Habitat - De quel mal-logement souffre votre territoire ?
"Le mal logement est partout présent", prévient la Fondation Abbé-Pierre dans son 18e rapport annuel sur l'état du mal-logement en France, dont l'édition 2013 consacre un plein chapitre aux disparités territoriales, sans oublier les traditionnels "chiffres du mal-logement" (voir encadré ci-dessous). Un choix lié au fait que l'"on a longtemps essayé de nous faire croire que le mal-logement était réservé à certains territoires, or ce n'est pas ce que nous observions ; et cela se répercutait dans les choix économiques retenus par l'Etat, dans ses attributions, dans ses aides aux associations...", explique Christophe Robert, délégué général adjoint de la fondation.
Le rapport remis ce jeudi 31 janvier par Raymond Etienne, président de la Fondation Abbé-Pierre, à François Hollande en présence de Cécile Duflot, ministre du Logement, dresse ainsi une typologie des territoires résidentiels et des manifestations du mal-logement qui y sont associées. Ils distinguent deux grandes familles : celle des territoires tendus, où l'on trouve les grandes métropoles, les zones touristiques et les zones frontalières ; celle des territoires détendus où figurent les zones rurales éloignées et les territoires industriels en déclin. Objectif : montrer que "la distinction zones tendues/zones détendues est insuffisante pour éclairer sur les difficultés que vivent nos concitoyens sur les territoires" et que la connaissance fine, "à l'échelle micro", s'impose pour élaborer et mettre en oeuvre de manière efficace la politique de lutte contre le mal-logement, explique Christophe Robert, par ailleurs promoteur du "diagnostic territorial partagé" (voir notre article du 7 décembre).
Métropoles, zones touristiques, frontières
Les territoires attractifs, aux marchés immobiliers tendus, se situent bien dans les quelques métropoles construites autour des grandes villes françaises à forte croissance démographique (Paris, Lyon, Rennes, Nantes, Toulouse, Montpellier, Lille...), mais pas seulement. Les zones touristiques et les espaces frontaliers, chacun dans son genre, fabriquent également ce que le rapport appelle un "empêchement de parcours résidentiels".
Ce sont des classes moyennes obligées de réduire leurs ambitions en matière de logement (localisation, taille du logement...) et d'accepter des conditions de surpeuplement. Ce sont aussi des ménages modestes qui, faute de pouvoir accéder à la propriété en coeur d'agglomération, le font à la périphérie des villes. Ce sont, enfin, de nombreuses personnes sans domicile personnel qui ont recours à des formes précaires d'habitat : hébergement chez des tiers, recours à "des solutions de fortune", accueil d'urgence et hébergement d'insertion.
"Le marché agit comme un tamis social"
Les auteurs du rapport expliquent que l'attractivité des zones littorales crée une concurrence entre le marché des résidences secondaires et celui des résidences principales qui fait monter les prix de l'offre disponible tandis que la production neuve s'oriente vers la demande des catégories aisées. Dans l'agglomération de Bayonne, "le marché immobilier et foncier agit comme un tamis social qui ne conserve que les ménages les plus aisés dans les espaces centraux et les plus valorisés de l'agglomération", illustrent-ils.
Aux frontières de pays qui offrent de hauts niveaux de salaires, comme l'Allemagne, le Luxembourg ou la Suisse, se développerait "une société à deux vitesses", avec des salariés du côté français qui n'ont pas le même pouvoir d'achat que ceux travaillant de l'autre côté de la frontière mais qui choisissent de se loger côté français.
Comme pour les lieux touristiques, le marché du logement se structurerait alors avant tout autour de la satisfaction des besoin des populations les plus aisées, les plus modestes se trouvant "hors marché" ou relégués dans des zones dépréciées du territoire, tandis que les plus solvables d'entre eux accèdent à la propriété... en deuxième ou troisième couronne.
Territoires en déclin
La Fondation Abbé-Pierre le dit déjà depuis plusieurs années : ce n'est pas parce que les prix à la location et à l'accession sont relativement bas que le mal-logement ne sévit pas. Les formes en sont seulement différentes. C'est le cas des territoires en déclin, industriel ou démographique (ou les deux), situés en marge des dynamiques économiques et des flux résidentiels.
