Infrastructures - Emprunts obligataires : les sénateurs restent sur leurs gardes
L'initiative est sur toutes les lèvres à Bruxelles depuis que la Commission européenne en a fait son levier de croissance. Faute de ressources publiques, l'UE cherche à attirer les investisseurs privés à travers les "project bonds", des emprunts obligataires émis par des investisseurs privés dans des conditions avantageuses, avec une garantie de Bruxelles. La Commission compte s'appuyer sur ces emprunts pour abonder une partie de son "Mécanisme pour l'interconnexion en Europe", un nouveau fonds doté de 50 milliards d'euros dans le cadre de la future politique de cohésion destiné à financer de gros projets d'aménagements en matière de transport, d'énergie et de numérique. Le but : combler les maillons manquants aux réseaux transeuropéens.
Un risque d'aubaine
A l'issue du sommet des 1er et 2 mars, les chefs d'Etat et de gouvernement européens se sont engagés à trouver un accord d'ici juin pour enfin mettre l'initiative sur les rails. La proposition de la Commission, formulée en octobre en vue d'une mise en oeuvre rapide, peine à voir le jour. Il faut dire que la confusion est facile avec les "Eurobonds" qui n'ont pourtant rien à voir. Ces derniers consisteraient à mutualiser les dettes des pays européens pour faciliter le crédit des Etats qui ont des difficultés à se financer sur le marché...
Dans une résolution sur le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe, le Sénat a fait part de ses interrogations sur les project bonds (voir ci-contre notre article 13 février 2012). Dans un rapport joint à la résolution publié le 7 mars, le sénateur socialiste Roland Ries se montre lui aussi prudent, en raison du rôle donné aux fonds publics. En plus d'apporter leur garantie aux opérateurs privés, la Commission européenne et la Banque européenne d'investissement participent à une opération de rehaussement de crédit. Une entreprise émettant un titre noté BB- pourra ainsi bénéficier de coupons classés A-, par exemple. L'opération change donc la finalité première des fonds publics : plutôt que d'être affectés directement à des projets, ils permettent à des investisseurs privés d'emprunter moins cher. Le recours aux project bonds, justifié en cas de déficit de financement, ne peut être détourné de sa vocation première au risque de devenir une "aubaine pour les investisseurs", estime le sénateur.
Une expérimentation pour la LGV Tours-Bordeaux
En France, un système proche des project bonds a été expérimenté pour le chantier de la ligne à grande vitesse reliant Tours à Bordeaux. En mobilisant 200 millions d'euros de garantie, l'UE a pu attirer 4,9 milliards d'euros d'emprunts privés jugés sûrs. Un montage qui a sécurisé "les trois premières années d'exploitation", où le risque financier est le plus élevé. D'autres projets d'infrastructures sont susceptibles de bénéficier d'une opération similaire, aussi bien les autoroutes (comme l'A355 pour contourner Strasbourg) que le rail (liaison ferroviaire entre la gare de l'Est à Paris et l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle).
Reste à s'assurer des raisons qui motivent le recours aux project bonds. Les utiliser pour le développement des LGV n'est pas forcément pertinent, selon Réseau ferré de France, car ces lignes "n'ont pas de difficulté véritable à trouver des capitaux, étant réputées de bonne rentabilité", poursuit le rapport.
Dans de telles circonstances, les élus souhaitent que la phase pilote de mise en œuvre des project bonds, dans le secteur des transports mais aussi de l'énergie et des télécommunications (2012-2013), fasse l'objet d'un examen approfondi avant d'envisager leur généralisation à partir de 2014. Sur les 50 milliards d'euros dédiés aux interconnexions, l'exécutif européen voudrait que quelques centaines de millions soient affectés aux project bonds jusqu'en 2020.