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Lutte contre l'exclusion - Taux de pauvreté : qui croire ?

Le dernier rapport au Parlement sur le suivi de l'objectif de baisse d'un tiers de la pauvreté en cinq ans apporte son nouveau lot de polémiques. En cause : l'indicateur principal retenu par le gouvernement qui mesure la pauvreté ancrée dans le temps alors que la plupart des associations, tout comme l'Insee, raisonnent à partir du taux de pauvreté "relatif", c'est-à-dire le pourcentage des individus vivant, à un instant T, sous le seuil de pauvreté à 60%.

Pour la troisième année consécutive (voir nos articles ci-contre du 14 octobre 2010 et du 15 octobre 2009), le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale a remis au Parlement son rapport sur le suivi de l'objectif de baisse d'un tiers de la pauvreté en cinq ans. L'engagement chiffré sur la réduction de la pauvreté a été pris par le chef de l'Etat au début de son quinquennat, tandis que l'obligation de publier un rapport annuel sur le suivi de cet objectif est inscrite dans la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active (RSA) et réformant les politiques d'insertion. Et comme chaque année, la sortie de ce document - dont cette édition porte sur l'année 2009 - donne lieu à une polémique...

2009, une année pas comme les autres

Pour le gouvernement, "les évolutions des indicateurs du tableau de bord montrent en 2009 une quasi-stabilité du taux de pauvreté ancré dans le temps à 11,8%, alors que la tendance était à la baisse depuis 2007, et une augmentation du taux de pauvreté relatif au seuil de 60% du revenu médian (954 euros en 2009), qui s'établit à 13,5% de la population française métropolitaine". Cette quasi-stabilité du taux de pauvreté ancré dans le temps peut être considérée comme une performance puisqu'elle concerne une année durant laquelle la France a traversé la pire crise économique mondiale depuis celle des années 1930. En 2009, le produit intérieur brut (PIB) a en effet reculé de 2,6% - un chiffre jamais atteint depuis la seconde guerre mondiale -, 225.000 emplois ont été détruits et le taux de chômage a augmenté de 1,8 point. Dans un contexte aussi défavorable, le résultat observé montre l'efficacité des "stabilisateurs automatiques" que représentent les différents dispositifs de protection et d'action sociale.
Le rapport rappelle d'ailleurs l'impact de plusieurs de ces dispositifs ou mesures mis en oeuvre depuis la crise. Selon le gouvernement, le RSA a ainsi permis de sortir 140.000 personnes de la pauvreté. Un chiffre qui semble au demeurant élevé, puisque le dernier rapport du comité d'évaluation du RSA - autre instance officielle créée par la loi de 2008 - évoquait plutôt, dans sa livraison de janvier dernier, le chiffre de 70.000 personnes sorties de la pauvreté grâce au RSA (voir notre article ci-contre du 11 janvier 2011). De même, les deux principaux minima sociaux après le RSA ont bénéficié d'une revalorisation significative. L'allocation aux adultes handicapés (AAH, près de 900.000 bénéficiaires) et le minimum vieillesse (près de 600.000 allocataires) - qui regroupe l'allocation supplémentaire vieillesse (ASV) et l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) - auront bénéficié d'une revalorisation de 25% sur la période 2007-2012.

Taux de pauvreté relatif ou semi relatif ?

D'où vient alors la polémique ? Elle tient à l'indicateur principal retenu par le gouvernement pour suivre l'avancée de son objectif : la pauvreté ancrée dans le temps. Pour Bruno Tardieu, délégué national d'ATD-Quart monde, "le taux baisse quasi automatiquement" avec ce type de calcul, tandis que Matthieu Angotti, directeur de la Fnars (Fédération nationale des associations de réinsertion sociale), considère qu'"à ce compte-là, dans quinze ans, il n'y a plus de pauvres en France". De son côté, Emmaüs estime qu'"au-delà de ce jeu comptable malsain, le nombre de pauvres continue incontestablement d'augmenter encore et toujours".
Cette approche dite "semi relative" avait notamment été mise en avant - et intégrée au rapport - par Martin Hirsch lorsqu'il était haut commissaire aux Solidarités actives, au même titre qu'une autre notion également présente dans le rapport : le "taux de difficultés en conditions de vie" (qui connaît d'ailleurs une dégradation, passant de 12,9% en 2008 à 13,3% en 2010). Ceci explique que Martin Hirsch est, lui aussi, intervenu dans le débat, en évoquant "une mauvaise querelle" et en défendant un chiffre "très utile" et qui "n'est pas manipulé". L'ancien haut commissaire pointe également le danger que "plus personne n'ose s'engager sur des objectifs" après les élections de 2012.
Selon la définition donnée par le rapport, le taux de pauvreté ancré dans le temps "consiste à mesurer la part de la population dont le niveau de vie est, une année donnée, inférieur au seuil de pauvreté à 60%, calculé en 2006 et revalorisé de l'inflation les années suivantes jusqu'en 2012, fin de la période examinée".

L'indicateur parfait n'existe pas

Le problème est que la plupart des associations - mais aussi l'Insee - préfèrent raisonner sur le taux de pauvreté "relatif", autrement dit le pourcentage des individus vivant, à un instant T, sous le seuil de pauvreté à 60%. Or, ce taux est passé de 13% en 2008 à 13,5% en 2009. Il existe donc un écart de 1,7 point entre le taux de pauvreté (13,5%) et le taux de pauvreté ancré dans le temps (11,8%). Mais le taux de pauvreté relatif n'est pas non plus exempt d'un certain nombre de difficultés statistiques. En effet, lorsque le niveau de vie médian augmente - ce qui a été le cas en 2009 malgré le contexte de crise, avec une hausse de 0,4% -, le seuil de pauvreté, qui représente 60% de ce revenu médian, progresse lui aussi de façon mécanique. De ce fait, le taux de pauvreté peut augmenter, surtout si la répartition de cette hausse du revenu médian se fait en priorité au profit des personnes dont les revenus se situent au-dessus de cette médiane.
En dépit de la vivacité des arguments échangés, il faut pourtant relativiser cette polémique. D'une part, même si l'on peut contester le choix du taux de pauvreté monétaire ancré dans le temps comme principal support de la communication gouvernementale, son évolution reste significative. Certes, celle-ci revêt un aspect en partie mécanique : le taux baisse parce que le niveau de vie général de la population s'améliore, indépendamment de toute politique spécifique de lutte contre la pauvreté. Mais ce modèle - qui est aussi celui des pays en développement qui connaissent un net recul de la pauvreté - est-il condamnable pour autant ? D'autre part, même si l'on choisit de s'en tenir au seul taux de pauvreté relatif à 60% du revenu médian, la hausse de 0,5 point observée en 2009 revêt-elle un caractère anormal au regard du choc très brutal subi lors de cette année ? Un rapide survol des pays comparables à la France montre que la situation de la pauvreté s'y est, le plus souvent, dégradée de façon nettement plus prononcée que dans l'Hexagone.
Enfin, il est difficile de ne pas remarquer que cette polémique occulte complètement la question de fond qui est à l'origine même du rapport de suivi annuel : l'objectif d'une diminution d'un tiers du taux de pauvreté ancré dans le temps sera-t-il tenu ? Sur ce point au moins, les chiffres ne laissent guère planer le doute : après la baisse de 11% en 2007 et 2008, le coup d'arrêt de 2009 rend très hypothétique la concrétisation d'un recul de 33% à l'horizon 2012 (voir notre article ci-contre du 23 mars 2011).

 

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