Finances - La banque, le maire et son projet à financer...
"Faire face à la crise financière internationale." Vaste sujet... En même temps, n'est-ce pas le grand sujet du moment ? Vaste sujet pour les responsables politiques nationaux et européens… mais aussi pour un élu local devant à la fois décrypter les rouages macro-économiques de la crise et en assumer les multiples conséquences à son niveau, que ce soit en termes de dynamisme économique territorial ou de financement de sa collectivité. La Fédération des villes moyennes (FVM) a consacré ses deuxièmes "Rendez-vous de l'intelligence locale" à cette problématique - une matinée organisée le 15 mars au Sénat avec les interventions, non seulement d'élus locaux, mais aussi, voire surtout, d'un joli panel d'économistes, financiers et autres experts. Au-delà de rappels instructifs sur les causes de la crise américaine de 2008 puis de la crise de "l'endettement des Etats révélée par le cas de la Grèce", telle que l'a qualifiée Michel Pébereau, l'ancien président de BNP-Paribas, le rendez-vous aura surtout permis de mieux comprendre pourquoi "toutes les banques ont aujourd'hui changé leur business model". Et en quoi cela affecte l'investissement public, y compris l'investissement public local.
En question, principalement, les nouvelles règles prudentielles définies par le Comité de Bâle – le fameux "Bâle III". On en retiendra entre autres que ces nouvelles régulations bancaires concernent à la fois les ratios de fonds propres et les ratios de liquidité. Ou encore qu'elles ne sont en théorie censées s'appliquer complètement qu'en 2019 mais que "tout le monde les applique déjà, par anticipation", même si nombre d'acteurs espèrent encore parvenir à infléchir les choses sur les ratios de liquidité.
Surtout, tous les intervenants sont revenus sur les conséquences importantes pour les collectivités. Pourquoi, d'ailleurs, pour les collectivités plus encore que pour d'autres acteurs ? Tout simplement parce que celles-ci sont obligées de déposer leurs fonds au Trésor... et représentent par conséquent pour les banques une clientèle moins intéressante que les emprunteurs qui leur permettent de disposer de leurs dépôts.
"Les 10 milliards, je ne les vois pas venir…"
Résultat : "Un crédit moins abondant et plus cher" et, même, la fin de certains types de crédits. "Cela va notamment limiter la possibilité pour les banques de faire des crédits longs." "Désormais, des prêts de 15 ans, c'est pratiquement le plafond, alors qu'avant 2009, on voyait des prêts de 30, 40 voire 50 ans", a ainsi constaté Christian Escallier, directeur du cabinet Michel Klopfer, évoquant également "des produits qui disparaissent, comme le revolving de long terme, ou qui rétrécissent, comme le revolving de court terme". Jean-Sylvain Ruggiu, le directeur secteur public BPCE-Caisses d'épargne, l'a confirmé : "Les crédits revolving et les lignes de trésorerie, qui constituaient jusqu'ici une liquidité assurée pour les collectivités", c'est pratiquement fini.
S'agissant des baisses de volume, selon Christian Escallier, "avant 2008, les prêts structurés ont créé un marché complètement artificiel qui a soutenu l'économie des prêts aux collectivités". Or aujourd'hui, estime-t-il, "quand on demande 100, si on obtient 30 c'est déjà bien". Il évoque ainsi le cas récent d'une ville moyenne cherchant à emprunter 10 millions d'euros. Le montant total des offres n'a été que de 2,5 millions. Il s'interroge, enfin, sur les grandes masses en jeu : "Sur les 20 milliards de besoins des collectivités, on mise généralement sur la co-entreprise Caisse des dépôts-Banque postale pour 5 milliards, sur l'enveloppe de prêts sur fonds d'épargne pour 5 autres milliards, et sur les banques pour 10 milliards. Or, moi, les 10 milliards, je ne les vois pas venir..." Là encore, Jean-Sylvain Ruggiu semble en convenir : "Pour le secteur local et le secteur hospitalier, BPCE, avec un encours de 55 millions d'euros, devrait maintenir une production d'environ 4 milliards par an. Une masse qu'il va falloir répartir... De ce fait, effectivement, le financement de très gros projets pose problème. Imaginons par exemple un projet de tramway suscitant un besoin de 400 millions d'euros. Ce serait le dixième du total !"
