Réforme des collectivités - Faut-il renforcer le rôle économique des régions ?
La crise a eu une valeur de test pour les régions en charge du développement économique. Certaines, comme Poitou-Charentes, n'ont pas hésité à entrer au capital d'un constructeur automobile, Heuliez. D'autres (l'Alsace, la France-Comté) ont lancé des dispositifs de soutien au chômage partiel. Mais l'émergence des métropoles, du fait de la réforme des collectivités territoriales, suscite des inquiétudes. D'autant que leur efficacité en matière de soutien aux entreprises reste à démontrer. En 2007, la Cour des comptes mettait les pieds dans le plat en publiant un rapport inédit jugeant inefficaces, pléthoriques et illisibles les aides des collectivités. Des aides dont le montant s'élevait à 6 milliards d'euros, soit 4% de leurs dépenses totales, avec plus de 5.000 dispositifs recensés... Depuis lors, les choses se sont-elles améliorées et les régions ont-elles réussi à mieux organiser les aides accordées aux entreprises ? Les schémas régionaux de développement économique (SRDE) qui ont été expérimentés à partir de l'année 2004 pour cinq ans, dans le cadre de la loi du 13 août 2004 relatives aux libertés et responsabilités locales, ont permis de faire le tri. C'est en tout cas l'avis de l'Association des régions de France (ARF). Toutes les régions s'en sont dotées, à l'exception de la Corse. "Les régions en ont profité pour faire une sorte de balayage des aides offertes aux entreprises", assure-t-on ainsi à l'ARF. Le document, qui est censé permettre aux régions de coordonner sur leur territoire les actions de développement économique, a notamment permis de réorienter les aides : d'aides individuelles, on est passé à des aides collectives, s'adressant à des filières ou à des thématiques transversales comme la sous-traitance. "C'est plus efficace et il y a plus d'effet de levier pour les entreprises", assure-t-on au conseil régional de Rhône-Alpes. Autre changement apporté par ces SRDE : une réorientation de l'accompagnement financier avec des aides remboursables plutôt que des subventions. "Quand on fait de la subvention à tout va, ça coûte très cher et les résultats ne sont pas évidents, il faut la réserver à certains cas, explique Jean-Louis Gagnaire, vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes, délégué au développement économique. Dans le cas des aides à la reprise et transmission d'entreprise, nous sommes passés, avec le même budget de 6 millions d'euros, de 900 subventions par an à 3.000 entreprises accompagnées grâce à des prêts d'honneur à taux zéro, pouvant aller jusqu'à 90.000 euros." Résultat : davantage d'effet de levier et un dispositif plus vertueux pour les finances publiques…
Du point de vue des entreprises, les améliorations ne sont pas aussi flagrantes
Au-delà de cette meilleure organisation des aides, le SRDE a l'avantage de réunir autour d'une table et d'une stratégie l'ensemble des acteurs du développement économique. "Cela nous a permis de nouer le dialogue avec les autres collectivités (départements, agglomérations, intercommunalités) et avec les partenaires du développement économique, détaille Jean-Louis Gagnaire. On a gagné en reconnaissance et en crédibilité dans cette démarche." Il faut dire que le SRDE correspond au premier document de stratégie de développement économique officiellement réalisé au niveau régional. Reste que ce dispositif n'était mis en place qu'à titre expérimental et que rien ne laisse à penser qu'il sera reconduit ou poursuivi dans les années à venir. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) 2010, le Sénat avait proposé de prolonger ce dispositif d'un an, mais finalement, la date de fin d'expérimentation a été maintenue au premier semestre 2010 en commission mixte paritaire. Le gouvernement veut se donner le temps de l'évaluation. Dans une circulaire du 26 mars 2010, le ministre de l'Intérieur a donné des instructions aux préfets pour élaborer dans chaque région un "bilan quinquennal de mise en oeuvre du SRDE", et, le cas échéant, un "bilan de la délégation par l'Etat des aides déconcentrées". "On est dans le vide total du point de vue officiel mais dans les faits, les régions continuent tant que la réforme des collectivités n'est pas mise en œuvre localement", explique l'ARF. Du point de vue des entreprises, les améliorations en termes de lisibilité et d'accès aux aides ne sont pas aussi flagrantes… "On a fait un dossier pour obtenir l'aide accordée pour les produits innovants, mais on nous a dit que nous n'étions pas éligibles, témoigne