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Social - Le niveau de vie a augmenté, la pauvreté aussi

L'Insee publie son étude annuelle sur l'évolution des niveaux de vie, tirée de l'enquête "Revenus fiscaux et sociaux". Cette livraison porte sur l'année 2009 et délivre des enseignements intéressants, mais qui peuvent sembler contradictoires à première vue. Côté positif, le niveau de vie médian a progressé, en 2009, de 0,4% en euros constants, atteignant ainsi 19.080 euros par an et par unité de consommation (UC), soit 1.590 euros par mois. Ce chiffre s'entend selon l'échelle d'équivalence dite de l'OCDE modifiée, qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans. Le ratio est de 3,4 entre les 10% de personnes les plus modestes (niveau de vie inférieur à 10.410 euros par UC) et les 10% les plus aisées (35.840 euros). La progression d'ensemble des niveaux de vie est d'autant plus méritoire que la France a connu en 2009 - sous l'effet de l'apogée de la crise mondiale - le plus violent recul de son produit intérieur brut (PIB) depuis 1950 : -2,7% en volume (-2,3% en valeur), alors que la baisse la plus importante était jusqu'à présent de -1,1% en 1975 (après le choc pétrolier de 1973). Curieusement, la note de l'Insee n'évoque pourtant pas cet élément de contexte économique pour expliquer les résultats de 2009.

Les écarts se creusent...

Une fois posée cette bonne nouvelle d'ensemble, l'analyse par catégorie apparaît nettement moins positive pour l'année 2009. Tout d'abord, le niveau de vie moyen des 10% de personnes les plus modestes (moins de 10.410 euros annuels), a reculé de 1,1% par rapport à 2008. De façon plus large, les quatre premiers déciles enregistrent une baisse du niveau de vie moyen, cette baisse étant plus marquée pour le premier décile. Ce résultat contraste fortement avec les quatre années précédentes : entre 2005 et 2008, les quatre premiers déciles avaient au contraire vu leur niveau de vie moyen progresser d'environ 2% chaque année. Si le recul de 2009 est loin d'annuler la hausse des quatre années précédentes, il marque néanmoins un sérieux coup d'arrêt. A l'inverse, le niveau de vie des personnes appartenant aux cinq déciles supérieurs à la médiane a progressé en 2009. Les 10% de personnes les plus aisées (niveau de vie supérieur à 35.840 euros par an et par UC) ont connu ainsi une hausse de 0,7% de leur niveau de vie, certes plus modeste qu'en 2008. L'Insee en conclut que "le contexte de crise économique se répercute sur l'ensemble des ménages, mais ce sont les plus modestes qui sont les plus touchés".
Ce contexte n'est évidemment pas sans conséquences sur le niveau de pauvreté. En 2009, le seuil de pauvreté - 60% du niveau de vie médian de la population - s'établissait à 954 euros par mois (11.448 euros par an). Conséquence : 13,5% de la population française vivait en dessous de ce seuil, soit 8,2 millions de personnes. Par ailleurs, le taux de pauvreté s'est accru de 0,5 point entre 2008 et 2009. L'intensité de la pauvreté - autrement dit l'écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté, qui "permet d'apprécier à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté" - s'est elle aussi accrue, passant de 18,5 à 19%.

Moins de chômeurs pauvres, mais plus de travailleurs pauvres...

