Conférence nationale contre la pauvreté - Logement et hébergement : le "choc de solidarité" justifierait-il une reprise en main par l'Etat ?
De décentralisation, il n'en est pas beaucoup question dans le rapport "Logement, hébergement, pour un choc de solidarité en faveur des sans-abri et des mal logés", issu du groupe de travail piloté par Alain Regnier, délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihlal), et Christophe Robert, délégué général adjoint de la fondation Abbé-Pierre, et qui doit préparer la conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale du 10 et 11 décembre prochain (voir aussi, ci-contre, notre article de ce jour sur les autres groupes de travail). Comme si, à solidarité nationale devrait nécessairement répondre politique nationale. Comme si la territorialisation de la politique du logement et de l'hébergement devait obligatoirement passer par une recentralisation : un renforcement du rôle de l'Etat, fut-il territorial.
Ce parti pris se heurtera à la tendance consistant à poursuivre la réduction des effectifs de l'Etat dans ses services déconcentrés. A moins que l'Etat ne change son fusil d'épaule, estimant que "nécessité fait loi" pour la grande cause du logement et de l'hébergement, qui relèvent de ses compétences, ce que le rapport "Pour un choc de solidarité" ne manque pas de rappeler à de nombreuses reprises.
Aux collectivités, la mise en oeuvre et le suivi
Le titre du dernier chapitre, consacré au rôle des collectivités dans la politique nationale, est éloquent : "Les conditions de la mise en oeuvre et du suivi". "Mise en œuvre" et "suivi" : cela voudrait-il dire que les collectivités ne feraient qu'appliquer ?
Les auteurs du rapport observent qu'aujourd'hui "la compétence de l'Etat est de plus en plus partagée dans sa mise en oeuvre avec les collectivités locales" et que "le croisement des responsabilités entre l'Etat et les collectivités locales entraîne une inégalité territoriale des actions mises en oeuvre pour répondre aux besoins des personnes en difficulté", tandis que "les niveaux d'intervention des collectivités elles-mêmes s'entrecroisent". Sans oublier l'Etat, dont "la coordination entre le niveau central et les services déconcentrés est souvent insuffisante", en partie parce que "les services de l'Etat sont déstabilisés par la RGPP ".
En résultent une "demande de pilotage de plus en plus forte" et une "nécessité de clarification des missions et des responsabilités des uns et des autres". Le rapport propose en réponse de "renforcer la coopération entre les acteurs dans une dynamique de territoire" et indique les outils qui vont avec.
Des diagnostics territoriaux à 360 degrés
Premier outil : le "diagnostic territorial partagé", considéré comme "base de travail indispensable" à la conduite de projets locaux. Ces diagnostics seraient réalisés à l'échelle départementale, "voire à un niveau infradépartemental si besoin, et y compris dans les DOM" (l'intercommunalité aurait donc ses chances…). Ils devraient être prêts dès le début de l'année 2013, puis réévalués chaque année pour adapter, si besoin, les plans d'action pluriannuels aux réalités de terrain.
Ce serait un diagnostic "à 360 degrés", selon l'expression employée dans le rapport pour signifier qu'il construira "une vision d'ensemble partagée". Vision qui "(embrasserait) la totalité des situations à prendre en charge, de la rue au mal-logement en passant par l'habitat indigne, (…) et des réponses existantes sur le territoire".
Au niveau territorial, les diagnostics territoriaux partagés serviraient de base à la construction de plans d'actions territoriaux, lesquels devront être articulés avec les outils de programmation du logement et de l'hébergement (plan départemental d'actions pour le logement des personnes défavorisées, plan départemental accueil hébergement et insertion, plan local de l'habitat...).
Au niveau national, les résultats de ces diagnostics devraient être synthétisés avant la fin du 1er trimestre 2013. Cela permettrait notamment que la loi de programmation quinquennale sur l'objectif de production neuve et de mobilisation du parc existant (que les auteurs du rapport appellent de leurs voeux), se fasse "selon une répartition territoriale non arbitraire".
Une nouvelle gouvernance territorialisée
Le rapport propose d'instituer un nouveau schéma de gouvernance territorialisée pour s'attaquer à "l'éparpillement et la segmentation des dispositifs". Les auteurs ne veulent plus du "cloisonnement" des différents secteurs de l'action sociale (enfance, personnes âgées, personnes handicapées), de l'"insuffisante articulation" des champs de l'hébergement et du logement, de l'"éclatement des compétences" entre les services de l'Etat et les différentes collectivités territoriales.
Le nouveau schéma de gouvernance devrait tirer un trait sur la "démarche sectorielle" pour épouser une "démarche articulée" des différents champs de l'inclusion sociale (sociaux, médicosociaux et sanitaires). Il serait décliné en deux niveaux.
