Insertion - Conférence nationale contre la pauvreté : tout est sur la table
La conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, qui s'ouvre pour deux jours ce 10 décembre, constitue un enjeu de taille pour l'image sociale du gouvernement, chahuté par ailleurs sur le dossier de Florange. Il est vrai que la barre est fixée très haut, puisque le chef de l'Etat et le Premier ministre ont choisi une approche globale de la pauvreté, en ne la réduisant pas à son aspect monétaire, mais en l'abordant au contraire sous tous ses aspects. Pour Jean-Marc Ayrault, l'objectif est de "changer le discours et les représentations sur la pauvreté et d'imaginer les politiques sociales du XXIe siècle, en intégrant les enjeux de solidarité au coeur des politiques publiques". La conférence doit ainsi déboucher sur un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, dont les grandes lignes seront annoncées par le Premier ministre le 11 décembre et "qui apportera une réponse globale et durable aux inégalités". Ces grandes lignes seront déclinées en autant de "feuilles de route", confiées aux différents ministères concernés. Pas moins de onze "équipes ministérielles" seront ainsi chargées de mettre en oeuvre les différents aspects du plan, "en intégrant l'inclusion sociale au coeur de leurs politiques sectorielles".
Groupes de travail : des contributions "exceptionnelles"
Ce plan et ces feuilles de route s'appuieront sur les réflexions et les propositions des sept groupes de travail mis en place en septembre dernier (voir notre article ci-contre du 24 septembre 2012). Conformément à l'esprit de la démarche, ils couvrent l'essentiel des thématiques liées à la pauvreté : le logement, l'emploi, la santé, l'enfance fragilisée et la réussite éducative, l'accès aux droits et aux minima et tarifs sociaux, l'accès aux services bancaires et la lutte contre le surendettement et, enfin, la gouvernance des politiques de solidarité. Leur contenu sera restitué lors d'ateliers thématiques, présidés chacun par le ou les ministres concernés et qui occuperont l'essentiel de la première journée de la conférence. Les rapports sont toutefois en ligne, depuis quelques jours, sur la page dédiée du site du ministère des Affaires sociales.
Quel que soit le sort réservé aux propositions de ces groupes, le travail n'aura pas été vain. A raison d'une trentaine d'acteurs et d'experts par groupe, chacun d'eux concentre en effet les spécialistes du domaine concerné. Une configuration qui rappelle un peu celle utilisée lors du débat national - inabouti - sur la dépendance au premier semestre 2011, et qui a débouché sur des contributions qualifiées d'"exceptionnelles" par Jean-Marc Ayrault. A ce titre, chaque rapport constitue une bonne synthèse des grands enjeux du domaine abordé. Avec cependant un bémol, qui rappelle lui aussi les rapports des groupes sur la dépendance : l'absence de chiffrage des mesures proposées.
Ressources : trois mesures "incontournables"
Le premier groupe, présidé par Bertrand Fragonard (président délégué du Haut Conseil à la famille, ancien directeur de la Cnaf, ancien délégué interministériel au RMI...), a travaillé sur l'"Accès aux droits et aux biens essentiels, minima sociaux". Partant du constat d'un accroissement récent de la pauvreté monétaire et de l'ampleur du phénomène de non-recours aux droits, son rapport formule une série de préconisations très concrètes. Mais il repose néanmoins sur un postulat qui risque de passer difficilement en ces temps de contrainte budgétaire. Tout en admettant que "les dépenses qui doivent être mobilisées pour contenir, puis pour faire reculer la pauvreté sont significatives", le groupe de travail estime en effet que "s'agissant des droits élémentaires des personnes - dont beaucoup sont de valeur constitutionnelle - on ne saurait leur opposer une contrainte financière", car "elles sont de l'ordre de l'exigence".
Le rapport insiste toutefois sur trois mesures jugées "incontournables". La première concerne l'augmentation du revenu de solidarité active (RSA) et la mise en place d'une indexation de son montant, évitant ainsi les décrochages. La seconde priorité vise une "amélioration substantielle" du taux de recours aux prestations sociales, grâce à une "mobilisation exceptionnelle" de tous les acteurs concernés : Etat, collectivités, organismes de protection sociale, associations... Enfin la troisième priorité consiste en un "effort résolu en faveur des jeunes", en particulier pour ceux qui n'accèdent ni à la formation ni à l'emploi.
Un "choc anti-pauvreté" en faveur des enfants
Le second groupe de travail s'est consacré au thème du logement et de l'hébergement. Il fait l'objet d'un article spécifique dans notre édition de ce jour (voir ci-contre). Les travaux du groupe "Emploi, travail et formation professionnelle" sont, pour leur part, restitués dans l'encadré ci-dessous.
