Habitat - Comment améliorer la mise en oeuvre du droit au logement opposable ?
Quelques jours tout juste avant la présentation du rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre sur l'état du "mal-logement" en France, le "groupe d'évaluation" sur le droit au logement opposable (Dalo), mis en place par Christine Boutin le 20 novembre dernier, vient de remettre ses conclusions. La création de ce groupe de quatre personnalités, présidé par Paul Boucher (ancien président d'ATD Quart-Monde et membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées / HCLPD), avait surpris, dans la mesure où il existe déjà un comité de suivi du Dalo mis en place par la loi du 5 mars 2007 sur le droit au logement opposable. Elle résulte essentiellement des relations souvent tendues entre la ministre du Logement et le HCLPD présidé par Xavier Emmanuelli. Le groupe d'évaluation n'en a pas moins mené à bien sa mission. Son rapport formule sept propositions, dont Christine Boutin a aussitôt annoncé la mise en oeuvre dès le premier semestre 2009.
Celles-ci regroupent à la fois des mesures ponctuelles - comme la mise en service d'un nouveau formulaire de recours amiable incluant des précisions sur les pièces justificatives à joindre - et d'autres plus importantes. L'information et la coordination feront ainsi l'objet d'une attention particulière, avec l'organisation d'une campagne d'information ciblée sur les publics prioritaires. Actuellement, moins de 70.000 dossiers ont été déposés devant les commissions départementales, alors que le nombre de personnes concernées est estimé à plusieurs centaines de milliers. En matière de coordination, les préfets organiseront dans chaque département une "réunion spéciale de concertation", afin de garantir la coordination des intervenants dans la mise en oeuvre des mesures préconisées. Dans le même esprit, le ministère devrait clarifier le partage des responsabilités, au sein de chaque département, entre les services publics et les associations agréées pour développer l'assistance aux demandeurs qui le souhaitent. Pour faciliter l'instruction des recours et améliorer la qualité de cette dernière, un mécanisme de transmission des informations détenues par les services des collectivités territoriales et des caisses d'allocations familiales devrait être mis en place, de même que la réalisation d'enquêtes complémentaires. Les deux dernières mesures portent sur l'accompagnement des demandeurs et des personnes relogées. Une formation, organisée en liaison avec le CNFPT et l'Association nationale d'information sur le logement (Anil), devrait ainsi être organisée dans chaque département et ouverte aux travailleurs sociaux des collectivités et des associations spécialisées. Enfin, si nécessaire, un accompagnement social des personnes relogées pourra être mis en place.
Christine Boutin a demandé au groupe d'évaluation de poursuivre ses travaux en se centrant désormais sur les dispositions spécifiques à mettre en oeuvre en Ile-de-France, bien que plusieurs mesures soient d'ores et déjà prévues par le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, en cours d'examen par l'Assemblée nationale (voir nos articles ci-contre). Afin de ne pas marginaliser totalement le comité de suivi du Dalo, la ministre du Logement lui a demandé de "se saisir de la question du partage des responsabilités entre l'Etat, les collectivités locales et les associations et de lui remettre ses propositions à ce sujet".
La Fondation Abbé-Pierre parle d'"autocensure"
Le déficit d'information des personnes potentiellement concernées par le Dalo est également souligné par le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre présenté ce 3 février. "La loi Dalo est assurément ambitieuse (...). Mais après un an d'application, force est de constater qu'elle n'a trouvé qu'un faible écho auprès des personnes mal logées ou privées de logement et que d'importantes disparités apparaissent entre les départements", constate ce rapport sur le mal-logement, qui consacre un chapitre entier au Dalo. L'information gouvernementale, notamment, aurait été trop restreinte et "discrète", alors même qu'elle devrait mobiliser tous les relais d'information directement en contact avec les personnes en difficulté (travailleurs sociaux, services logement des collectivités locales, bailleurs sociaux, associations...) et "irriguer plus largement les territoires".
Si la Fondation relève qu'une partie des collectivités et des associations ont activement pris le relais, elle constate dans le même temps que "des intervenants sociaux hésitent parfois à inciter leurs interlocuteurs à remplir des dossiers considérant (peut-être à tort) qu'aucune solution de relogement n'est envisageable". Réticence, aussi, de la part des organismes HLM "déjà soumis à la pression de la demande la plus sociale"... et des collectivités locales pour lesquelles les demandes de recours "pourraient venir perturber les attributions de logements sociaux et mettre en péril des politiques de mixité qu'elles mènent parfois depuis de très nombreuses années". Le rapport en vient à parler d'une "véritable autocensure" contribuant à expliquer la faiblesse du nombre de dossiers déposés à ce jour.
Plus globalement, le volumineux chapitre consacré au Dalo insiste sur le rôle prépondérant des collectivités... et sur certaines ambiguïtés, évoquant le "décalage entre l'Etat, sur lequel pèse une obligation de résultat mais qui n'a pas les moyens d'agir seul, et les collectivités qui disposent des moyens d'intervention mais qui ne sont pas responsables du Dalo". Autres interrogations majeure : la mobilisation du seul contingent préfectoral (qui "risque d'accentuer la spécialisation des quartiers et des villes qui ont supporté la construction du parc locatif social"), le positionnement et le rôle des commissions de médiation, l'articulation de la procédure Dalo avec les dispositifs d'action en faveur du logement des personnes défavorisées (PDLPD et FSL) et avec les procédures d'attribution des logements sociaux...
Jean-Noël Escudié / PCA, et Claire Mallet