Aménagement - Grand Paris : le bras de fer reprend
Alors que le secrétaire d'Etat à la région capitale, Christian Blanc, a cherché à jouer l'apaisement sur le projet du Grand Paris lors de l'ouverture des Assises de l'Association des maires d'Ile-de-France (Amif) le 13 avril, le président de la région, Jean-Paul Huchon, contre-attaque tous azimuts. A la veille de la première séance effective du conseil régional d'Ile-de-France issu des dernières élections, il a présenté à la presse ce 14 avril un projet de délibération relative au "respect des principes de la décentralisation" et au projet de loi sur le Grand Paris. Ce dernier constitue selon lui un "déni de démocratie" et il demande purement et simplement son retrait et l'approbation par décret du projet de schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif).
La reprise de l'examen du projet de loi au Sénat est prévue le 26 avril et la réunion de la commission paritaire devait avoir lieu le 28 avril mais, selon Jean-Paul Huchon, elle se tiendra en mai, "preuve qu'il reste de nombreux problèmes à régler". Le président du conseil régional a assuré qu'il y aurait de toute façon des recours constitutionnels et que sur un plan strictement juridique, le projet d'aménagement du Grand Paris ne pourrait être mis en œuvre faute d'approbation par décret du projet de Sdrif. Ce dernier, qui avait fait l'objet d'une large concertation avec les collectivités franciliennes avait été adopté par l'assemblée régionale le 25 septembre 2008. Or, a souligné Jean-Paul Huchon, le gouvernement n'a toujours pas transmis le projet de décret au Conseil d'Etat. Le projet de Grand Paris nécessiterait une révision du Sdrif mais "pour que la procédure de révision puisse être engagée il faut qu'au préalable le schéma ait fait l'objet d'un décret d'approbation de la part de l'Etat", a expliqué Alain Amedro, vice-président chargé de l'aménagement du territoire.
Arc Express contre Grand Huit
Jean-Paul Huchon a une nouvelle fois défendu le projet de transport Arc Express, qui serait de facto condamné si le projet de loi Grand Paris était promulgué. Pourtant, a souligné le président du conseil régional qui préside aussi le Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif), le projet Arc Express avait été officiellement lancé en mars 2007 avec l'accord de l'Etat, le financement des études et du débat public étant inscrit au contrat de projet Etat-région 2007-2013. Le projet, débattu avec toutes les collectivités et acteurs économiques de la région, avait de surcroît fait l'objet de nombreux échanges avec le ministre de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo, en 2009, a rappelé Jean-Paul Huchon. Sur le fond, surtout, le président du conseil régional a fait valoir les atouts d'Arc Express par rapport au projet de Grand Huit défendu par le secrétaire d'Etat chargé du développement de la région capitale. "Arc Express desservira un maximum de villes densément peuplées sur 60 km, avec 40 stations – une tous les 1,5 km – alors que le Grand Huit dessert des pôles disparates et hétérogènes avec, sur 130 km, des gares éloignées les unes des autres de 4 ou 5 kilomètres", a-t-il argumenté. En outre, a-t-il ajouté, Arc Express, dont le dossier de débat public a déjà été validé par la Commission nationale du débat public, peut être réalisé bien avant 2030-2035 : le calendrier établi par le Stif prévoit l'ouverture du premier tronçon en 2017 et l'achèvement total du projet pour 2025. Un argument auquel François Fillon s'est montré sensible, a assuré le président du conseil régional. Enfin, pour Jean-Paul Huchon, le projet de Grand Huit, "évalué de façon fluctuante entre 21 et 25 milliards" n'est pas "finançable". Dans l'exposé des motifs du projet de délibération soumis au conseil régional, il reproche au projet de loi de "n'offrir aucune garantie juridique d'un financement effectivement à la seule charge de l'Etat" contrairement à ce qu'a affirmé Christian Blanc le 13 avril aux Assises de l'Amif. Pour Jean-Paul Huchon, le texte sur le Grand Paris "induit, au contraire, une captation des ressources locales au détriment des projets de transports, tout particulièrement ceux figurant au plan de mobilisation pour les transports, et des projets d'aménagement élaborés par les collectivités territoriales et débattus démocratiquement, qu'il s'agisse de la nouvelle taxe sur les plus-values foncières autour des gares ou du détournement d'une partie de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer)", a-t-il détaillé.