Si elle n'évoque pas le recul du PIB, l'Insee explique toutefois cette évolution "par une hausse du nombre de chômeurs dans le bas de la distribution des niveaux de vie". Ces derniers représentent en effet 9,8% des personnes appartenant aux deux premiers déciles, contre 8,5% en 2008, soit une progression de 1,3 point. Pour l'ensemble de la population, cette proportion est seulement de 3,6 % en 2008 et de 4,4 % en 2009 (taux à ne pas confondre avec celui du chômage, qui ne porte que sur la population active), soit une hausse de 0,8 point. Cette montée du chômage a eu pour effet une progression de la part des allocations de chômage dans le revenu disponible des ménages les plus modestes, appartenant au premier décile. Cette part passe en effet de 6,2% du revenu disponible en 2008 à 7,5% en 2009. A l'inverse - et toujours dans ce décile - la part des salaires et des autres revenus d'activité diminue, passant de 36,2% à 33,3%. En d'autres termes, le système social français a joué son rôle d'amortisseur de la crise, mais il n'a pas suffi à empêcher un accroissement de la pauvreté.
Par ailleurs - et comme on le savait déjà - le travail ne suffit pas à protéger de la pauvreté. En 2009, 10,1% des actifs d'au moins 18 ans étaient pauvres, soit 2,8 millions de personnes. Ceci explique un phénomène qui ne semble guère évident à première vue. En effet, la hausse du chômage ne s'est pas traduite par un accroissement de la pauvreté parmi les chômeurs. Au contraire, le taux de pauvreté des chômeurs a diminué l'an dernier de 1,1 point par rapport à 2008. Une évolution que l'Insee explique par le fait que la population des chômeurs a évolué sous l'effet de la crise. Les nouveaux chômeurs de 2009 sont à la fois plus âgés et plus qualifiés qu'avant la crise. Ils bénéficient donc, au départ, d'une allocation chômage plus importante. En revanche - et bien que le nombre de personnes occupant un emploi soit resté relativement stable - la situation s'est dégradée pour l'ensemble des actifs puisque la proportion de pauvres parmi ces derniers est passée de 9,5 % en 2008 à 10,1% en 2009. Une évolution qui traduit la montée du phénomène des "travailleurs pauvres".

Les travailleurs pauvres ne sont pas ceux qu'on croit

Attention toutefois : "travailleurs pauvres" ne signifie pas forcément "salariés pauvres". Au sein des personnes occupant un emploi, ce sont en effet les non-salariés qui sont le plus durement touchés, avec un taux de pauvreté passé de 15,3% en 2008 à 16,9% en 2009 (+1,6 point de progression et 6,8 points d'écart avec les salariés). Ce phénomène s'explique par le fait que les non-salariés (agriculteurs, commerçants, artisans, professions libérales...) sont les plus exposés au retournement de la conjoncture économique. Conséquence : en euros constants, le niveau de vie médian des non-salariés a reculé de 0,8% en 2009, alors que celui des salariés augmentait de 1,4%. Pour être complet, on retiendra également que le niveau de vie médian des retraités a augmenté de 1,3% en 2009, avec un taux de pauvreté stable à 9,9%.
Sachant que le PIB français est reparti en 2010 de 1,5% en volume (et de 2,3% en valeur), il reste maintenant à savoir si les effets de cette reprise de l'activité suffiront à effacer la progression de la pauvreté en 2009. Seule certitude : il sera désormais difficile d'atteindre l'objectif de réduction de 25% du taux de pauvreté au cours du quinquennat.

Les mesures exceptionnelles de 2009 ont-elles eu un effet sur la pauvreté ?

Le gouvernement a pris trois mesures principales pour tenter de limiter l'impact de la crise économique sur les ménages modestes : un crédit d'impôt égal aux deux tiers de l'impôt sur le revenu 2008 pour les foyers dont le revenu net imposable par part fiscale n'excédait pas 11.673 euros, la "prime de solidarité active" de 200 euros versée au début de 2009 aux foyers bénéficiaires d'un certain nombre de minima sociaux (RMI, API, et certaines aides au logement) et la prime exceptionnelle de 150 euros versée aux familles modestes éligibles à l'allocation de rentrée scolaire pour la rentrée 2008. Selon l'Insee, les deux dernières mesures ont permis de réduire de 0,2 point le taux de pauvreté de l'année 2009. Le calcul de l'impact du crédit d'impôt est plus complexe, dans la mesure où celui-ci s'applique aux revenus de l'année 2008. Son effet est cependant paradoxal, puisqu'en améliorant le niveau de vie des personnes se situant dans le milieu de la distribution des revenus (les fameuses "classes moyennes"), il a eu pour effet mécanique d'accroître le seuil de pauvreté (fixé à 60% du niveau de vie médian). Sans cette mesure, le taux de pauvreté aurait donc été plus bas en 2008. Mais l'augmentation du taux de pauvreté entre 2008 et 2009 aurait alors été plus élevée, de l'ordre de 0,2 point...
Enfin, on retiendra que l'Insee estime - sans pour autant le chiffrer - que la mise en œuvre du revenu de solidarité active (RSA) au milieu de l'année 2009 a eu un effet bénéfique sur le taux de pauvreté, puisque "les chômeurs ayant connu des périodes d'emploi ont pu bénéficier pour la première fois du complément de revenu induit par le RSA".

Jean-Noël Escudié / PCA