"Le financement de type obligataire va devenir central"
Jean-François Debat, vice-président de la région Rhône-Alpes et maire de Bourg-en-Bresse, est venu témoigner des difficultés rencontrées par sa région, laquelle affiche pourtant un excellent profil attesté par les agences de notation : s'étant tournée vers dix banques l'an dernier pour un montant de 180 millions d'euros, elle n'a obtenu que trois offres inférieures à 50 millions. "Les banquiers eux-mêmes nous disent que cela n'a rien à voir avec notre situation financière. Le problème est structurel", explique-t-il.
"On va vers un modèle dans lequel les banques feront moins de prêts directs et donc dans lequel on aura davantage de prêts désintermédiés, de financements directs sur les marchés. C'est un changement profond, notamment en France où le système bancaire était au cœur du financement de l'économie", a résumé Ariane Obolensky, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF). "Le financement de type obligataire va devenir central", a convenu Michel Aglietta, économiste au CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales), qui juge toutefois souhaitable "une intermédiation non bancaire entre secteur public et investisseurs privés, intermédiation qui puisse se décentraliser au niveau des régions".
"Les collectivités ne sont pas équipées pour se financer directement sur les marchés. Les très grandes peuvent le faire. Les villes moyennes, non", a relevé Christian Pierret, le président de la FVM et maire de Saint-Dié-des-Vosges. Certaines grandes collectivités, on le sait, ont récemment eu recours aux émissions obligataires. C'est par exemple le cas de Champagne-Ardenne, du conseil général de l'Essonne ou, justement, de Rhône-Alpes. "Nous l'avons fait, mais ce n'est pas la panacée. Il faut être noté depuis longtemps, il faut un bureau juridique, un arrangeur, les délais sont aléatoires, et les montants doivent être élevés... On nous a ainsi dit que 120 millions d'euros, ça n'était pas assez", témoigne Jean-François Debat. Lequel conclut par une interrogation de fond : "Est-ce vraiment aux collectivités d'être leur propre banquier ? Déjà que nous somme notre propre assureur..."
"Nous avons devant nous trois années difficiles"
Pour Olivier Landel, délégué général de l'Association des communautés urbaines (Acuf) et de l'Association d'étude pour l'agence de financement des collectivités (AEAFCL), les diverses interventions de la matinée sur la nécessité d'une "diversification vers l'obligataire" viennent de facto confirmer le bien-fondé du projet d'agence de financement. "On ne sera rien de plus qu'une centrale d'achat d'argent", a-t-il lancé, précisant que l'agence "ne s'adressera pas qu'aux grosses collectivités" (une commune de 800 habitants, par exemple, fait déjà partie de l'association d'étude). Il indique aussi qu'"en attendant l'agence" à laquelle le gouvernement vient de consacrer un rapport (voir notre article du 14 mars), "nous sommes en train de mutualiser pour 2012 sur une émission conjointe d'obligations de 1 milliard d'euros, avec 65 collectivités intéressées".
"Financement obligataire ? Titrisation ? Pour l'heure, les réponses restent prudentes", a considéré Christian Pierret, pour qui "nous avons devant nous trois années difficiles, que ce soit, donc, en termes de volumes, de marges ou de durées". Le président de la FVM prévient ses homologues maires : "Avant, on prévoyait notre programme, le financement suivait. Aujourd'hui, avant de présenter votre budget au conseil municipal, commencez par vous demander pour chaque projet ce qui pourra être financé."
Dans son "manifeste" diffusé à l'issue de la rencontre (en téléchargement ci-contre), la FVM formule en outre un certain nombre de demandes et de recommandations. Parmi celles-ci, "donner un rôle accru aux banques publiques que sont la Caisse des Dépôts et la Banque européenne d'investissement dans le financement local", de "permettre l'émergence d'un troisième acteur public", "soutenir la création d'une agence de financement appartenant aux collectivités locales" à condition "d'éviter un mécanisme dangereux de trop forte solidarité entre les emprunteurs". N'ayant pas oublié les années marquées par les emprunts structurés, la fédération souhaiterait aussi que l'on considère les villes moyennes comme des "emprunteurs non professionnels" devant alors bénéficier d'un devoir d'information de la part des banques... et formule un autre vœu : que soit "négociée avec l'Etat la sortie progressive de l'obligation faite aux collectivités locales de déposer leurs fonds au Trésor."