Coprésidé par Dominique Versini (ancienne défenseure des enfants) et Pierre-Yves Madignier (président d'ATD Quart Monde), le groupe de travail "Familles vulnérables, enfance et réussite éducative" veut créer un "choc anti-pauvreté" en faveur des enfants et des familles en situation de précarité. Pointant les limites des politiques actuelles en la matière - tout en reconnaissant leur ampleur -, il formule pour cela dix "orientations", regroupant une quarantaine de préconisations. La plus originale réside dans la mise en place d'une politique nationale de l'enfance - ce qui n'est pas vraiment nouveau -, mais fondée sur des "projets de territoire pour l'enfance". De niveau départemental, ceux-ci associeraient notamment l'Etat, le conseil général, la CAF et les communes concernées, en vue de définir des orientations et des actions en phase avec la stratégie nationale. Parmi les autres orientations, le rapport cite notamment la nécessité d'investir "massivement" dans l'accueil des jeunes enfants, vu comme un vecteur de lutte privilégié de lutte contre la précarité. Il préconise aussi de lancer un plan national de santé de l'enfant et de l'adolescent et de promouvoir une offre d'accompagnement des parents (soutien à la parentalité) à la fois "visible, accessible et non stigmatisante". Enfin, le groupe de travail recommande la mise en place d'une "politique pour la jeunesse fragilisée", avec notamment la création d'un dispositif spécifique dédié aux jeunes en difficulté de 16 à 25 ans. Sur le plan organisationnel, il suggère de "renouveler les pratiques de l'intervention sociale", avec une démarche proactive allant au-devant des familles et le développement du travail en réseau.
Pour une suppression de l'aide médicale Etat
Le groupe de travail "Santé et accès aux soins" est présidé par Michel Legros, vice-président du conseil des formations de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Il entend à la fois revisiter l'ensemble des dispositifs de première ligne d'accès aux soins et à la santé, afin de les rendre "plus efficaces et plus ouverts" et mieux articuler ces dispositifs dans le système de soins. De la - longue - liste de ses propositions, on retiendra quelques mesures phares ou qui ne devraient pas manquer de faire réagir. Le groupe propose ainsi de supprimer l'aide médicale d'Etat (AME) avec, en contrepartie, la suppression de la condition de régularité du séjour pour l'accès à la CMU. Dans le même temps, il préconise de relever le plafond d'accès à la CMU complémentaire (CMU-C) pour l'amener, à terme, au niveau du seuil de pauvreté à 60% du revenu médian.
Le groupe de travail préconise aussi d'accroître le rôle et les moyens de la PMI et de la santé scolaire, en s'engageant dans une "refondation" de ces services. Plus classiquement, il suggère aussi de renforcer certains dispositifs qui ont le vent en poupe et favorisent l'accès aux soins et la couverture territoriale, comme les centres de santé, les maisons de santé pluridisciplinaires ou les réseaux de santé. Enfin, le rapport préconise de mettre en place un pilotage local des territoires privilégiant la réduction des inégalités de santé, ainsi que l'accès aux droits, à la prévention et à la santé. Ceci passerait notamment par la conclusion de contrats locaux de santé entre les services de l'Etat, les collectivités, les acteurs de santé et les représentants des usagers.
Des "points conseils budget" sur tout le territoire
Présidé par François Soulage, président du Secours catholique, le groupe de travail "Inclusion bancaire et lutte contre le surendettement" est peut-être le plus insolite, avec la présence en son sein de représentants de grands établissements bancaires. Après avoir passé en revue un certain nombre de dispositifs innovants, le rapport formule plusieurs propositions originales, comme la mise en place de "points conseils budget" sur l'ensemble du territoire, chargés notamment d'assurer la mise en oeuvre du droit au compte, d'informer, de mobiliser les dispositifs existants et d'orienter si nécessaire vers un accompagnement plus global. Dans le même esprit, tous les établissements de crédit seraient invités à mettre en place des mécanismes de détection et de traitement précoce des difficultés financières. Autres préconisations du groupe de travail : renforcer la sensibilisation et la formation des travailleurs sociaux aux questions budgétaires et bancaires et élargir les missions et le mode de financement du Fonds de cohésion sociale au-delà du seul microcrédit.
Dans l'immédiat, le groupe de travail plaide pour la mise en oeuvre d'un certain nombre de mesures plus terre-à-terre, comme la modification des règles relatives aux frais d'incident, une meilleure adaptation des produits et services bancaires aux populations fragiles ou en voie de fragilisation, ou encore la création de l'Institut pour l'inclusion bancaire. Très pragmatique, le rapport propose de créer, dès janvier 2013, cinq groupes de travail chargés de préparer la mise en oeuvre des différentes mesures préconisées.
