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Aides publiques - Bilan "très décevant" pour les aides des collectivités

Un rapport inédit de la Cour des comptes évalue à 6 milliards le montant des aides accordées par les collectivités aux entreprises. Des aides jugées inefficaces et illisibles par la cour qui appelle à une "refonte complète" du système.

C'est un désaveu cinglant. Alors que les collectivités, au premier rang desquelles les régions, revendiquent une intervention accrue en matière économique, un rapport de la Cour des comptes juge inefficaces, pléthoriques et illisibles les aides qu'elles distribuent aux entreprises. En une centaine de pages, l'institution pose un diagnostic cruel sur les dispositifs instaurés depuis vingt-cinq ans par les régions, les départements, les communes et les divers établissements publics locaux. "Le bilan de ces aides qui atteignent le montant considérable de 6 milliards d'euros apparaît décevant", juge la cour. Réalisé à partir du travail des vingt-quatre chambres régionales, le rapport souligne la "grande confusion qui caractérise ces interventions". Une centaine d'institutions ou d'organismes sont amenés à intervenir sur un même territoire. Au total, pas moins de 5.000 aides ont été recensées par les chambres régionales. La palme revient à la Corse où, toutes collectivités confondues, il est dépensé chaque année l'équivalent de 313 euros par habitant (contre 66 pour l'Ile-de-France). Dans certaines régions, jusqu'à 40% des entreprises soutenues entre 2000 et 2005 ont bénéficié d'au moins deux dispositifs d'aide.
"C'est la première fois que nous présentons un rapport thématique dans une chambre régionale", a déclaré Philippe Séguin, mercredi 28 novembre, à l'occasion de la présentation du rapport à Poitiers. La portée de ces aides "reste très incertaine et peu de collectivités sont en mesure d'en évaluer l'efficacité", a-t-il jugé.  Le président de la Cour des comptes se montre également sévère sur la loi du 13 juillet 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, "loi qui était censée décentraliser les aides relevant encore de l'Etat et conforter le rôle de chef de file de la région par rapport aux départements et aux communes".

 

Des préfets dépassés

"Force est de constater que la loi, loin de clarifier le système et de lui donner plus de cohérence, a en vérité ouvert les vannes d'une complexité accrue", sans parvenir à mettre un terme aux "effets d'aubaines" et la "logique de guichet".
De fait, les schémas régionaux de développement économiques (SRDE) créés en 2004 pour coordonner l'action économique au niveau régional "sont affectés de retards importants". Rares sont les régions qui ont conclu avec les autres collectivités une convention spécifique pour préciser la nature des financements mis en place. Et même quand c'est le cas, comme en Rhône-Alpes, seule région prise nommément en exemple, les collectivités infra-régionales continuent d'intervenir en ordre dispersé. Les contrôles de la chambre régionale ont permis de constater que "si les huit départements rhône-alpins avaient passé, en 2006, des conventions avec la région, ces conventions avaient eu principalement pour objet de permettre à chaque département de poursuivre son action". Ce à quoi le président du conseil régional rétorque que "cette démarche (le SRDE) est restée inaboutie car elle aurait dû se traduire par un réel transfert de compétences et surtout de moyens entre l'Etat et les collectivités, transfert qui n'a pas eu lieu à ce jour".
Face à ce maquis d'aides en tout genre, il devient très difficile d'exercer un droit de regard. Le contrôle de légalité des préfets est souvent "dépassé par la masse et l'hétérogénéité des dispositifs". Par ailleurs, la procédure d'évaluation censée accompagner la mise en place des SRDE "se limite à la création d'un comité de pilotage partenarial sans que le support de la démarche d'évaluation ni même ses objectifs soient précisés". Plus grave, la cour a relevé "de nombreux cas d'irrégularité et de non conformité au droit européen ou national", notamment dans le domaine immobilier. Les règles européennes, notamment celle "de minimis" (celles de faibles montant), "leur méconnaissance, ou leur mauvaise application, principalement due à leur complexité, font courir des risques non négligeables aux collectivités territoriales", insiste la Haute Juridiction. Le nouveau règlement général que la Commission européenne prépare pour l'été 2008 devrait toutefois apporter un peu de clarté.


Une véritable refonte du système

Les magistrats remettent en cause l'efficacité même des aides sur l'activité économique. "Il est très rare, constatent-ils, que les conditions de création d'emploi ou de chiffre d'affaire posées lors de l'attribution de l'aide soient vérifiées." Sur l'échantillon de 150 entreprises questionnées par une chambre régionale, 30 d'entre elles avaient disparu ou étaient placées en liquidation ou redressement judiciaire. Avec un taux de disparition de 19,73% moins de quatre ans après le versement de l'aide, les entreprises soutenues étaient moins résistantes que la moyenne nationale (12,03%), un écart qui peut toutefois se justifier par le caractère plus fragile des entreprises aidées. 60% d'entre elles présentaient une nette régression de leurs bénéfices.
Les aides engendrent par elles-mêmes des coûts administratifs excessifs : environ 25% de leur montant, estime la cour. Les délais de versement, "jamais inférieurs à 150 jours" et supérieurs à six mois dans la plupart des cas sont jugés beaucoup trop longs. Ils atteignent parfois 300 jours !
La Haute Juridiction appelle à "une véritable refonte du système" remettant en cause "les principes fondateurs de la décentralisation" et non un simple toilettage. Elle suggère de mettre fin aux régimes d'aides directes aux entreprises. "Il faut travailler à leur offrir un environnement économique favorable", a insisté Philippe Séguin. Dans ce schéma, les communes conserveraient leur rôle "pour offrir des infrastructures performantes, pour développer des zones d'activités, des technopole, etc." Rôle qu'elles accompliraient avec l'appui des départements pour les routes et des régions pour le ferroviaire. Mais l'essentiel de l'action économique serait recentré autour du couple Etat-région, "dans le cadre d'une approche contractuelle appropriée" et dans "un environnement fiscal et social favorable à l'emploi". Ce sont donc une nouvelle fois les départements qui pourraient faire les frais de ce nouveau découpage.
Le président de la Cour des comptes a "regretté" que les ministères des Finances et de l'Intérieur "n'aient pas encore répondu à ce rapport". Les recommandations de la Haute Juridiction devraient toutefois faire vivement réagir à quelques jours de la remise du rapport Lambert sur la clarification des compétences.

 

Michel Tendil