D'échelle régionale ou interdépartementale, le premier niveau définirait les orientations stratégiques de l'action sociale, du financement, du suivi, de la régulation et de l'évaluation de l'offre territoriale de services. Le deuxième niveau, celui des "territoires", serait en charge de l'élaboration du diagnostic territorial partagé, de la déclinaison d'une stratégie de développement local, et d'un plan d'action priorisant certains objectifs. Ce qui laisse à penser que le "territoire" en question serait le même que celui du diagnostic : l'échelle départementale, voire infradépartementale, "si besoin", donc peut-être intercommunale…
Quoi qu'il en soit, "ces schémas dépasseraient le périmètre de l'hébergement et de l'accès au logement pour embrasser l'action sociale de manière transversale", pose le rapport comme principe. Et de citer l'insertion, l'emploi et la santé. D'où le fait que "ces instances intégreraient donc les services de l'Etat (y compris justice, santé, intérieur), les collectivités territoriales, les associations, les CAF, Pôle emploi, les bailleurs et les représentants des bénéficiaires de l'action sociale...
Une conférence départementale de cohésion sociale
Dans l'urgence, et "dans l'attente de l'acte 3 de la décentralisation", des conférences départementales de la cohésion sociale associant Etat, collectivités territoriales, élus, associations et opérateurs pourraient conduire un exercice de clarification des compétences entre les différents acteurs en matière de logement et d'hébergement. Avec toujours l'idée que "le logement est de la compétence de l'Etat mais cette compétence est mise en œuvre avec quasiment tous les niveaux de collectivité" et que pour l'hébergement, également compétence d'Etat, " les communes et les départements sont souvent impliqués".
Le rapport demande par exemple que soit rapidement clarifiée la gouvernance du Plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) qui est actuellement co-pilotée par le préfet et le président du conseil général, et suggère de fusionner les PDALPD et les PDAHI (plan départemental de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion). Le tout est d'éviter à l'avenir que le partage des compétences entre l'Etat et les collectivités ne conduise à une "dispersion des actions et des moyens", à l'instar du Fonds de solidarité logement (FSL) financés et gérés par les départements depuis la décentralisation du dispositif en 2004, mais qui est un dispositif proche de l'accompagnement vers et dans le logement (AVDL) géré par l'Etat depuis sa création en 2010, sans coordination.
Le préfet "réaffirmé"
On l'aura compris, pour les auteurs du rapport, "le rôle de l'Etat doit être réaffirmé" et "cette mission essentielle doit être assurée dans une dynamique de pilotage interministériel des politiques de solidarité, tout en assurant la cohérence avec les politiques conduites par les collectivités locales". Le rôle du préfet, "garant de la coordination interministérielle de la politique de l'Etat dans le champ de l'inclusion sociale", devrait, par voie de conséquence "être réaffirmé". "Il doit être mobilisé pour faire vivre des instances d'évaluation et de concertation régulière".
Dans ce cadre, le rapport propose d'étudier la généralisation des directions régionales et interdépartementales de l'hébergement et du logement (Drihl), réunissant dans une même direction les compétences logement et hébergement "dans toutes les régions, ou du moins dans les régions les plus tendues, à l'exemple de ce qui a été fait en Ile-de-France". "A tout le moins les rôles respectifs des DDCS, DDT, DRJSCS, Dreal, des préfectures méritent d'être reprécisés", souligne le rapport qui estime aussi qu'il faudrait renforcer les moyens des services déconcentrés de l'Etat en charge des politiques sociales du logement et de l'hébergement, "particulièrement à l'échelle départementale".
Valérie Liquet
Autres propositions du rapport
Si les diagnostics et les propositions sont pour la plupart déjà connus, ils sont posés avec clarté et sans faux-fuyants, tout au long des 50 pages très denses du rapport. Sans prétendre à l'exhaustivité, voici une série de propositions très concrètes.
Des décisions à prendre dès l'année 2013
- les fameux diagnostics territoriaux partagés "à 360 degrés" (voir article ci-dessus) ;
- l'interdiction de toute mise à la rue à la fin du plan hivernal 2013 ;
- l'offre de "20.000 solutions nouvelles" (10.000 solutions en logement ordinaire et 10.000 en hébergement dont 5.000 places en Centres d'accueil pour demandeurs d'asile) ;
- l'augmentation de la capacité d'accompagnement pour 5.000 ménages (investissement "de l'Etat", mis en œuvre via un accord-cadre Etat/départements élargi aux CAF, CCAS, bailleurs sociaux, associations...) ;
- un plan d'urgence pour le logement et le relogement des 20.000 ménages prioritaires Dalo à qui aucune proposition n'a été faite dans les délais légaux (dont la mobilisation de 10.000 logements dans le parc privé au moyen de l'intermédiation locative, "sur le mode de gestion qui régit les dispositifs Solibail ou Louer Solidaire") ;
- la restauration des moyens alloués au Loca-Pass et l'élargissement des critères d'éligibilité, "en attendant la décision du gouvernement sur la garantie du risque locatif" ;
- un moratoire des expulsions locatives en 2013, qui s'appliquerait aux bidonvilles et aux squats ;
- gestion par les missions locales d'un dispositif facilitant le logement des jeunes, "dans le cadre des partenariats locaux avec les acteurs concernés et notamment avec les départements".