Participation, décloisonnement et territorialisation
Les départements liront d'un oeil attentif le dernier rapport, issu du groupe de travail "Gouvernance des politiques de solidarité", coprésidé par Michel Dinet - président du conseil général de Meurthe-et-Moselle et de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (Odas) - et Michel Thierry, inspecteur général des affaires sociales (Igas). Prudent dans ses formulations et s'appuyant sur un certain nombre de retours d'expériences, le rapport propose notamment de développer "sur de larges bases" la participation des personnes en situation de pauvreté et de précarité. Un orientation qui a commencé à prendre forme avec la mise en place du RSA. A ce titre, le groupe de travail suggère notamment que les personnes en situation précaire soient représentées au sein du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et de ses déclinaisons régionales (Ceser).
Les deux points centraux du rapport concernent le décloisonnement et la territorialisation de l'action publique. Sur le premier thème, le rapport suggère entre autres de "poser le département comme chef de file du développement social territorialisé", en clarifiant "les zones de chevauchement ou de risque de déni de droits". Pour le groupe, la loi devrait même définir des règles précisant la notion de chef de file. La proposition consistant à "reconnaître au département une vocation de garant de l'équité entre les territoires, au niveau infradépartemental" sera peut-être diversement accueillie par les communes et les intercommunalités. Bien que présidé par un représentant des départements, le groupe de travail n'exonère pas ces derniers de la nécessité d'évoluer. Il propose en particulier de décloisonner les services des départements (en considérant, par exemple, que le social, c'est aussi la culture et le sport) et de déléguer certaines compétences à d'autres collectivités. Cette volonté de décloisonnement, d'assouplissement et de mutualisation s'applique aussi - bien sûr - aux dispositifs eux-mêmes. Sur la territorialisation, le groupe de travail suggère de développer l'observation territoriale partagée et d'animer davantage la territorialisation des politiques sociales. Enfin, il préconise de reconnaître le droit à l'initiative sociale (place des entreprises, solidarités de voisinage, développement de l'expérimentation...), mais également de faciliter l'évolution des pratiques professionnelles de l'intervention sociale et d'organiser la transparence des politiques et la capitalisation des bonnes pratiques.
Avec ces sept rapports, auxquelles on peut ajouter les contributions individuelles de plusieurs organisations (dont l'Union nationale des centres communaux d'action sociale et l'Assemblée des départements de France), tous les éléments du débat sont aujourd'hui sur la table. Il reste maintenant à connaître, dans un climat budgétaire très peu favorable à la dépense, ce que le gouvernement pourra en retenir. Réponse le 11 décembre avec la présentation du plan pluriannuel.
Jean-Noël Escudié / PCA
Emploi : 33 mesures... et une dernière si les autres ne suffisent pas
Partant du postulat que "nul n'est inemployable", l'atelier consacré à l'emploi, présidé par Jean-Baptiste de Foucauld (fondateur de l'association Solidarités nouvelles face au chômage) et Catherine Barbaroux (présidente de l'Association pour le droit à l'initiative économique), a intitulé son rapport : "Un droit au parcours accompagné vers l'emploi". Et accompagne ce titre d'un double constat : "Si l'emploi ne règle pas tout, le chômage dérègle tout" et "l'emploi reste le meilleur rempart contre la pauvreté".
Le rapport détaille 34 mesures. Plusieurs d'entre elles ont trait à la participation des usagers au fonctionnement des organismes qui les concernent. D'autres concernent de plus près l'insertion dans l'emploi : "développer une médiation active" entre les personnes éloignées du marché du travail et les entreprises, s'attaquer aux problèmes de coordination entre les acteurs des politiques de l'emploi, renforcer le recours à l'apprentissage dans les fonctions publiques, mieux respecter les obligations concernant l'emploi des personnes handicapées, "renforcer le réseau de parrainage mis en place par les missions locales et expérimenter son extension à Pôle emploi"... Les auteurs insistent aussi sur la nécessité de développer les clauses sociales dans la commande publique (et de "faire accepter par l'Union européenne la possibilité de réserver des marchés à des structures d'insertion par l'activité économique"). D'autres propositions s'adressent directement aux entreprises et aux partenaires sociaux ("pénaliser les employeurs qui recourent exagérément à des formes d'emploi de courte durée", par exemple) ou concernent spécifiquement Pôle emploi.
Enfin, le groupe de travail s'est intéressé à la situation des travailleurs pauvres, et donc notamment à la réduction des temps de travail subis, à l'indemnisation chômage des travailleurs précaires et au RSA activité trop peu utilisé... Et le document de se conclure par une dernière mesure aux allures de mise en garde : "Si dans deux ans, les mesures précédentes n'ont pas suffi à améliorer significativement l'accès à l'emploi des personnes en situation de pauvreté et à réduire le nombre des allocataires du RSA socle, toutes choses égales par ailleurs, mettre en place, après un débat sur les conditions de mise en oeuvre, un principe d'embauche d'une proportion déterminée de chômeurs de longue durée par les administrations et les entreprises, sous peine du versement d'une taxe dont le produit serait affecté au financement de contrats aidés ou d'aides à l'insertion."
C.M.