Ainsi, les territoires en désindustrialisation du nord et de l'est de la France se caractérisent par un patrimoine immobilier qui, "construit pour accueillir une main-d'oeuvre ouvrière souvent peu qualifiée, se spécialise aujourd'hui dans l'accueil des populations précaires et modestes". "Dans les grandes villes qui ont des prix bas, 27% des ménages ont des difficultés financières, contre 5% à Paris", illustre Christophe Robert. "C'est que, à Paris, la centrifugeuse a fonctionné : les gens sont partis de la capitale", ajoute Patrick Doutreligne, directeur général de la Fondation Abbé-Pierre.
Villes d'accueil des populations précaires
Dans ces territoires en déclin, le mal-logement se manifeste par un parc privé majoritairement vétuste et un parc social déprécié, tous deux abritant des populations très modestes qui ne disposent généralement pas d'autres solutions pour se loger. Des villes comme Mulhouse ou Roubaix, qui sont intégrées dans des bassins d'habitat dynamiques, tiennent le rôle de lieux d'accueil des populations en situation de précarité : grandes familles précaires, primo-arrivants, familles monoparentales, jeunes sans ressources... Dans ce cas, "le bon niveau d'intervention pour permettre aux solidarités de s'exercer n'est à l'évidence pas celui de la commune mais bien celui du bassin d'habitat", souligne le rapport.
En Seine-Saint-Denis, "c'est à l'échelle du département que se retrouve l'ensemble de ces problématiques", tandis que leur résolution semble de dimension quasi régionale.
Confort médiocre
Les régions rurales peu dynamiques et éloignées des grands pôles de développement se caractérisent par un marché du logement détendu, avec des prix relativement peu élevés, mais un taux de vacance important, un parc de logements vétustes, au confort médiocre, et "habité par des propriétaires parfois impécunieux, souvent vieillissants, qui n'ont pas les moyens d'une remise aux normes".
Les ménages modestes peuvent accéder à la propriété mais nombre d'entre eux se retrouvent alors dans des situations de précarité énergétique aiguës, avec des conditions de vie finalement dégradées compte tenu des problèmes de chauffage ou d'isolation, auxquels le niveau déjà élevé d'endettement ne permet pas de faire face.
Valérie Liquet
Les chiffres du mal-logement en 2013
La Fondation Abbé-Pierre estime à 3,6 millions le nombre de personnes mal-logées en France. Parmi elles, 685.000 sont privées de domicile personnel, dont 133.000 sont sans domicile (France métropolitaine), 85.000 résident dans des habitations de fortune (constructions provisoires, mobil-home), 38.000 vivent à l'année dans des chambres d'hôtel, 411.000 sont hébergées chez des tiers.
Parmi les 3,6 millions de mal-logés, 2,1 millions de personnes vivent dans des logements inconfortables et 800.000 dans des logements surpeuplés (145.000 dans des logements à la fois inconfortables et surpeuplés).
Pour la fondation, plus de 5 millions de personnes sont fragilisées par rapport au logement, dont 730.000 propriétaires vivant en copropriétés dégradées, 1,2 million de personnes en impayés locatifs, 3,2 millions vivant dans des logements surpeuplés "au sens large" (logements dans lesquels il manque une pièce par rapport à la norme de peuplement "normal" au sens de l'Insee), 240.000 enfants de 18 ans et plus qui ont dû retourner vivre chez leurs parents ou grands-parents faute de ressources suffisantes.
Au total, 10 millions de personnes sont aujourd'hui touchés de près ou de loin par la crise du logement, si on y ajoute notamment le 1,2 million de ménages en attente de logement social, les 3,8 millions de ménages en situation de précarité énergétique, les 1,3 million de locataires qui ont rencontré des difficulté de paiement de leur loyer, les 565.000 ménages propriétaires ou accédants ayant rencontré des difficultés de paiement de leurs charges ou de remboursement d'emprunts immobiliers, les 91.000 ménages expulsés...
V.L.
Sources : Estimations et données recueillies par la Fondation Abbé-Pierre, dans L'état du mal-logement en France 2013, 18e rapport annuel.