A plus long terme, les propositions concernant les logements du parc public... :
- augmenter la part des PLAI à 40% de la production de logement social ;
- bonifier les prêts sociaux et très sociaux et augmenter la subvention directe de l'Etat ;
- appliquer une TVA à 5,5 % au logement social, considérant qu'il est un produit de première nécessité ;
- réaliser 12.000 logements accompagnés et 5.000 logements produits en MOI (Maîtrise d'ouvrage d'insertion) par an ;
- réfléchir à la possibilité de faire évoluer les loyers en fonctions des ressources des ménages ;
- revoir la procédure d'admission pour "un dispositif transparent d'attribution laissant une place au demandeur".
... et du parc privé
- produire 250.000 logements "à vocation sociale et très sociale" en cinq ans, soit 50.000 par an (25.000 logements conventionnés sociaux et très sociaux, 20.000 logements en intermédiation locative, 5.000 achats de logements vendus libres d'occupation ;
- renforcer la taxe existante sur les logements vacants (notamment en l'étendant aux zones d'urbanisation continue de plus de 50.000 habitants) ;
- définir les conditions juridiques et financières des réquisitions de bâtiments appartenant à l'Etat et "à la collectivité publique en général" ainsi que les immeubles à usage locatif vides appartenant à des investisseurs institutionnels
- mettre en place un bonus malus des loyers dans le cadre l'encadrement des loyers,
- résorber les 400 à 600.000 logements potentiellement indignes (notamment en confiant "à la commune ou l'intercommunalité, dotée d'un service d'hygiène et de sécurité de l'habitat, la responsabilité de veiller au respect de la réglementation, le préfet conservant une capacité de veille, de contrôle et un pouvoir de substitution en cas de carence de la collectivité compétente") ;
- prévoir un programme de rénovation thermique ciblé sur les plus fragiles (par exemple simplifier le programme "Habiter mieux") ;
- traiter les copropriétés en difficulté (notamment par le portage, considéré comme "outil pertinent de redressement des copropriétés").
Un plan local d'urbanisme d'échelle intercommunale
- confier la compétence urbanisme aux intercommunalités ;
- délimiter des "secteurs de mixité sociale" dans le cadre du plan local d'urbanisme (intercommunal, donc) : secteurs situés en zones urbaines ou à urbaniser, dans lesquels, lorsqu'un programme de logements est réalisé, un pourcentage soit affecté à des logements locatifs abordables ;
- obliger l'instauration des "secteurs de mixité sociale" dans les zones tendues ou manquant de logements sociaux.
Propositions en termes de fiscalité locale
- prendre en compte les différences de valeur immobilière entre quartiers d'une même agglomération dans le calcule de la taxe foncière, la taxe sur les revenus fonciers et la taxe sur les plus-values immobilières ;
- taxer les prix excessifs et affecter le produit de cette "contribution de solidarité urbaine" à la production de logements à vocation sociale ;
- réinstaurer la contribution sur les revenus locatifs ;
- intégrer le revenu dans le calcul de la taxe d'habitation ;
- renforcer la DSU et la DGF.
Des mesures de long terme pour prévenir les expulsions
- revaloriser le montant des aides au logement "en veillant à l'avenir à leur indexation sur les niveaux réels des loyers" ;
- maintenir les allocations logement dans les situations d'impayés (pour éviter "l'expulsion inéluctable" ;
- instaurer un bouclier énergétique ;
- instaurer un système de garantie universelle des risques locatifs (sans utiliser les canaux des sociétés d'assurance "qui ont montré leur limite dans le système actuel", mais par un financement d'Action Logement et une gestion de l'Anah) ;
- conforter les fonds de solidarité logement (FSL) ;
- conforter le rôle des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) ;
- donner la possibilité aux Ccapex de déconcentrer leur gestion au niveau infra départemental, "par exemple au niveau de l'EPCI chef-lieu de département et en sous-préfecture pour les autres arrondissements" ;
- expérimenter, "dans certaines agglomérations", la constitution d'une "équipe d'intervention sociale rapide, mobilisable par le préfet, quand le concours de la force publique est requis, afin de rechercher toutes les solutions permettant soit d'éviter l'expulsion, soit d'apporter une solution de relogement".