Jean-Paul Huchon veut aussi remonter au créneau concernant le financement du plan de mobilisation pour les transports de la région. Il compte en discuter dans les prochains jours avec Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports, et leur proposer une hausse du versement transports.
"Jetons à la Seine nos egos et nos ergots"
Derrière la prise de position du président de la région, c'est toute la question de la gouvernance du Grand Paris qui se profile. Chaque acteur - maires, départements, région - place ses pions. La question a été remise sur le tapis lors d'une table-ronde, organisée mardi 13 avril, lors des Assises de l'Amif réunies pour trois jours au Parc floral de Paris. Pour sa première intervention sur le sujet, le préfet de région, Daniel Canepa, a tenté d'arrondir les angles avec l'exécutif régional, comme l'avait fait quelques heures plus tôt le secrétaire d'Etat Christian Blanc, lors de la séance inaugurale. "Jetons à la Seine, dans un paquet un peu sale nos egos et nos ergots", a-t-il déclaré. "La balle est dans le camp de la région, il faut trouver les moyens de rendre compatibles le Sdrif avec le Grand Paris : l'Etat était parvenu à un accord sur un protocole avec l'exécutif régional, il faut reprendre la discussion pour améliorer ce protocole", a-t-il ajouté, expliquant que "les points de convergence" étaient "nettement supérieurs aux points de divergence". Qualifiant de façon énigmatique le Grand Paris de "point-virgule sur le nez rouge d'un technocrate", il a estimé qu'il ne fallait pas le limiter uniquement à "un projet de loi, à des moyens de transports ou à une question de gouvernance". "C'est tout autre chose : c'est un rêve", a-t-il dit. Mais les élus lui ont rappelé leurs préoccupations quotidiennes (transports, logement, ressources financières, etc.) lors de cette rencontre à l'intitulé de circonstance : "Grand Paris : du pari à la réalité".
Paris Métropole doit "passer la seconde"
Le sénateur-maire (UMP) de Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Philippe Dallier, a réveillé la salle en invitant ses partenaires réunis au sein du syndicat mixte d'études Paris Métropole à "passer la seconde". "Nous n'avons pas su, pas voulu, nous doter d'un outil de gouvernance nous permettant de parler aménagement, logement social, péréquation", a-t-il tancé, demandant aux élus UMP et Nouveau Centre de rejoindre le syndicat mixte d'études. Ce dernier n'a pas de compétence opérationnelle et se présente comme une instance de concertation, une "agora", pour reprendre le terme du chef de l'Etat lors de son discours au Palais de Tokyo. Mais ses membres n'entendent pas en rester là. A condition de dépasser les clivages. Paris Métropole regroupe à ce jour 109 collectivités d'Ile-de-France. L'instance, dominée par la gauche, a longtemps été boudée par les élus de droite qui ont même voulu contrer le projet en proposant à l'automne dernier la création de leur propre assemblée sous le nom de "Ile-de-France métropole". Or, c'est le maire UMP de Nogent-sur-Marne, Jacques JP Martin, qui est aujourd'hui pressenti pour succéder à Jean-Yves Le Bouillonnec, député-maire PS de Cachan, à la tête de Paris Métropole. Une ouverture qui pourrait convaincre les récalcitrants.
"La gouvernance n'est pas une fin en soi, c'est un outil, a insisté Philippe Dallier. Nous avons la démonstration que nous ne sommes pas capables de nous réformer nous-mêmes : si personne ne veut rien lâcher, il ne se passera rien, l'Etat sera légitime pour faire avancer son projet. Il est dans son rôle, il faut qu'en face il ait un interlocuteur." Sur le projet de loi, le sénateur s'est dit favorable au Grand Huit qui peut "constituer un accélérateur de croissance" mais il a mis en garde contre le risque de "renforcer les inégalités territoriales" et appelé à "une réforme profonde de la péréquation".
Pierre Mansat, adjoint au maire de Paris en charge de Paris Métropole et initiateur de la conférence métropolitaine qui l'a précédé, a invité, comme Philippe Dallier, à un rassemblement de tous les élus. "Une fois élargi à l'ensemble des collectivités de tous les courants, Paris Métropole devra avoir la compétence de chef de file imbriquant en poupées gigognes tous les niveaux de collectivités, chacune dans ses compétences… les projets devront être mutualisés et pas seulement territorialisés", a-t-il insisté.
Anne Lenormand et Michel Tendil