ainsi Andres Gleixner, créateur de la société The Floating Stone, une société en plein développement. Du côté de l'Etat, on a reçu l'aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'une entreprise (Accre), du côté des collectivités, j'aimerais bien avoir des aides mais je ne sais pas à qui m'adresser et dès qu'on fait une demande, on nous impose de réaliser un business plan, ça peut être un frein car quand on lance une entreprise, on n'a pas que ça à faire, du coup, on laisse tomber." La lisibilité des dispositifs paraît être une des grandes difficultés rencontrées par les entrepreneurs, surtout quand les collectivités sont en concurrence entre elles. "J'ai fait une demande d'aide auprès de Créagir, un des dispositifs mis en place par le conseil général de la Gironde, j'ai récupéré le dossier mais c'était assez compliqué, je ne m'en sortais pas tout seul", explique pour sa part Xavier Darrigo, président d'IDCO, une société de création de meubles et objets de décoration pour les professionnels et les particuliers qui cherche à développer son activité et à conserver sa fabrication en France. Finalement, le chef d'entreprise a contacté directement les services du conseil général pour avoir des informations et a trouvé un interlocuteur efficace. "On a ensuite été très bien accompagnés et on a reçu une subvention de 5.000 euros, ce qui est très important pour une société de notre taille."
Les guichets uniques mis en place dans des régions pilotes comme la Bourgogne ou le Limousin ont essaimé. Mais ils n'ont pas toujours permis d'améliorer la situation. "L'idée de départ est bonne, elle consiste à créer un portail auquel les entreprises ont accès pour communiquer leur projet et qui est consulté par tous les interlocuteurs concernés qui se répartissent les tâches mais cela fonctionne à condition que tous les partenaires jouent le jeu et, malheureusement, certains dossiers mettent deux ans à aboutir !", explique François Gagnaire, directeur du cabinet Aides d'Etat conseil. Autre problème : les compétences des interlocuteurs. "Le développement économique nécessite des compétences en matière économique mais aussi en matière juridique, en droit national, en droit européen… cela demande des profils complexes qui ne se trouvent pas facilement!", détaille François Gagnaire. Par ailleurs, les régions sont vite débordées quand elles reçoivent des demandes d'aides de grande envergure. Elles s'en remettent alors à l'Etat, seul capable de débloquer des aides conséquentes.
Les régions françaises moins bien dotées que leurs voisines européennes
Faut-il alors "renforcer le rôle économique des régions et augmenter leurs budgets", comme le préconise Nicolas Bouzou, directeur d'Asterès et professeur d'économie à Sciences Po, dans une note publiée en mars 2010 ? "La politique économique de la France aurait tout intérêt à être de plus en plus décentralisée", estime le chercheur, puisque "les inégalités de développement économique entre les régions ont tendance à s'accroître et que les "collectivités locales ont toutes les chances d'être en capacité de prendre des décisions plus pertinentes que les Etats centralisés." En France, elles sont moins bien dotées que leurs voisines européennes. La Navarre, le Pays basque ou l'Aragon, en Espagne, possèdent ainsi des budgets d'un montant six à douze fois supérieurs à ceux de l'Aquitaine ou de Midi-Pyrénées. Un Land allemand comme celui de Hambourg, qui compte 1,8 million d'habitants, consacre deux fois plus de moyens financiers en un an à l'innovation que les régions Midi-Pyrénées et Aquitaine réunies en deux ans… "On aurait tout à gagner à fusionner les moyens, financiers et humains, disponibles dans les régions et les départements pour le développement économique, assure pour sa part François Gagnaire, et à remonter tous ces moyens au niveau de la région, seul échelon pertinent pour le développement économique." La question risque d'être encore abordée avec la réforme des collectivités puisque le projet redistribue les compétences dans ce domaine entre la région et les grandes métropoles nouvellement créées. "La future réforme fait fausse route sur la constitution de grandes métropoles qui auraient la capacité de prendre la compétence économique, assure Jean-Louis Gagnaire. C'est une véritable ânerie, il faut avoir une structure qui transforme les égoïsmes locaux qui peuvent exister entre les agglomérations et qui sache mobiliser les ressources qui existent et qui ne se trouvent pas toutes au même endroit ; c'est là que la région est intéressante."
Emilie Zapalski