers. Ce phénomène, c'est le non-recours, c'est 1 milliard et demi d'euros qui n'est pas redistribué comme il devrait. 1 milliard et demi d'euros qui pourrait changer durablement les conditions de vie de nos concitoyens les plus démunis."
S'agissant de la "méthode", elle a prévenu – afin, a-t-elle dit, de ne pas "susciter l'espoir pour ensuite décevoir" - que cette conférence "n'est pas un aboutissement" mais "une étape" pour définir le plan pluriannuel. "Nous donnerons à l'ensemble des acteurs de l'action sociale et aux usagers, les moyens de vérifier, en toute indépendance, la mise en œuvre" de ce plan, a par ailleurs assuré la ministre déléguées, précisant que "chaque ministre recevra de la part du Premier ministre, à l'issue de la conférence, une feuille de route qui formalisera les engagements du gouvernement."